Les nouvelles orientations de la lutte contre la fraude fiscale
Le nouveau plan anti-fraude fiscale de Bercy prévoit de muscler le contrôle fiscal et d’intensifier la réponse pénale. Il intègre la création d’une cellule de renseignement fiscal destinée à lutter plus efficacement contre la fraude internationale.
Au printemps dernier, Gabriel Attal, alors ministre délégué chargé des Comptes publics auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a dévoilé les nouvelles orientations à venir pour la lutte contre la fraude fiscale. Premier défi pour l’administration fiscale : parvenir à chiffrer précisément l’impact de ce fléau.
Mieux chiffrer la fraude fiscale
Sur la période 2017-2021, en cinq ans, 9 Md€ ont été encaissés en moyenne chaque année suite à un contrôle fiscal, soit 45 Md€ encaissés au total sur le premier quinquennat. Les droits notifiés par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) s’élevaient à un montant historique de 14,6 Md€ en 2022. Mais quelle est l’ampleur réelle de la fraude fiscale ? Dans la lutte contre la fraude fiscale, le chiffrage constitue un enjeu décisif. Les spécialistes se réfèrent volontiers à la notion d’écart fiscal (Tax Gap). Ce concept utilisé par les économistes désigne la différence entre ce qui devrait être recouvré si la loi fiscale avait été parfaitement respectée et ce qui a été effectivement recouvré. L’écart fiscal va au-delà des seules irrégularités puisqu’il concerne aussi les sommes non recouvrées du fait de l’insolvabilité d’un contribuable ou des remises gracieuses qui lui auraient été accordées. Dans les faits, des chiffres extrêmement variés continuent de circuler, dans une fourchette extrêmement large allant de 2 milliards à 80 milliards d’euros. Ils renvoient en outre à des périmètres d’études extrêmement variables, certains organismes, comme le Syndicat solidaires finances publiques prenant en compte l’ensemble des prélèvements obligatoires tandis que d’autres comme l’OCDE, pour qui, les États perdent entre 86 et 207 milliards d’euros par an, se limitent à l’étude de l’impôt sur les sociétés. Et aucun consensus ne semble se dégager sur une méthode d’évaluation. Afin de mieux chiffrer les fraudes fiscales et sociales un Conseil de l’évaluation des fraudes sera mis en place, a annoncé Gabriel Attal. Ce Conseil de l’évaluation des fraudes, présidé par le ministre délégué chargé des Comptes publics, rassemblera les administrations compétentes, des personnalités qualifiées, des experts indépendants et des parlementaires afin de s’assurer de la fiabilité des estimations produites. Dès 2025, la fraude fiscale évitée sera évaluée par la DGFiP et un objectif annuel proposé au Parlement. Rappelons que la notion de Tax Gap fait l’objet d’évaluations publiques dans de nombreux pays. Dans ces travaux d’estimation, les États-Unis ont été précurseurs, dès les années 1980. Depuis, de nombreux autres pays se sont engagés dans cette voie : le Royaume-Uni au début des années 2000, suivi par les pays scandinaves, l’Italie, le Canada. Les résultats obtenus au terme de ces travaux sont très variables d’un pays à l’autre. L’écart fiscal est ainsi estimé à 16,6 % de recettes totales aux États-Unis, 15 % en Italie, 5,6 % au Royaume-Uni et 4,5 % en Estonie. Sur un échantillon constitué de 58 pays de l’OCDE étudié par la Cour des comptes, plus de la moitié (57 %) se livre aujourd’hui à ce type de travaux. Dans l’ensemble de ces cas, c’est l’administration fiscale elle-même qui effectue les calculs et les rend publics.
