Les propositions du cabinet d’avocats EY pour une modernisation du contrôle fiscal
À l’heure où l’on vote un nouveau texte qui vient renforcer les moyens de l’administration fiscale en matière de lutte contre la fraude fiscale, le cabinet EY revient sur une décennie de relations entre l’administration fiscale et le contribuable et délivre 37 propositions pour contribuer au débat.
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude (projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, Sénat n° 385, 28 mars 2018), présenté le 29 mars dernier par le ministre de l’Action et des Comptes publiques, Gérald Darmanin a été adopté en première lecture par le Sénat le 3 juillet dernier. Ce projet de loi a changé de nom lors de son examen par le Sénat et cette dénomination a été reprise par la commission mixte paritaire. Il se nomme désormais « Projet de loi renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public ». Il est actuellement examiné en seconde lecture devant l’Assemblée nationale.
Cibler et renforcer les sanctions
Ce texte vient compléter la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC), qui définit un nouvel équilibre dans les relations entre le citoyen ou l’entreprise et l’administration et privilégie une logique d’accompagnement et de conseil, notamment face aux erreurs commises de bonne foi. Ce nouveau projet de loi a pour objectif de cibler et de renforcer les sanctions à l’encontre des fraudeurs qui contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt. Par rapport aux textes qui l’ont précédé, ce projet de loi comporte des innovations importantes. Il renforce d’abord les moyens de détection et de caractérisation de la fraude en harmonisant les outils dont disposent les administrations et en intensifiant le partage de données à des fins de lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale. Il définit les modalités précises de mise en œuvre de la transmission automatique des revenus générés par les utilisateurs des plates-formes d’économie collaborative, qui entre en vigueur l’an prochain. La création, par décret, d’une police fiscale au sein du ministère de l’Action et des Comptes publics, en complémentarité des moyens du ministère de l’Intérieur devrait permettre d’accroître les capacités d’enquête judiciaire en cas de fraude fiscale. Du point de vue de la sanction de la fraude, il prévoit la mise en œuvre d’une logique de publicité plus large des sanctions, tant pénales qu’administratives, en cas de fraude fiscale grave, la création de sanctions administratives à l’encontre des tiers facilitant la fraude fiscale et sociale afin de sanctionner non seulement les auteurs de la fraude, mais aussi ses « ingénieurs », qui diffusent des schémas frauduleux ainsi que la révision du mode de calcul des amendes pénales en cas de fraude fiscale, pour permettre de les fixer en proportion du produit tiré de l’infraction. Enfin, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), dite « plaider coupable », afin d’accélérer les procédures judiciaires et d’obtenir une réparation plus rapide sans amoindrir en rien le niveau des peines, serait étendue à la fraude fiscale, et la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC), serait révisée afin d’enrichir les critères pris en compte et de rendre cette liste effective en prévoyant des sanctions, déjà présentes dans la législation française mais absentes au niveau européen. Les sénateurs ont notamment adopté l’article 13, introduit par la commission des finances, qui vise à supprimer le verrou de Bercy, tout en prévoyant que l’administration fiscale est tenue de déposer plainte lorsque le contribuable est soumis, du fait de ses mandats électifs ou de ses fonctions, à une exigence particulière d’exemplarité. Ils ont confirmé l’extension aux infractions de blanchiment simple et de blanchiment aggravé des cas dans lesquels les agents de la DGFiP concourent aux enquêtes menées par le procureur de la République et confirmé la suppression du nouveau service d’enquête fiscale au sein du ministère du Budget, comme voté en commission. Les sénateurs ont prévu de nouveaux droits d’accès à l’information pour les agents chargés de la lutte contre la fraude et précisé les modalités selon lesquelles les plates-formes numériques transmettront à l’administration fiscale les informations utiles à la lutte contre la fraude aux prélèvements fiscaux. Ils ont également confirmé l’aménagement, introduit en commission, du dispositif sur la publicité des décisions en matière fiscale, afin de permettre à l’administration de rendre publiques uniquement les sanctions devenues définitives.
