Les QPC fiscales de l’été

Publié le 16/10/2017

Le flux des questions prioritaires de constitutionnalité en matière fiscale ne tarit pas. Inspirées par des décisions précédentes, l’une porte sur certaines plus-values mobilières qui sont exclues de l’abattement pour durée de détention, deux autres remettent en cause la constitutionnalité de la majoration de l’assiette des prélèvements sociaux de certains revenus.

Cet été, plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été soumises à l’examen du Conseil constitutionnel en matière fiscale. Trois décisions rendues le 7 juillet dernier avaient en commun de porter sur des dispositions que le Conseil constitutionnel avait déjà  déclarées conformes à la constitution, sous certaines réserves d’interprétation. Elles posaient ainsi la question de la portée de ces réserves lorsque des dispositions législatives déjà contrôlées sont applicables à d’autres situations que celles ayant suscité la formulation de ces réserves.

QPC 2017/642 : Plus-values mobilières et abattement pour durée de détention

Dans une décision du 7 juillet 2017 (n° 2017-642 QPC), le Conseil constitutionnel a dû se prononcer sur l’article 150-0 D 1 ter du Code général des impôts (CGI), issu de la loi de finances pour 2014 (L n° 2013-1278 du 29 déc. 2013 de finances pour 2014, JORF n°0303 du 30 déc. 2013) qui a réformé la taxation des plus-values de valeurs mobilières. La loi a remplacé l’imposition des plus-values sur titres à l’impôt sur le revenu (IR) au taux forfaitaire de 24 ou 19 % par l’assujettissement au barème progressif, avec application d’abattement pour durée de détention pour tenir compte de l’érosion monétaire. Mais elle ne prévoyait pas l’application des abattements pour durée de détention aux plus-values réalisées avant le 1er janvier 2013 et imposées après cette date.

Cession de titres avant 2013, imposition après 2013

En 2011, Monsieur C. avait cédé des titres détenus depuis plus de huit ans. Sa plus-value  avait été  soumise à l’IR au taux forfaitaire de 19 %, selon le régime applicable avant la réforme. L’application de l’abattement prévu par l’article 150-0 D 1 ter du CGI pour les dirigeants de PME partant à la retraite avait abouti à une imposition nulle. Le bénéfice de cet abattement était subordonné à la condition de cesser toute fonction dans la société cédée dans un délai de deux ans après la cession des titres. En 2013, constatant que cette condition n’était pas respectée, l’administration avait  remis en cause le bénéfice de l’abattement. Dès lors, la plus-value devenait imposable après le 1er janvier 2013, elle avait donc été taxée selon le nouveau régime en vigueur c’est-à-dire selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu, mais sans bénéficier du nouvel abattement de droit commun, conduisant à une imposition globale, contributions sociales comprises, à près de 60 %. En effet, selon l’article 17 de la loi de finances pour 2014, l’abattement s’applique aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013.

Monsieur C. a alors déposé une QPC devant le tribunal administratif de Montreuil dans le cadre d’une réclamation contre ces impositions supplémentaires. La QPC porte sur la constitutionnalité de l’article 150-0 D 1 ter du CGI, en ce qu’il ne prévoit pas, au regard des abattements de durée de détention, le sort des plus-values sur titres réalisées avant le 1er janvier 2013 rendues taxables après le 1er janvier 2013. Renvoyée au tribunal administratif de Paris, puis au Conseil d’État en février 2017, la question posait un problème qui n’avait pas été examiné jusqu’alors par le Conseil constitutionnel. Dans sa  décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, il s’était penché sur le sort des plus-values mises en report avant le 1er janvier 2013 et qui deviennent imposables à compter de cette date.

L’égalité des facultés contributives en question

Le premier grief soulevé par le contribuable portait sur le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques selon l’année d’imposition. L’application de la réforme opérée par la loi de finances pour 2014 conduit à traiter différemment :

– les dirigeants ayant réalisé des plus-values avant le 1er janvier 2013, rendues imposables à l’IR après date du fait de la perte du bénéfice du régime fiscal antérieurement applicable : ceux-ci ne bénéficieraient d’aucun abattement pour durée de détention ;

– les dirigeants de PME ayant réalisé des plus-values au titre d’autres années : avant la réformer ils bénéficiaient du taux de 19%, après la réforme de l’application des abattements renforcés.

