Les dernières QPC fiscales de 2017

Publié le 02/02/2018

Deux des dernières questions prioritaires de constitutionnalité de l’année portent sur l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). L’une transforme la présomption irréfragable de la taxation à l’ISF des biens en trust au nom du constituant, l’autre confirme l’exclusion de l’actif successoral, pour l’établissement des droits de mutation à titre gratuit et de l’ISF des dettes contractées par le défunt à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées.

Avant l’examen des lois de finances, le Conseil constitutionnel a poursuivi son œuvre de contrôle de la constitutionnalité de la loi fiscale.

Trust et ISF au nom du constituant : fin de la présomption irréfragable

Le 15 décembre 2017, le Conseil constitutionnel a répondu à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 885 G ter du Code général des impôts (CGI), issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 (Cons. const., 15 déc. 2017, 2017-679 QPC).

L’assujettissement des biens placés en trust

Alors que la valeur des biens imposables à l’ISF est normalement déterminée selon les mêmes règles qu’en matière de droits de mutation par décès (CGI art. 885 S), l’article 14 de la loi du 29 juillet 2011 a créé une règle particulière d’assujettissement du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant à l’ISF, codifiée à l’article 885 G ter du CGI.

Depuis le 1er janvier 2012, « les biens ou droits placés dans un trust défini à l’article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l’année d’imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en application du II du même article 792-0 bis ». Cet article prévoit une exception : « le premier alinéa du présent article ne s’applique pas aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l’article 795 et dont l’administrateur est soumis à la loi d’un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ».

Selon les travaux parlementaires entourant l’adoption de la loi du 29 juillet 2011, c’est l’état de l’insécurité juridique relative à la fiscalité applicable aux constituants ou aux bénéficiaires de trusts qui a motivé cette mesure : « les éléments d’incertitude sur le régime fiscal des trusts sont de nature à faciliter les usages de cet instrument à des fins d’évasion fiscale ».

L’inconstitutionnalité de la présomption irréfragable

Dans l’affaire à l’origine de la QPC, le requérant avait constitué, par un contrat du 25 octobre 2004 signé avec un administrateur de trust, un trust irrévocable et discrétionnaire. Au titre des années 2012 à 2015, il a mentionné les biens placés dans le trust pour une valeur nulle dans ses déclarations d’ISF. À la suite d’un contrôle fiscal, l’administration a intégré les sommes et valeurs mobilières placées dans le trust dans son actif soumis à ISF.

En juin 2017, le requérant a introduit un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de trois paragraphes de l’instruction fiscale BOI-PAT-ISF-30-20-30 (BOFIP du 8 mars 2017) qui prévoient le rattachement au patrimoine du constituant des biens et droits placés dans un trust, y compris les produits capitalisés correspondants. À cette occasion, le requérant a soulevé une QPC.

Le requérant reproche à ces dispositions de porter atteinte aux facultés contributives des contribuables, en méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques, en ce qu’elles conduisent à imposer le constituant d’un trust irrévocable et discrétionnaire à raison des biens placés dans ce trust alors même qu’il en est dépossédé et qu’il n’en a plus la disposition. Il soutient également que la présomption irréfragable de propriété pesant sur le constituant revêt un caractère disproportionné au regard de l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Les Sages ont rappelé qu’en adoptant les dispositions contestées applicables aux biens ou droits placés dans un trust, « le législateur a instauré, à des fins de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une présomption de rattachement au patrimoine du constituant de ces biens, droits ou produits. Le législateur a ainsi tenu compte de la difficulté, inhérente aux trusts, de désigner la personne qui tire une capacité contributive de la détention de tels biens, droits ou produits. Ce faisant, il s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales qu’il a poursuivi ».

Toutefois, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation permettant au constituant du trust de renverser la présomption de rattachement à son patrimoine. « Les dispositions contestées ne sauraient toutefois, sans que soit méconnue l’exigence de prise en compte des capacités contributives du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant du trust, faire obstacle à ce que ces derniers prouvent que les biens, droits et produits en cause ne leur confèrent aucune capacité contributive, résultant notamment des avantages directs ou indirects qu’ils tirent de ces biens, droits ou produits. Cette preuve ne saurait résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur ».

