Les conséquences de la réforme du DPE en matière de transactions immobilières en Seine-Saint-Denis
La réforme du DPE qui mesure les performances énergétiques et environnementales des logements impacte le marché immobilier. Focus sur ses conséquences pour le parc immobilier ancien et énergivore de Seine-Saint-Denis (93).
Pour près de neuf Français sur dix les classifications utilisées dans le cadre du Diagnostic de performance énergétique (DPE) constituent un critère de choix important dans leur décision d’achat (étude DRIMKI/BVA, novembre 2021). Rendu obligatoire pour les ventes depuis novembre 2006 et les locations de logements depuis juillet 2007, le DPE permet d’obtenir une information sur la consommation d’énergie d’un bien immobilier et sur les émissions de gaz à effet de serre qui y sont liées grâce à un classement énergétique allant de A (meilleure performance énergétique) à G (plus mauvaise performance énergétique). C’est un enjeu stratégique pour le département de Seine-Saint-Denis. La rénovation énergétique est une priorité du département qui s’est donné pour objectif d’engager une rénovation thermique soutenue et planifiée des logements privés et publics en priorisant le bâti ancien. Avec quelque 615 000 logements, l’habitat est la deuxième source d’émission de gaz à effet de serre du département.
L’importance croissante du DPE
Deux facteurs sont venus renforcer l’importance du DPE pour le marché immobilier. D’abord, sa récente réforme, dans le cadre de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite Elan, qui est entrée en vigueur au 1er juillet 2021, avec pour objectif de permettre une évaluation plus lisible et représentative de la performance d’un bâtiment. La méthode dite des « consommations réelles », basée sur l’examen des factures a été supprimée au profit de la méthode qui consiste à apprécier les caractéristiques du bien : type de logement, d’isolation, de chauffage, etc. En outre, l’étiquette finale attribuée est une synthèse de deux informations la consommation énergétique et la quantité d’émission de gaz à effet de serre émise par le logement. Elle est fonction de la plus mauvaise performance, en énergie primaire ou en gaz à effet de serre (système des doubles seuils). Cette réforme est susceptible de provoquer des changements de classes énergétiques pour de nombreux biens.
De nouvelles obligations pour les propriétaires
Deuxième facteur à l’œuvre, à la suite de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, Énergie et climat, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, Climat et Résilience qui impose de nouvelles obligations aux propriétaires immobiliers. Ses dispositions sont destinées à inciter les propriétaires à réhabiliter leur bien et s’appuient sur les classifications utilisées dans le cadre du DPE. Depuis le 25 août, les bailleurs ne peuvent plus augmenter les loyers des logements classés F et G à la relocation, ni le réviser en cours de bail. Au 1er janvier 2023, la performance énergétique sera prise en compte afin d’apprécier le caractère décent du logement. Les biens dont la consommation dépasse 450 kWh/m2/ an ne pourront plus être loués. Dès 2025, les biens classés G ne pourront plus être mis en location. En 2028, cette interdiction s’étendra aux biens classés F et en 2034 aux bien classés E.
Des critiques ciblent le DPE
Dans ses quinze propositions de simplification du droit, publiées en septembre dernier, le Conseil supérieur du notariat (CSN), rappelle le régime transitoire applicable aux anciens diagnostics de performance énergétique (DPE) jusqu’à la fin 2024. La réforme du DPE a permis de mettre en place de nouvelles modalités de calcul pour le DPE afin de le rendre plus précis et plus fiable pour les DPE. Alors même que le DPE est entré en vigueur depuis le 1er juillet 2021, les diagnostics réalisés entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 peuvent être utilisés jusqu’au 31 décembre 2022. Quant aux diagnostics réalisés entre le 1er janvier 2018 et le 30 juin 2021, ils restent valables jusqu’au 31 décembre 2024. Dans la mesure où « les calendriers retenus par ailleurs dans d’autres textes qui imposent des mesures parfois assez contraignantes pour la rénovation énergétique des logements les moins performants », le Conseil supérieur du notariat juge ces mesures « ni cohérentes », « ni pertinentes ». Les mesures prévues par la loi n°2021-1104 du 22 août 2021, Climat et Résilience apparaissent donc peu cohérentes avec le fait qu’il reste réglementairement possible de continuer à annexer aux avant-contrats et actes de ventes des DPE anciens, jusqu’au 31 décembre 2024.
Un parc immobilier ancien pour les départements de Seine-Saint-Denis
Pour le parc immobilier du département de Seine-Saint-Denis, ces nouvelles règles constituent un enjeu important. Les deux tiers des logements ont été construits avant 1975, date d’entrée en application des premières réglementations thermiques. Si la rénovation énergétique est une priorité du département qui s’est donné pour objectif d’engager une rénovation thermique soutenue et planifiée des logements privés et publics en priorisant le bâti ancien, le nombre de passoires énergétiques reste important. Il s’agit des biens les plus énergivores, correspondant aux classes F et G du DPE. D’après les chiffres du ministère de la Transition écologique de 2020, ces passoires thermiques représentent 17 % du parc immobilier français. Ces passoires thermiques sont inégalement réparties sur le territoire. On en dénombre environ 5 % dans le département de Seine-Saint-Denis, soit 34 545 logements concernés (Étude Fideli 2018, basée sur les DPE réalisés entre 2017 et 2018 par l’ADEME).
Quel impact sur le parc locatif ?
