Les recommandations de Tracfin

Publié le 08/02/2019

Tracfin évalue et présente les principaux enjeux stratégiques de la lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et pour la première fois publie une liste de dix recommandations.

Tracfin vient de publier son rapport annuel sur les tendances et risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Cette démarche s’inscrit dans le cadre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Une cellule de renseignements financiers

Depuis 1997, la France s’est dotée d’une cellule administrative spécialisée, devenu un maillon essentiel de la lutte anti-blanchiment et de la lutte contre la fraude aux finances publiques et le financement du terrorisme, un organisme de renseignement financier baptisé Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Rattaché au ministère de l’Action et des Comptes publics, ce service à compétence nationale concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tracfin est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui transmettre (banquiers, assureurs, conseil en investissement, avocats, notaires, huissiers, commissaires aux comptes, experts-comptables, commissaires-priseurs…). Tracfin n’est pas habilité à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers. Ces déclarations concernent les sommes ou les opérations portant sur des sommes dont ils soupçonnent qu’elles puissent provenir d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, participer au financement du terrorisme ou provenir d’une fraude fiscale. Tracfin reçoit ces déclarations, les analyse, les enrichit puis les transmet principalement à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires, service de renseignements, administration des douanes, administration fiscale, organismes sociaux.

Progression marquée de l’activité

Les marqueurs d’activité 2017 et des premiers mois 2018 de Tracfin démontrent la prise de conscience collective et l’engagement constant des partenaires publics et privés dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, les fraudes aux finances publiques et le financement du terrorisme. Cette année encore les résultats de la cellule de renseignements financiers démontrent la valeur ajoutée du renseignement financier dans le dispositif d’ensemble de lutte contre la menace terroriste. En 2017, Tracfin a traité 1 379 déclarations portant directement sur des soupçons de financement du terrorisme (+ 17 %) et externalisé 685 notes (+ 73 %), dont 459 aux services de renseignement et 226 aux services judiciaires. Tracfin entretient des relations opérationnelles suivies avec la Section anti-terroriste du parquet de Paris. En 2017, Tracfin a reçu et analysé 71 070 informations (+ 10 % en 1 an). Ces enquêtes ont débouché sur l’externalisation de 2 616 notes (+ 38 %) à l’autorité judiciaire et aux autres partenaires. Les chiffres d’activité de Tracfin entre le 1er janvier et le 31octobre 2018 montrent une nouvelle progression : 65 509 informations reçues (+ 13 % par rapport à la même période 2017). Sur cette même période, le service a transmis 2 727 notes d’information (+ 28 %) à ses partenaires. « La montée en puissance des capacités d’analyse du renseignement financier est indispensable à l’amélioration de la détection en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, les fraudes et le financement du terrorisme », précise le rapport.

Des méthodes de fraude en perpétuelle mutation

Le rapport « Tendances et analyse des risques de blanchiment et de financement du terrorisme en 2017/2018 » de Tracfin analyse les principales typologies de fraudes et de risques émergents traités par le service, identifiés notamment grâce aux informations reçues. Le rapport 2017/2018 suit l’évolution de certaines menaces déjà signalées par Tracfin en 2015 et 2016 et met en exergue de nouveaux domaines sensibles en matière de risques de blanchiment de capitaux, de fraudes et de financement du terrorisme. Ce nouveau rapport souligne notamment la valeur ajoutée du renseignement financier dans le dispositif d’ensemble de lutte contre la menace terroriste et la persistance du développement des escroqueries commises en bande organisée. Si les volumes constatés en matière de pratique des faux ordres de virement (FOVI) semblent décroître, le niveau de risque reste élevé. Après les fausses offres d’investissement sur le marché des changes (Forex), on enregistre une deuxième vague de risque émergente concernant les diamants ou le bitcoin. Le resserrement de la réglementation concernant les certificats d’économie d’énergie (CEE) pousse les fraudeurs à se réinventer. Autant de visage de l’escroquerie qui se renouvellent pour continuer de créer des préjudices économiques et financiers importants, malgré l’effet de la prévention et de la répression. « Il faut continuer d’alerter et de sensibiliser le grand public aux risques d’escroqueries », souligne le rapport.

Entraver le blanchiment de capitaux illicites par les canaux bancaires

Les fraudes fiscales, sociales ou douanières commises au sein de sociétés ayant une activité économique réelle constituent une autre source importante de capitaux à blanchir : activité non déclarée, minoration de chiffre d’affaires, travail dissimulé, abus de biens sociaux, importation ou exportation sans déclaration douanière, escroqueries à la TVA, etc. Les fonds bancarisés issus de ces escroqueries et de la fraude sont le plus souvent blanchis par des réseaux de sociétés éphémères ou sociétés taxis destinés à transférer les fonds vers l’étranger, via des comptes rebonds ouverts le plus souvent en Europe de l’Est. « L’efficacité de ces réseaux ne repose pas sur des produits financiers complexes mais sur le fractionnement et la rapidité d’exécution de leurs opérations », souligne le rapport.