Cette réserve permet de prendre en considération les hypothèses où le dessaisissement du constituant d’un trust irrévocable et discrétionnaire n’est qu’apparent.

Des précisions bienvenues

Selon le cabinet Bornhauser qui a défendu l’affaire, « il restera à l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, à fixer les conditions d’application de cette réserve, en particulier la nature des justificatifs à apporter pour démontrer que le constituant n’a conservé aucune capacité contributive sur les biens mis en trust, sachant que cette preuve ne pourra résulter du simple caractère irrévocable et discrétionnaire du trust ». Aussi, cette réserve devra être intégrée au nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), instauré par la loi de finances pour 2018, puisque sa version initiale contient exactement la même disposition.

En attendant, le cabinet se félicite des précisions apportées dans cette décision. La première est que la capacité contributive peut résulter des avantages directs ou indirects que le constituant tire de ces biens. Alors qu’un avantage direct est facile à reconnaître, un avantage indirect l’est moins. « On peut penser – mais il faudra attendre les commentaires de la décision que publiera le Conseil pour en savoir plus – qu’il vise la situation où le constituant pourrait obtenir du trustee qu’il fournisse à ses propres créanciers des garanties sur les biens en trust », indique le cabinet dans ses premières réactions.

Enfin, « cette question ne peut être traitée seulement de manière théorique, par l’examen de l’acte de trust. Encore faut-il que le fait soit conforme au droit. Cela signifie à notre avis que si le trustee a consenti au constituant des avantages directs ou indirects et alors même qu’il n’y était pas tenu, ce dernier sera réputé avoir conservé sur les biens en trust une capacité contributive le rendant taxable sur la fortune représentée par ces biens. On peut toutefois espérer, s’agissant d’un impôt annuel, que cette situation sera appréciée en fonction des seuls faits survenus l’année précédente et non une fois pour toute ».

Les commentaires de l’administration sont donc attendus.

Déductibilité des dettes contractées auprès d’un héritier

L’exclusion de l’actif successoral, pour l’établissement des droits de mutation à titre gratuit, des dettes contractées par le défunt à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées a été jugée conforme à la Constitution dans une QPC rendue le 1er décembre 2017.

Le sort des dettes du défunt

Dans sa décision n° 2017-676 QPC du 1er décembre 2017, le Conseil constitutionnel s’est penché sur la question de la déductibilité des dettes du défunt à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées. Le 21 septembre, la chambre commerciale de la Cour de cassation (arrêt n° 1330), a saisi le Conseil constitutionnel sur la conformité de l’article 773 du Code général des impôts (CGI ) qui limite la déductibilité des dettes du défunt entre les mains des héritiers.

L’article 768 du CGI prévoit que « pour la liquidation des droits de mutation par décès, les dettes à la charge du défunt sont déduites lorsque leur existence au jour de l’ouverture de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite ».

Par exception, l’article 773, 2°, alinéa 1 du CGI exclut la déduction des dettes contractées par le défunt à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées. « Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans les articles 911, dernier alinéa, et 1100 du Code civil ». Sont notamment réputées personnes interposées, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable.

Toutefois, l’article 773, 2°, alinéa 1 du CGI prévoit un tempérament de cette exclusion : « lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par le décès d’une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession ».

Ce texte trouve son origine dans l’article 7 de la loi du 25 février 1901 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1901. Il résulte d’une crainte de fraude aux droits de mutation à titre gratuit, qui apparaît plus forte dans les rapports avec des héritiers ou des personnes interposées, consistant à alléguer un prêt consenti par l’héritier en faveur du défunt, afin de minorer l’actif successoral taxable.

Une différence de traitement justifiée

Dans l’affaire qui a donné lieu à la QPC, Madame D. avait souscrit deux emprunts auprès de ses parents et porté ces emprunts au passif de ses déclarations d’ISF au titre des années 2008 à 2011. L’administration avait refusé la déduction de ces dettes au motif que les conditions pour en bénéficier n’avaient pas été remplies. Pour l’administration, les dettes n’avaient pas été consenties selon les formes prévues par l’article 773, 2°, alinéa 2° du CGI. Demandant la décharge de ses cotisations supplémentaires devant le tribunal de grande instance de Nanterre, Madame D n’a obtenu que la satisfaction partielle de ses demandes. Elle formulait donc une QPC devant la cour d’appel de Versailles en juin 2015.