D’après un sondage effectué en septembre dernier par la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) auprès de ses adhérents, gestionnaires locatifs et syndics, seuls 32 % des propriétaires concernés comptent entreprendre une rénovation énergétique. 31 % des bailleurs envisagent de relouer leurs biens en l’état et 6 % d’entre eux imaginent opter pour la location de courte durée. En effet, pour l’instant les propriétaires de locations de tourisme ne sont pas soumises aux obligations de rénovation énergétique. La location saisonnière de courte durée en recourant aux plateformes collaboratives comme Airbnb ou Abritel leur permettrait donc de s’en affranchir. Et environ 26 % des propriétaires concernés envisagent de vendre leurs biens plutôt que de mener les travaux de rénovations énergétiques nécessaires. La FNAIM y voit un risque fort de réduction du parc locatif privé, « au minimum 250 000 logements en moins à la location sur toute la France », résume Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim. D’après les chiffres de la plateforme https://www.seloger.com/ les ventes de passoires énergétiques ont déjà augmenté sur les douze derniers mois, + 72 % à Paris, +74 % à Rennes, + 70 % à Nantes, + 43 % à Lyon et Toulouse, +41 % Lille, +27 % à Bordeaux et Aix-en-Provence.
Des freins à la rénovation énergétiques sensibles en Seine-Saint-Denis
Si peu de propriétaires envisagent de commencer des travaux énergétiques, c’est d’abord en raison du coût de la rénovation, un frein cité par neuf sondés sur dix. En outre, la complexité des travaux énergétique à mener inquiète les propriétaires qui s’alarment de la difficulté technique de réalisation des travaux, pour 62,8 % d’entre eux et de la nécessité de soumettre ces travaux à la décision de l’assemblée générale de copropriété (42, 7 %). « Les difficultés techniques soulevées en copropriété nous interpellent, observe Jean-Marc Torrollion. La rénovation du parc locatif privé concerne pour les deux-tiers des immeubles en copropriété en centre-ville. Il est nécessaire de planifier contractuellement les obligations de rénovation énergétique au sein des copropriétés ». Le parc immobilier de Seine-Saint-Denis caractérisé par une forte proportion de maisons individuelles et d’immeubles en microcollectif ou en mono-propriété, les enjeux de la rénovation énergétique est particulièrement concerné par ces difficultés.
Les enjeux de la rénovation énergétique des copropriétés
Pour réussir la rénovation énergétique des copropriétés, La FNAIM propose une stratégie globale. Il s’agit tout d’abord de contractualiser, par le Plan pluriannuel de travaux en copropriété, l’éradication de tous les logements très énergivores du parc collectif privé. Son adoption entraînerait automatiquement la suspension de l’interdiction de louer les logements individuels énergivores situés dans l’immeuble pendant les dix ans du PPT. Cette solution permettrait d’assurer le lancement des travaux tout en assurant une solidarité entre copropriétaires bailleurs et occupants, et en permettant aux copropriétaires d’étaler le coût des travaux. La FNAIM propose que le DPE collectif soit rendu opposable et de valeur supérieure à un DPE individuel, afin d’inciter les copropriétaires à s’engager dans un plan ambitieux de rénovation, tout en évitant de douloureux contentieux au sein même des copropriétés. La FNAIM propose d’étendre les objectifs de rénovation énergétique à l’ensemble du parc immobilier avec la classe F comme standard minimum de performance énergétique au 1er janvier 2030. Concrètement ces obligations s’appliqueraient également aux ménages propriétaires occupants au moment de la mutation des biens immobiliers. Enfin, pour ne pas faire reposer l’effort financier uniquement sur les aides publiques, la FNAIM propose de diversifier les solutions de financement, ce qui implique de développer des produits bancaires tournés vers la copropriété, via un principe de garantie de l’État aux prêts rénovation à la copropriété et de créer un produit d’épargne rénovation, pour favoriser la réalisation effective de travaux de rénovation au moment de l’achat.
Quel impact sur le marché immobilier de Seine-Saint-Denis ?
Outre l’impact sur le marché locatif, ces nouvelles obligations impactent également les prix de vente de ces biens, la fameuse valeur verte, qui correspond à la variation de valeur générée par la performance énergétique et environnementale d’un bien immobilier. Sur les marchés immobiliers tendus comme en Grande et Petite Couronne, l’effet des moins bonnes étiquettes énergie du DPE (classe F-G) sur les prix des appartements anciens reste faible (-2 % de moins-value) (La valeur verte des logements en France, étude des notaires de France, novembre 2020). Il est un peu plus important pour les maisons. De même, la plus-value apportée par les meilleures étiquettes du DPE reste modérée. En Seine-Saint-Denis, la majorité des ventes immobilières (91 %) porte sur des biens anciens. Le marché y est particulièrement dynamique. Au premier trimestre 2022, les ventes d’appartements y ont augmenté de 16 % par rapport au premier trimestre 2021, d’après les statistiques des notaires franciliens. Au premier trimestre 2022, les hausses de prix annuelles atteignent 3, 8 %. La commune de Saint-Ouen-Sur-Seine vient d’ailleurs de se hisser à la cinquième place du classement des villes les plus chères de France. Les perspectives ouvertes par le Grand Paris Express et les prochains Jeux olympiques contribuent à booster le dynamisme immobilier du département notamment dans l’ancien. Dans ce contexte, l’effet valeur verte reste encore marginal.
Référence : AJU006i8