Le nouveau service immobilier de Bercy sous les feux des critiques

Les contribuables ont massivement fait connaissance avec le service de Bercy, Gérer mes biens immobiliers, lors de la campagne déclarative démarrée en juillet 2023. La Cour des comptes vient de dresser un bilan au vitriol de ce nouvel outil.
Mise en service en août 2021 et ouverte au grand public en 2023, la plateforme : Gérer mes biens immobiliers (GMBI) est un outil de l’administration fiscale conçu pour moderniser la déclaration des biens immobiliers des propriétaires en France et les modalités d’occupation de ces biens. Cette nouvelle application de l’administration fiscale offre aux contribuables la possibilité d’accéder en temps réel aux informations dont dispose l’administration sur leurs biens et de pouvoir les corriger. Il assure également la gestion des déclarations foncières et des taxes d’urbanisme. Le projet GMBI a été développé sur plus de cinq années avant d’être mis en production. Il a été déployé en trois grandes étapes afin que les propriétaires disposent dès 2021 d’une vision d’ensemble de leurs propriétés bâties, effectuent à partir de 2022 leurs déclarations foncières et de taxes d’urbanisme et, enfin, procèdent en 2023 à la déclaration d’occupation de leurs biens immobiliers.
Un projet coûteux
« GMBI a permis de basculer vers un processus informatisé et automatisé, où la télédéclaration par le propriétaire est centrale. En rythme de croisière, cet outil, même s’il reste à parfaire, doit apporter des gains d’efficacité très substantiels et permettre de moderniser la sphère foncière de l’administration fiscale », souligne la Cour des comptes. Pour l’instant, il s’agit d’un projet coûteux. À la date de la publication du rapport de la Cour des comptes, l’outil GMBI est toujours en développement. En dehors des mesures d’urgence qu’a nécessitée l’étape de déclaration de juillet 2023, son coût direct tel qu’évalué par la DGFiP est de 37,20 millions d’euros. C’est « trois fois plus que le montant total initialement prévu (12,7 millions d’euros), sur un périmètre certes élargi par rapport au projet initial. Ce dépassement s’explique en grande partie par le recours massif à des prestataires externes, pour un total de 25 millions d’euros, soit les deux tiers des dépenses affichées », explique la Cour des comptes.
Moderniser et fiabiliser le cadastre
La mise en place de ce nouveau service en ligne de démarches dématérialisées pour les propriétaires s’inscrit dans la volonté de la Direction générale des finances publiques d’engager un vaste plan de modernisation destiné à assurer une mise à jour plus efficiente et fiable du cadastre. Il s’agit, pour Bercy, d’« optimiser et fiabiliser les bases d’imposition des locaux d’habitation et professionnels, en s’attachant à collecter de manière exhaustive les informations relatives aux constructions et aménagements des locaux » (Rép. min., QE n° 04652, JO Sénat 29 juin 2023, p. 4068, Delattre). Le nouveau service en ligne accessible pour les contribuables depuis leur espace personnel du site impots.gouv.fr doit faciliter cette modernisation. Il permet à l’administration fiscale de récolter un grand nombre de données relatives aux biens immobiliers des contribuables. Il contient, pour le contribuable, l’ensemble de ses biens et leurs caractéristiques (adresse, surface, numéro du lot pour les copropriétés, etc.). Bercy conserve des transmissions par voie papier pour les personnes ne disposant pas d’un accès à internet.
Faciliter l’imposition et le contrôle fiscal
Dans le contexte de la suppression par étapes de la taxe d’habitation sur les résidences principales entre 2018 et 2023 et, à plus long terme, de la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation, la plateforme Gérer mes biens immobiliers vise également à fournir à l’administration fiscale des données fiables et actualisées pour établir le rôle des trois impôts subsistants, à savoir la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, la taxe d’habitation sur les logements vacants et la taxe sur les logements vacants, toutes collectées par l’État au profit des collectivités locales et, pour la dernière, de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah). Pour fiabiliser ses bases d’imposition et en assurer une plus grande exhaustivité, la DGFiP a également recours à l’utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle pour identifier, sur les prises de vues aériennes publiques, les constructions de bâtiments et piscines ayant échappé à une imposition à la fiscalité directe locale ou aux taxes d’urbanisme. Ce dispositif de contrôle baptisé : Foncier Innovant, exploite les prises de vues aériennes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).
Une nouvelle obligation déclarative
Avec le service Gérer mes biens immobiliers, les propriétaires peuvent déclarer en ligne l’achèvement des aménagements ou constructions de leurs locaux. À l’été 2023, c’est l’ensemble des contribuables propriétaires, personnes physiques ou morales, qui ont dû en effet se plier à une nouvelle obligation déclarative sur cette plateforme. Elle a consisté à indiquer, pour chaque bien immobilier, son usage (résidence principale, secondaire ou local vacant) et, pour les biens loués ou mis à disposition, l’identité des occupants et la période d’occupation, ainsi que le montant des loyers perçus pour leurs biens mis en location. En décembre 2024, Bercy a ajouté de nouvelles informations à cette liste, comme l’éventuel classement en meublé de tourisme ou encore le motif de la vacance d’un bien. Une fois cette déclaration réalisée, le contribuable n’a pas à la renouveler chaque année. Seul un changement de situation d’occupation, une vente ou un achat nécessitera une nouvelle intervention de sa part.