 Le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques tout en émettant une réserve. Il a considéré que la différence de traitement devant la loi selon l’année d’imposition, qui repose sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de loi.

 En revanche, reprenant son raisonnement tenu dans la QPC 2016-538, il a jugé que « faute de tout mécanisme prenant en compte cette durée pour atténuer le montant assujetti à l’impôt sur le revenu, l’application du taux marginal maximal à cette plus-value méconnaîtrait les capacités contributives des contribuables ». Dès lors, « les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l’égalité devant les charges publiques, priver une telle plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013, qui ne fait l’objet d’aucun abattement sur son montant brut et dont le montant de l’imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l’application à l’assiette ainsi déterminée d’un coefficient d’érosion monétaire pour la période comprise entre l’acquisition des titres et le fait générateur de l’imposition ».

Les effets légitimement attendus

Enfin, il était reproché au texte de porter atteinte aux situations légalement acquises ou remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Un motif d’intérêt général justifiait-il que la plus-value initialement placée sous le régime d’imposition spécifique applicable aux dirigeants de PME soit finalement soumise à des règles d’imposition qui n’étaient pas déterminées à la date de sa réalisation ? En cela, le texte était susceptible de méconnaître la garantie des droits protégée  par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel a commencé par rappeler la règle selon laquelle il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, sans toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles.

Dans l’affaire, il a écarté le grief d’inconstitutionnalité, au motif que « lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, de bénéficier sous certaines conditions d’un régime dérogatoire d’imposition d’une plus-value, le contribuable doit être regardé comme ayant accepté les conséquences de la remise en cause de ce régime en cas de non-respect des conditions auxquelles il était subordonné » ; et qu’ « il en résulte que l’imposition de la plus-value selon les règles applicables l’année de cette remise en cause ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus d’une telle situation ».

QPC 2017-643/650 : Majoration de 25 % de l’assiette des contributions sociales

Le même jour, le Conseil constitutionnel s’est également intéressé à la constitutionnalité de la majoration de 1,25 de l’assiette des contributions sociales à travers deux affaires jointes par le Conseil, les QPC 2017-643/650 du 7 juillet 2017. Un sujet qui avait déjà donné lieu à la QPC n° 2016-610 Q du 10 février 2017.

Revenus issus de rehaussement et de l’article 123 bis

Dans la QPC n°2017-643, la société dont Monsieur H. est associé et gérant avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les années 2011 à 2013, remettant en cause la déduction de frais de déplacements non justifiés mais inscrits au crédit du compte courant des associés de la société. Ces sommes avaient été requalifiées en revenus distribués au sens de l’article 109 1 2° du CGI, soumises à l’IR dans la catégorie des capitaux mobiliers, et aux contributions sociales sur la base d’une assiette majorée de 25% conformément, à l’article 158 7 2° du CGI pour l’impôt sur le revenu et, du de l’article L. 136-6 paragraphe I c) du CSS, pour les prélèvements sociaux.

Dans la QPC n°2017-650, Monsieur L. avait saisi l’administration en 2016 afin de régulariser sa situation fiscale au regard de comptes bancaires non déclarés au Luxembourg, qu’il détenait notamment au travers de deux structures situées en Nouvelle-Zélande et au Panama. Il était redevable de plusieurs sommes : IR et des prélèvements sociaux au titre des années 2006 à 2014, l’impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 2007 à 2015 et une amende pour défaut de déclaration d’avoirs détenus à l’étranger. En mars 2017, Monsieur L. a demandé au Conseil d’État d’annuler un passage de l’instruction relative aux modalités d’application de l’article 123 bis du CGI pour le calcul du montant des revenus de capitaux mobiliers (BOFiP-Impôts le 12 septembre 2012, BOI-RPPM-RCM-10-30-20-20). Ce texte applique le coefficient de 1,25 pour le calcul de l’IR aux revenus ou bénéfices imposés en vertu de l’article 123 bis du CGI.