Mieux cibler les contrôles fiscaux
Deuxième axe d’intervention : optimiser la programmation du contrôle fiscal. En matière de contrôle fiscal, le nombre de contrôles fiscaux des particuliers augmentera de 25 % d’ici 2027 et cet effort portera sur les plus gros patrimoines, a précisé Gabriel Attal. Priorité sera donnée aux contrôles des plus grands groupes. Les cent plus grandes capitalisations boursières devraient désormais faire l’objet d’un contrôle fiscal tous les deux ans. Bercy s’appuie sur le développement du datamining pour accroître sa capacité à détecter la fraude grâce au recours à l’intelligence artificielle. Rattachée depuis le 1er septembre 2016 au bureau de la programmation et des affaires internationales du service du contrôle fiscal, la mission requêtes et valorisation met en œuvre des méthodes innovantes de recherche de la fraude fondées sur l’analyse prédictive et la détermination d’indicateurs statistiques. Bercy se donne comme objectif de porter le recours au datamining pour la programmation des contrôles fiscaux des particuliers au même niveau que pour les entreprises, soit 50 % de la programmation des contrôles et 100 000 dossiers de personnes physiques traités d’ici 2027. Pour les entreprises, le montant de recettes supplémentaires qui pourra être collecté grâce à la mise en place de la facturation électronique est, quant à lui, estimé à 3 Md€.
Des contrôles plus efficaces
Pour renforcer la capacité de l’administration à détecter et sanctionner les prix de transfert abusifs des multinationales, le seuil de déclenchement de l’obligation de présenter en permanence une documentation complète de la politique de prix de transfert sera abaissé et cette documentation deviendra opposable. Le délai de reprise dont dispose l’administration sera accru pour les transferts d’actifs incorporels afin de permettre à la DGFiP d’appliquer pleinement les règles définies à l’OCDE pour contrôler les prix de ces cessions. En contrepartie de ces obligations déclaratives étendues pour les entreprises, un renforcement substantiel des équipes de la DGFiP réduira les délais de traitement des demandes d’accords préalables en matière de prix de transfert des entreprises pour simplifier leur gestion. En outre, des mesures inédites seront prises contre les sociétés éphémères, celles qui disparaissent avec le produit de leur fraude : le détournement de la transmission universelle de patrimoine (TUP) sera empêché en prévoyant un délai d’opposition de 60 jours et en assurant l’information des services de l’État, et le recours à la liquidation amiable des sociétés sera conditionné à l’absence de dettes fiscales ou sociales.
Sanctuariser le droit à l’erreur
La dynamique du droit à l’erreur commencée par la loi n° 2018-727 pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) sera prolongée et renforcée. Une personne de bonne foi ne peut pas faire l’objet d’une sanction si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai indiqué par celle-ci. Le législateur prévoit une réduction de 50 % des intérêts de retard en cas de dépôt spontané par le contribuable de bonne foi d’une déclaration rectificative. Et les particuliers disposent d’une réduction de 30 % des intérêts de retard en cas de régularisation en cours de contrôle, comme c’est le cas pour les professionnels. Bercy prévoit en outre de mettre en place un mécanisme de remise de pénalité automatique pour la première erreur. Les régularisations proactives par l’administration seront généralisées au sein de la DGFiP avec, dès 2023, la mise en place de 200 équivalents d’emploi à temps plein dédiés à l’envoi de courriers de régularisation. Ces courriers de régularisation éviteront l’ouverture de contrôles fiscaux lorsque des anomalies à faible enjeu et liées à des oublis ou erreurs auront été identifiées. Pour que l’indemnisation des erreurs aille dans les deux sens, des intérêts moratoires seront systématiquement payés aux contribuables à chaque fois qu’une erreur est commise, même sans réclamation, en fonction du retard pour restituer l’indu. Ce dispositif de pénalité inversée automatique en faveur du contribuable en cas d’erreur de l’administration fiscale ne couvrira pas les cas où le fonctionnement de l’impôt implique des remboursements sans qu’aucune erreur n’ait été commise, Bercy entend également renforcer l’accompagnement fiscal des entreprises. Afin de faciliter les démarches de régularisation spontanée, Bercy a mis en place un service de mise en conformité des entreprises (SMEC) ainsi qu’un mécanisme de partenariat fiscal à destination des entreprises qui leur permet de bénéficier d’un accompagnement personnalisé leur permettant de sécuriser leurs positions fiscales en amont de tout contrôle. 8 500 PME et 160 grands groupes seront accompagnés d’ici 2027.