Un renforcement sans précédent de la répression de l’administration
EY Société d’avocats entend apporter sa contribution au débat parlementaire à la lumière d’une décennie d’évolution des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables. Depuis une dizaine d’années, le centre de gravité de ces rapports de force a basculé en faveur de l’administration, dont les prérogatives en matière de contrôle se sont accrues, constate le cabinet d’avocats. Le renforcement de ces prérogatives repose sur six évolutions majeures observées au cours de la dernière décennie : l’informatisation du contrôle, le durcissement des méthodes et des sanctions, l’amélioration de la procédure de recouvrement, le renforcement de la pénalisation de la matière fiscale, le coût accordéon des délais de procédure et la multiplication des sources d’information de l’administration. Les mesures les plus significatives qui ont été votées concernent la multiplication des sources d’informations de l’administration fiscale, que ce soit à travers les échanges automatiques d’informations désormais mis en place entre les administrations fiscales des différents États ou grâce aux obligations de communication de plus en plus nombreuses pesant sur les contribuables et sur leurs partenaires d’affaires. La décennie passée acte également une pénalisation accrue de la matière fiscale avec un renforcement des sanctions et des moyens d’enquête, en témoignent par exemple la création du parquet national financier ou la création d’un délit de fraude fiscale aggravée. Dans cette même décennie, les développements relatifs aux mesures prises en faveur des droits du contribuable sont malheureusement plus brefs et moins denses que ceux consacrés à l’administration fiscale. Plus des trois quarts des mesures de procédure fiscale, votées depuis 2008, ont conduit à un renforcement des moyens d’enquête et de l’arsenal répressif de l’administration alors que seulement 13 % d’entre elles protègent les droits des contribuables. Face à la très forte dynamique législative en termes de renforcement des moyens de contrôle, la réglementation tendant à préserver les droits des contribuables est restée quasi-statique, constate le cabinet d’avocats. « De manière légitime, l’État s’est doté d’instruments plus nombreux et plus puissants pour préserver ses intérêts et réprimer la fraude. Cependant, dans le même temps, peu de mesures ont été prises pour améliorer les droits des contribuables, notamment lorsqu’ils ont commis des erreurs qui n’entrainent pas de préjudice pour le Trésor public », souligne Me Charles Ménard, avocat associé EY Société d’avocats. Une situation d’autant plus dommageable que la quête vers un équilibre permanent des rapports de force entre administration fiscale et contribuable est saine et permet d’assurer l’égalité des armes dans une matière éminemment régalienne où l’administration dispose, plus que dans d’autres, de pouvoirs exorbitants de droit commun.
Les résultats du contrôle fiscal : des chiffres en trompe-l’œil ?
Les effectifs affectés au contrôle fiscal restent stables. La période 2008-2016 a été marquée par une diminution relativement importante des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), passant d’environ 126 000 à 107 000 agents en l’espace de huit ans, soit une baisse de 15,7 %. À contre-courant de cette tendance globale baissière, l’effectif affecté au contrôle fiscal est demeuré stable. Il constitue environ 15 % des effectifs totaux. Le montant des droits nets rappelés est en augmentation. Il est passé de 13 Mds€ en 2008 à un nombre variant entre 15 et 16 Mds€ ces dernières années. Le phénomène se répercute en matière de pénalités infligées suite à un contrôle fiscal, celles-ci sont passées de 3 Mds€ à un montant variant entre 4 et 5 Mds€, soit des augmentations du montant total de droits nets et pénalités d’environ 28 % en 10 ans, en euros courants. En euros constants, cette hausse est ramenée à 18 %.
Pour le cabinet, il est cependant difficile d’apprécier si le déséquilibre législatif en faveur de l’administration a permis d’améliorer les résultats du contrôle fiscal. En effet, cette hausse de 18 % doit cependant être nuancée, dans la mesure où, après 2013, celle-ci a principalement été permise grâce au service de traitement des déclarations rectificatives (STDR). En effet, le montant d’impôt sur le revenu réclamé a augmenté de 44, 7 % entre 2013 (date de création du STDR) et 2016 alors qu’il a stagné de 2008 à 2013. Le bilan du dispositif de régularisation des avoirs non déclarés à l’étranger est très positif puisqu’il a permis de régulariser environ 32 Mds€ d’avoirs et d’encaisser environ 8 Mds€ de recettes sur la période 2014-2017, grâce au dépôt de plus de 51 000 déclarations rectificatives. Ces chiffres vont encore augmenter, bien que plus modérément, en 2018 avec le traitement des derniers dossiers déposés. Pour Me Jean-Pierre Lieb, avocat associé EY Société d’avocats, « renforcer de manière continue l’arsenal de contrôle sans mesurer de manière effective les effets de ces instruments sur le civisme fiscal et la lutte contre la fraude n’est pas satisfaisant ; surtout quand l’absence de données publiques ne permet pas une appréciation qualitative des résultats du contrôle fiscal ». Comme le souligne la Cour de comptes dans son rapport public annuel pour 2016, « l’annexe voies et moyens de chaque projet de loi de finances comporte une présentation très partielle des résultats du contrôle fiscal. (…) Les informations sur les droits rappelés et sur les recouvrements sont de plus très imprécises : elles ne permettent pas d’apprécier la ventilation par impôt des droits rappelés (qui figure, pourtant, dans le rapport d’activité de la DGFiP) ou les résultats des contrôles réprimant les fraudes les plus graves. Les données sur le recouvrement sont très parcellaires : seul le taux de recouvrement des créances issues du contrôle fiscal externe est présenté. Aucune ventilation par impôt ou en fonction de la gravité de la fraude n’est disponible et aucune information sur le taux de recouvrement des créances du contrôle sur pièces n’est fournie » (Cour des comptes, Rapport public annuel 2016, La lutte contre la fraude fiscale : des progrès à confirmer, p. 379-380). Autres indices qui tendraient à minorer les effets du renforcement de la législation en faveur de l’administration fiscale sur les résultats du contrôle fiscal : alors même que les affaires de fraude fiscale de grande importance tendent à recevoir un traitement très médiatisé comme l’affaire Ricci, par exemple, les chiffres de la lutte contre la fraude fiscale semblent avoir stagné. Dans le même temps, les perquisitions ont diminué pour être vraisemblablement concentrées sur des entreprises de grande taille. Enfin, peu d’améliorations ont été notées s’agissant du taux de recouvrement de l’impôt après contrôle qui est resté stable, mais globalement faible.