La requérante reprochait aux dispositions de l’article 773, 2°, du CGI, applicables à l’ISF par l’article 885 D du CGI, d’instituer une différence de traitement injustifiée entre les redevables de cet impôt, selon que la dette a été contractée auprès d’un membre de sa famille ou auprès d’un tiers. Pour elle, cette différence de traitement sans lien avec l’objectif poursuivi par la loi, serait contraire au principe d’égalité devant la loi. De plus, cette différence ne serait pas non plus fondée sur des critères objectifs et rationnels et ferait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel considère que cette différence ne résulte pas de l’article 773, 2°, du CGI, mais de l’article 885 D du CGI. Dès lors, il dit n’y avoir pas lieu d’examiner l’argument tiré de cette différence de traitement, ni les autres arguments portant sur l’ISF développés par la requérante à l’appui de ses griefs dirigés contre l’article 773, 2°, du CGI.

Enfin, la requérante faisait valoir que ces dispositions ne permettraient au redevable de l’ISF de prouver l’existence et la sincérité de la dette contractée auprès d’un membre de sa famille qu’à la condition qu’elle ait été consentie par un acte authentique ou un acte sous seing privé ayant date certaine avant le fait générateur de l’impôt. En cela, le texte ferait peser sur certains contribuables une charge excessive, en méconnaissance de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Argument écarté par les Sages : « En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes et ainsi réduire les risques de minoration de l’impôt qu’il a jugés plus élevés dans le premier cas compte tenu des liens entre une personne et ses héritiers ». Il en ressort que la différence de traitement opérée par les dispositions contestées repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l’objet de la loi, à savoir la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a jugé conforme l’article 773, 2°, du CGI.

JEI et exonération de charges sociales patronales : pas de situation acquise

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC relative à la conformité à la Constitution de l’article 131 de la loi du 30 décembre 2003 (dans sa rédaction résultant de l’article 175 de la loi de finances pour 2011) et de l’article 37 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (Cons. const., 24 nov. 2017, n° 2017-673 QPC). Ces textes portent sur l’exonération des cotisations patronales de sécurité sociale attachée au statut de jeunes entreprises innovantes (JEI).

Les lois successives ont modifié dans un sens défavorable le régime d’exonération. Pour le requérant, ces dispositions portent atteinte à des situations légalement acquises et remettent en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. L’entreprise requérante soutient que les JEI qui préexistaient à leur entrée en vigueur devaient conserver le bénéfice de l’exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale, prévue par les dispositions initiales, jusqu’à la fin de la septième année suivant celle de leur création.

Dans sa décision du 24 novembre 2017, le Conseil constitutionnel rappelle qu’« il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ».

Or « les dispositions contestées, qui ne disposent que pour l’avenir, ne s’appliquent pas aux cotisations dues à raison des gains et rémunérations versées avant leur entrée en vigueur. Elles n’ont donc pas porté atteinte à des situations légalement acquises ».

Par ailleurs, le législateur, en prévoyant, sous l’article 131 paragraphe V de la loi du 30 décembre 2003 dans ses rédactions antérieures à celles résultant des dispositions contestées, que l’exonération est applicable « au plus jusqu’au dernier jour de la septième année suivant celle de la création de l’entreprise » (CGI art. 44 sexies-0 A). D’autre part, si le bénéfice de l’exonération est accordé aux entreprises ayant le statut de JEI en contrepartie du respect des conditions qui leur sont imposées par la loi, notamment en matière de dépenses de recherche et de modalités de détention de leur capital, ce bénéfice n’est acquis que pour chaque période de décompte des cotisations au cours de laquelle ces conditions sont remplies.

Par conséquent, « les dispositions contestées (…) n’ont pas remis en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus de situations légalement acquises sur le fondement des rédactions antérieures de cet article 131. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du paragraphe IV de l’article 37 de la loi du 28 décembre 2011 ». Le Conseil constitutionnel a donc validé la constitutionnalité des dispositions contestées.

LPA 02 Fév. 2018, n° 132s3, p.4

Référence : LPA 02 Fév. 2018, n° 132s3, p.4

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