Durcir la réponse pénale
Pour les fraudes fiscales les plus graves, le gouvernement prévoit un durcissement inédit de la réponse pénale. Il souhaite tout d’abord la création d’une peine complémentaire de travaux d’intérêt général (TIG) qui puisse être prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables de fraude fiscale, même sans peine de prison. La DGFiP développera, en lien avec l’Agence du TIG (ATIGIP), une offre de TIG pour accueillir des personnes coupables de fraude fiscale.
Un délit spécifique d’incitation à la fraude fiscale sera créé pour punir la mise à disposition de schémas de fraude, visant la mise à disposition en ligne, sur internet et les réseaux sociaux, de véritables « kits de fraude » et sanctionnant les personnes qui commercialisent des outils juridiques et financiers destinés à dissimuler des revenus ou patrimoine. Enfin, la création d’une sanction d’indignité fiscale, qui priverait temporairement les personnes condamnées pour manquements graves à leurs obligations fiscales, du droit de percevoir des réductions d’impôt et crédits d’impôt est à l’étude. Le Conseil d’État doit être saisi afin d’examiner la constitutionnalité d’une telle mesure.
Muscler le renseignement fiscal
Pour parvenir à ses fins, le gouvernement prévoit d’augmenter les effectifs du contrôle fiscal et de la lutte contre la fraude fiscale de 15 % d’ici la fin du quinquennat, ce qui correspond à environ 1 500 emplois. Les effectifs de la police fiscale seront, quant à eux, doublés dès 2025, soit 40 emplois supplémentaires. Et un plan d’investissement ambitieux de 100 M€ dans les moyens du renseignement économique et financier fera de la lutte contre la fraude une priorité opérationnelle de l’action de la communauté du renseignement. Le gouvernement entend notamment créer une nouvelle cellule de renseignement fiscal, hébergée au sein de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et constituée d’agents expérimentés. Cette cellule mobilisera les techniques de renseignement prévues par le Code de sécurité intérieure pour la recherche et la prévention des fraudes fiscales les plus complexes et les plus graves. Elle a pour objectif de traiter les situations dans lesquelles les outils actuels du contrôle fiscal sont inefficaces, notamment la dissimulation d’avoirs à l’étranger dans les paradis fiscaux et les entités opaques comme les trusts. Le concours de Tracfin, la cellule de renseignement financier française, à la lutte contre la fraude sera consolidé. La judiciarisation des fraudes sera renforcée en étendant le modèle de la police fiscale à toutes les fraudes aux finances publiques du haut du spectre autour de la transformation du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) en Office National Anti-Fraude (ONAF). L’ONAF développera de nouveaux moyens d’action : il pourra s’autosaisir dans certains domaines comme n’importe quel service de police judiciaire et des enquêtes mixtes avec les services d’enquête administratifs seront développées. De nouvelles passerelles entre services de l’État seront par ailleurs ouvertes pour décloisonner les données utiles à la lutte contre les fraudes. D’ici la fin de l’année 2023, des protocoles de coopération d’un nouveau genre seront conclus entre la douane et la DGFiP, d’une part, et la DGFiP et l’URSSAF Caisse nationale, d’autre part. Enfin, pour combattre l’opacité financière, la France prendra la tête d’une initiative internationale en faveur de la transparence fiscale. Il s’agit de commencer immédiatement des travaux pour partager plus rapidement et de façon plus efficace les informations utiles entre États. S’appuyant sur les travaux de l’OCDE, l’objectif à terme sera de disposer d’une connaissance complète de la détention du patrimoine mondial.
Référence : AJU009d5