Confrontée à de nombreuses difficultés pratiques
« La première campagne incitant les contribuables à vérifier les informations saisies par l’administration fiscale relatives à leurs biens immobiliers et à déclarer leurs occupants s’est déroulée en 2023 dans des conditions difficiles, analyse la Cour des comptes. Elle s’est heurtée à l’incompréhension des assujettis, soumis à une nouvelle obligation déclarative assortie d’une amende en cas de manquement, alors qu’était supprimée la taxe d’habitation sur les résidences principales. Des situations spécifiques avaient de surcroît été mal anticipées, comme le cas des 3 400 multipropriétaires, disposant de plus de 200 biens, comme les collectivités territoriales ou les bailleurs sociaux. Le choix par la DGFiP d’une procédure totalement dématérialisée s’est révélé peu adéquat pour une obligation qui touchait une population en moyenne plus âgée. « Cette situation a conduit à un afflux de demandes et de déplacements d’usagers dans les centres des impôts dans les derniers jours de juin et les premiers jours de juillet 2023, qui a mis les services de la DGFiP en difficulté, précisent les sages de la rue Cambon. Malgré les reports successifs, seuls 54,1 des 71,4 millions de locaux ont été recensés à l’issue de la campagne, ce qui a fragilisé l’établissement des rôles des taxes pour cette même année ». Cette proportion représente environ 73,1 % des propriétaires concernés.
De nombreuses erreurs d’imposition
« Le déploiement technique de GMBI s’est déroulé dans des conditions particulièrement difficiles, puisque plus d’un million de contribuables ont été imposés, à tort, à la taxe d’habitation ou à la taxe sur les logements vacants, souligne la Cour des comptes. L’administration a dû consentir des dégrèvements très importants, d’un montant supérieur à 1,3 milliard d’euros, équivalent à 34 % du produit de ces taxes en 2023, intégralement supportés par l’État conformément aux dispositions du Code général des impôts. « Compte tenu de l’état très dégradé des finances publiques, tous les efforts doivent être conduits pour que les dégrèvements, et par conséquent la charge supportée par l’État, soient considérablement réduits très rapidement », précisent les sages de la rue Cambon.
Mais une campagne 2024 plus efficace
D’après Bercy, le bilan de la deuxième campagne déclarative, réalisée en 2024, est en progrès. Il fait apparaître un taux de défaillance déclarative des propriétaires qui, bien qu’il se réduise, reste élevé, de l’ordre de 12 % des locaux des petits propriétaires, et encore de plus de 20 % des locaux des grands propriétaires. La défaillance déclarative se traduit mécaniquement par des erreurs de taxation. Cependant l’administration fiscale note une sensible amélioration cette année par rapport à 2023 s’agissant des contacts des usagers. Globalement, tous canaux confondus (guichet, appels téléphoniques et messages GMBI via la messagerie sécurisée), les sollicitations des usagers concernant GMBI et la campagne des avis de taxe d’habitation ont significativement baissé par rapport à 2023 (- 63 %), cette tendance étant particulièrement marquée concernant les flux au guichet, qui sont passés de plus de 800 000 en 2024 à moins de 200 000 cette année, soit une baisse de plus de 75 %, preuve que les usagers s’approprient cette nouvelle obligation déclarative.
Une utilisation pour le contrôle fiscal ?
GMBI ne pallie pas le manque d’information résultant de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui seule permettait d’établir un lien entre un logement et son occupant, souligne la Cour des comptes. En conséquence, plusieurs politiques publiques (chèque énergie, loi SRU notamment) reposant sur la fiabilité des données des logements et de leur occupation ont été fragilisées. Des projets comme le programme Résil de l’Insee visent à reconstituer cette information, mais ils dépendent de la qualité des informations collectées dans GMBI. Or celle-ci est encore limitée au regard de la couverture incomplète des locaux à l’issue de la campagne déclarative de 2023, ainsi que du nombre incertain de rectifications issues du cadastre. Une plus grande coopération entre la DGFiP, les autres administrations concernées et l’Insee pourrait permettre d’approfondir ces chantiers. À moyen terme, des réflexions plus abouties devraient être engagées sur l’apport de GMBI à d’autres politiques publiques ou pour des usages connexes propres aux métiers de la DGFiP, par exemple en matière de contrôle fiscal.
La révision des bases cadastrales une nouvelle fois reportée ?
La dernière recommandation de la Cour porte sur l’utilisation de cette nouvelle plateforme pour la collecte des données relatives aux loyers en prévision de la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux. Quelque 34 millions de propriétaires sont redevables de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Leurs bases d’imposition sont constituées par les valeurs locatives cadastrales de leur bien. Ces bases ont été calculées dans les années 1970 et sont critiquées pour leur obsolescence. Le principe d’une révision générale des valeurs des locaux d’habitation a été acté dans le cadre de la loi de finances pour 2020. Son calendrier a été repoussé de deux ans dans le cadre de la loi de finances pour 2023. La réforme devrait s’appliquer pour la première fois en 2028. Pour les sages de la rue Cambon, il est « important d’anticiper la réforme des valeurs locatives cadastrales, plusieurs fois repoussée, pour obtenir une cartographie précise des loyers perçus en France par les propriétaires bailleurs ». Seul bémol d’après Bercy, « une collecte des loyers dès 2025 ne permettrait pas de recueillir des données suffisamment exhaustives et fiables au vu des difficultés rencontrées par la DGFiP lors des deux premières campagnes de collecte des déclarations d’occupation. Elle serait en outre techniquement complexe au regard des travaux que la DGFiP doit conduire en 2025 pour poursuivre la mise en qualité technique de GMBI ». À cet égard, Bercy semble envisager un nouveau report de l’opération de mise à plat des bases locatives, pour laisser aux propriétaires le temps de s’approprier la déclaration d’occupation avant de leur imposer celle des loyers, et à la DGFiP celui de fiabiliser son dispositif technique au périmètre actuel. Ce report nécessiterait toutefois une disposition en loi de finances.
Référence : AJU017a0