Réguler le secteur des crypto-actifs aux plans national et international

Pour la cellule de renseignements financiers, les crypto-actifs présentent des risques élevés avérés en matière de fraude et de blanchiment de capitaux : utilisation de crypto-actifs garantissant l’anonymat et la non-traçabilité, blanchiment de fraude fiscale, exercice illégal de la profession d’intermédiaire en opérations de banque et de services de paiement, escroqueries (manipulations de cours, sites frauduleux d’investissements en bitcoins), cyberattaques et ransomwares payables en crypto-actifs ; commerce de produits illicites sur le darkweb… Le projet de loi PACTE, en cours de discussion au Parlement, consacre son article 26 à la mise en place d’une régulation du secteur des crypto-actifs. Il définit cinq catégories de services liés aux actifs numériques et pouvant s’apparenter à des services financiers, désigne un superviseur, et propose des obligations d’agrément ou d’enregistrement pour les différents acteurs concernés.

Renforcer la transparence des associations à caractère non lucratif

Enfin, Tracfin pointe des risques avérés sur certains secteurs d’activité particulièrement sensibles, notamment le manque de transparence générale des règles applicables aux associations en termes d’organisation, de publicité et de relations financières. Certaines structures associatives peuvent présenter des risques en matière de financement du terrorisme mais également de radicalisation, nécessitant une réflexion sur l’adaptation du cadre juridique. L’examen du secteur associatif, sous l’angle financier, montre le manque de transparence générale des règles applicables aux associations en termes d’organisation, de publicité et de relations financières, en particulier pour les personnes morales ou autres organisations dont l’activité principale est de lever des fonds et de financer des projets de bienfaisance, religieux, culturels, éducatifs, sociaux ou fraternels.

Certaines structures associatives peuvent présenter des risques en matière de financement du terrorisme mais également de radicalisation. « Si la liberté d’association est une liberté fondamentale reconnue par la Constitution, il apparaît nécessaire de réfléchir à l’adaptation de leur cadre juridique », conclut le rapport. À cet égard, Tracfin propose de créer une obligation d’inscription dans un registre unique, centralisé et numérisé. Autre recommandation : créer des obligations annuelles de publication comptable (bilan, compte de résultat, annexe relative aux dons, legs et libéralités), éléments qui seraient intégrés au registre unique. Tracfin préconise également de supprimer le seuil d’audit légal dans les associations (fixé aujourd’hui à 153 k€ de subventions publiques) pour le remplacer par un audit légal spécifique, incluant la vigilance LCB/FT, qui pourrait être appliqué dès le premier euro d’argent public versé.

Lutter contre l’opacité du marché de l’art

Avec un montant total adjugé de 3 Md€ d’euros, la France occupe la sixième place au sein d’un marché de l’art très dynamique. Et ce volume des ventes est en nette progression (+ 5,2 % par rapport à l’année précédente). Tracfin souligne que le secteur du marché de l’art comporte des risques élevés en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, compte tenue de l’opacité de certaine pratiques (internationalisation des flux, nature spéculative des œuvres d’art, volatilité des prix, transactions en espèces, enchères en ligne…). Et, précise le rapport « les professionnels n’ont pas mis en place de mesures d’atténuation adéquates, qu’il s’agisse des professions régulées (commissaires-priseurs judiciaires, sociétés de ventes volontaires) et a fortiori des professions non régulées (antiquaires, galeristes) ». La participation des professionnels du secteur au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme reste très limitée. Et la culture de conformité est encore peu intégrée dans les pratiques professionnelles du secteur. Tracfin se mobilise pour informer et former ces acteurs mais les risques restent minimisés par une partie importante de la profession. Le rapport recommande de faire évoluer le régime juridique du livre de police et d’en organiser la numérisation.

Lutter contre les fraudes fiscales et sociales

La cellule de renseignements financiers joue un rôle de détection important en matière fiscale, en particulier grâce à la coopération internationale qui permet d’identifier des comptes ou des avoirs à l’étranger que l’administration fiscale n’a pas toujours les moyens de connaître. En 2017, la question fiscale constitue le soupçon principal de plus de 20 000 déclarations de soupçon (soit 29 % des déclarations reçues). Sur ce volume, la moitié ont trait à une activité occulte ou une minoration d’affaires, et un tiers à des problématiques patrimoniales (donations non déclarées, détention de compte ou d’avoir à l’étranger et minoration de l’ISF). Le précédent rapport mettait l’accent sur la détection des avoirs non déclarés à l’étranger, et les abus de droit liés à l’utilisation du plan d’épargne en actions (PEA) ou aux donations avant cession. Tracfin souligne dans le présent rapport le caractère toujours endémique des fraudes à la TVA, qui constituent un enjeu financier de premier ordre. S’agissant des personnes physiques, Tracfin souligne les risques de fraude sur les droits de succession, les droits de mutation et l’imposition des revenus de capitaux mobiliers (RCM).

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