37 propositions concrètes
Le cabinet d’avocat EY présente 37 propositions concrètes pour améliorer et sécuriser les rapports entre l’administration fiscale et les contribuables et contribuer au civisme fiscal.
Parmi celles-ci, on peut dégager cinq propositions phares. La première consiste à assurer une communication ouverte et consolidée des statistiques de l’administration fiscale. Pour le cabinet d’avocats, l’amélioration du civisme fiscal passe par de nombreux instruments dont la meilleure connaissance de l’activité de contrôle et répressive de l’administration. Or force est de constater que de nombreuses statistiques décrivant les actions de l’administration fiscale sur ces terrains ne sont pas mises à la disposition du public. Une démarche de transparence concernant notamment l’activité des services de contrôle dans le cadre de l’Open Data public permettrait aux universitaires mais aussi aux praticiens d’avoir un dialogue entre contribuables et administration plus éclairé et sans doute plus apaisé.
Deuxième axe de réforme : dépayser le recours hiérarchique afin d’assurer de meilleures conditions d’indépendance. L’exercice du recours hiérarchique auprès du chef de brigade donne souvent au contribuable le sentiment d’un passage obligé, mais dénué d’utilité, ledit chef de brigade ayant déjà validé ab initio l’approche de vérificateur et étant ainsi concrètement très peu disposé à voir le dossier du contribuable sous un autre jour. Aussi, il pourrait être envisagé d’exercer ce recours hiérarchique auprès du chef d’une autre brigade, totalement étranger aux redressements notifiés, afin qu’il puisse juger de l’analyse du vérificateur avec plus de distance et d’indépendance. La même approche pourrait être proposée au niveau de l’interlocution.
Troisième axe d’amélioration possible : harmoniser les prises de position entre les différents services de contrôle afin d’éviter les divergences d’interprétation. En effet, la DVNI et les DIRCOFI-Île-de-France sont organisées par secteurs d’activité. Pourtant, il n’est pas rare qu’une pratique du secteur soit reconnue par la DVNI mais ignorée ou rejetée par les DIRCOFI-Île-de-France et source de rectification. Cette constatation se vérifie encore plus lorsqu’un contrôle est opéré par une autre DIRCOFI dont les brigades ne sont pas spécialisées par secteurs d’activité. Afin d’éviter ces situations mal comprises des entreprises, les positions de la DVNI pourraient être diffusées aux DIRCOFI (sous l’égide de la DVNI ou du service du contrôle fiscal) afin qu’elles renoncent à effectuer des rectifications fondées sur une méconnaissance des pratiques professionnelles, comptables, juridiques ou autres d’un secteur d’activité.
Quatrième axe de réforme : subordonner le bien-fondé des rectifications en matière de TVA à un manque à gagner pour le Trésor. L’administration recourt de manière quasi systématique à des redressements corrélatifs en matière de TVA lorsqu’elle établit la présence d’un établissement stable. Or, dans ces situations, il est tout à fait possible que même si la procédure déclarative ad hoc n’a pas été formellement respectée par le contribuable, le Trésor public n’ait pas été lésé. Concrètement il s’agit d’éliminer un cas de double imposition de TVA interne, lorsque un établissement stable modifie non pas le pays de taxation de la transaction, mais le redevable légal : ce simple changement de redevable légal crée des cas de double imposition en France d’une même opération de TVA (déjà taxée entre les mains de son client par voie d’autoliquidation), qui paraissent contraires aux principes fondamentaux du droit communautaire. Dans ces circonstances, l’administration devrait être déliée de l’obligation qui pèse sur elle au titre de l’article L. 247 du LPF et ne devrait pas réclamer une TVA qui a d’ores et déjà été collectée. Enfin le cabinet d’avocats appelle à autoriser le recours à l’expertise pour l’établissement de faits lors d’un contrôle. Un nombre important d’affaires repose sur une interprétation ou une évaluation différente des éléments de fait entre l’administration et le contribuable. Cette opposition n’est souvent résolue qu’au moment où le dossier est soumis aux juridictions. Il pourrait être envisagé que dans de telles circonstances, le contribuable puisse avoir recours à l’avis d’un tiers indépendant sous forme d’expertise qui éclairera les deux parties sur les éléments de fait. Cette expertise pourrait être effectuée par un expert choisi dans une liste d’experts auprès des tribunaux. Ses conclusions engageraient les parties et son coût serait à la charge du contribuable s’il concluait dans le sens de l’administration et à la charge de l’administration s’il concluait dans le sens du contribuable.