L’assiette des contributions sociales

La réforme globale de l’IR opérée par la loi de finances pour 2006 (L. n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, JORF n°304 du 31 décembre 2005) a notamment supprimé l’abattement d’assiette de 20% jusque alors applicable aux traitements, salaires et pensions. En contrepartie, les taux du barème ont été diminués. Pour éviter un effet d’aubaine en faveur des contribuables qui perçoivent des revenus qui ne bénéficiaient pas auparavant de l’abattement de 20 %, le législateur a affecté certains de ces revenus d’un coefficient multiplicateur de 1,25 pour le calcul de l’IR. Ainsi notamment :

– en vertu de l’article  158 7 1° du CGI : des revenus professionnels des contribuables soumis à un régime réel d’imposition qui ne sont pas adhérents d’un centre de gestion ou association agréé,

– en vertu de l’article 158 7 2° du CGI : des rémunérations et avantages occultes, à la fraction des rémunérations non déductibles du résultat qui ne correspondent pas à un travail effectif ou sont excessives eu égard à l’importance du service rendu, aux dépenses somptuaires, aux bénéfices ou revenus visés par l’article 123 bis du CGI et aux sommes et aux revenus distribués résultant d’une rectification des résultats de la société distributrice.

Par renvoi à l’article L. 136-6 I c du Code de la sécurité sociale (CSS), sont concernées les contributions sociales suivantes : la CSG, la CRDS, le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et sa contribution additionnelle, remplacée par le prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine. Toutefois, à la différence de l’IR, pour lequel cette majoration compensait globalement la baisse des taux du barème, les prélèvements sociaux sur ces revenus ont été augmentés par la loi du 30 décembre 2005, par rapport à l’état du droit antérieur.

L’examen de la combinaison de dispositions : un changement de circonstances

Les textes évoqués avaient chacun été déclarés jugés conforme à la Constitution. Ici, la contestation portait sur la constitutionnalité de :

– la combinaison des articles 109 1 2° et 158 7 2° du CGI, et de l’article 136-6 paragraphe I c) du CSS ;

– la combinaison des 158 7 2° du CGI, en tant qu’elles visent les bénéfices ou revenus mentionnés à l’article 123 bis et de l’article 136-6 paragraphe I c) du CSS.

Selon les requérants, cette majoration serait contraire aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, en ce qu’elles a pour effet d’assujettir le contribuable à une imposition dont l’assiette inclut des revenus dont il n’a pas disposé.

Sans se fonder sur l’absence de changement de circonstances, le Conseil d’État avait choisi de transmettre les QPC en cause au Conseil constitutionnel. De son côté, celui-ci a déjà accepté d’examiner la constitutionnalité d’une disposition légale compte tenu de sa combinaison avec d’autres dispositions légales, se fondant sur l’existence d’un changement des circonstances intervenu depuis ses précédentes.

Une majoration injustifiée

Le Conseil constitutionnel a suivi le même raisonnement que celui qui a donné lieu à sa décision de février 2107. Dans cette affaire, il avait jugé à propos des rémunérations et avantages occultes mentionnés à l’article 111 c du CGI, que la majoration d’assiette, méconnaît ces principes pour les prélèvements sociaux qui ne peuvent donc pas donner lieu à l’application du coefficient de 1,25.

Le Conseil constitutionnel a dans un premier temps reconnu que ces dispositions ont « pour effet d’assujettir le contribuable à une imposition dont l’assiette inclut des revenus dont il n’a pas disposé ». Ensuite, il relève que la majoration de l’assiette a été instituée « en contrepartie de la baisse des taux du barème de l’impôt sur le revenu, concomitante à la suppression et à l’intégration dans ce barème de l’abattement de 20 % dont bénéficiaient certains redevables de cet impôt, afin de maintenir un niveau d’imposition équivalent ».

Toutefois, il a considéré que « pour l’établissement des contributions sociales, cette majoration de l’assiette des revenus en cause n’est justifiée ni par une telle contrepartie, ni par l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, ni par aucun autre motif ». Par conséquent, « ces dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l’application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l’article 158 CGI pour l’établissement des contributions sociales assises sur les bénéfices ou revenus. Sous cette réserve, le grief tiré de la violation de l’article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. »

LPA 16 Oct. 2017, n° 130f5, p.6

Référence : LPA 16 Oct. 2017, n° 130f5, p.6

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