L’essor continu des fondations dans le secteur de la philanthropie

Publié le 05/05/2022
Philanthropie
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Le dynamisme du secteur de la philanthropie ne faiblit pas. Nombre de structures en hausse, poids économique renforcé : après deux ans de crise sanitaire le désir d’agir pour l’intérêt général n’a jamais été aussi fort depuis deux décennies.

La Fondation de France a dévoilé le 7 avril dernier son nouveau Baromètre annuel de la philanthropie, réalisé par l’Observatoire de la philanthropie. Présente sur tous les territoires, la Fondation de France est le premier réseau de philanthropie en France. Son baromètre met en évidence la très forte croissance du nombre des fondations, en deux décennies. Depuis 2001, le nombre de fondations a été multiplié par 2,5 pour atteindre près de 2 800 structures actives en 2021. Cette progression est essentiellement liée aux fondations d’entreprise, lesquelles sont six fois plus nombreuses et aux fondations abritées, dont le nombre a triplé. Si on intègre les fonds de dotation à l’ensemble des fondations, leur nombre atteint près de 5 000 structures, lesquelles ont engagé collectivement 11,9 milliards d’euros de dépenses pour l’intérêt général en 2020.

Le poids des fondations

On note de façon générale une très vive croissance globale du secteur. Aujourd’hui, les fondations abritées et les fonds de dotation, dont la création date de 2008, représentent les trois quarts des structures philanthropiques en France. Autre indicateur de la montée en puissance du secteur philanthropique : l’augmentation du poids économique des fondations. En près de 20 ans, les actifs des fondations comme leurs dépenses ont été multipliés par quatre, atteignant 32 Mds € d’actifs et 11, 9 Mds € de dépenses en 2020 (contre 8 Mds € d’actifs et 3,1 Mds € de dépenses en 2001). Si cette vitalité du secteur est encourageante, souligne les équipes de la Fondation de France, il faut toutefois noter que certaines fondations ont subi, du fait de la crise sanitaire, une baisse de leurs ressources, notamment les structures opératrices ou de taille modeste. Pour la Fondation de France, une telle tendance témoigne de la force de l’engagement privé, particulier comme entreprises, pour l’intérêt général après cette période de crise sans précédent. « Le dynamisme du secteur de la philanthropie n’a pas faibli pendant la crise sanitaire, bien au contraire ! », souligne à cet égard Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation de France. « Il démontre la confiance des acteurs privés dans la capacité de la philanthropie à répondre aux enjeux actuels de notre société, à avoir un impact sur le monde qui les entoure. Cette volonté de s’engager est aussi forte pour les particuliers que les entreprises, et pour ces dernières, la crise a même joué un rôle d’accélérateur », conclut-elle.

Un contexte fiscal favorable : la loi Aillagon

Comment expliquer un tel dynamisme ? Plusieurs facteurs sont sans doute à l’œuvre. Le premier d’entre eux est sans doute constitué l’évolution du cadre fiscal et juridique. Le législateur a à plusieurs reprises facilité l’engagement des particuliers ou des entreprises. Les dispositions issues de la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture et de la Communication initiateur du texte ont permis au mécénat d’entreprise de prendre son essor grâce à un régime fiscal particulièrement attractif. Dans son rapport sur les niches fiscales de 2011, l’Inspection générale des finances a d’ailleurs jugé la réduction d’impôt sur les sociétés au titre des dons aux œuvres ou organismes d’intérêt général « relativement efficiente » (Rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011). Le régime de droit commun mis en place en 2003 destiné à favoriser le mécénat d’entreprise est assorti de mécanismes spécifiques dédiés à l’action des entreprises dans le domaine de l’art et de la culture. Il permet aux entreprises de bénéficier d’une réduction ou d’impôt sur le revenu (IR) d’impôt sur les sociétés (IS) égale à 60 % des sommes données ( CGI, art. 238 bis). Cette réduction est cependant plafonnée puisque les dépenses retenues ne peuvent excéder 20 000 euros ou 5 ‰ du chiffre d’affaires total hors taxes de l’entreprise mécène, lorsque ce dernier montant est plus élevé, en cas de dépassement de ce plafond, il est possible de reporter l’excédent de réduction d’impôt sur les cinq exercices suivants. Les dons effectués par les entreprises doivent être adressés à un organisme d’intérêt général tel qu’une fondation ou une association, un établissement d’enseignement, une collectivité publique ou locale, etc. Des régimes spécifiques ont été mis en place pour l’acquisition de trois types de biens culturels : les trésors nationaux, les œuvres originales d’artistes vivants, et les instruments de musique. Au sein même du régime de droit commun, les textes distinguent entre les associations dites « Amendement Coluche » qui bénéficient de dispositions plus favorables depuis l’adoption de la loi de finances pour 1989 et les autres associations d’intérêt général. Le champ des associations Coluche s’est d’ailleurs progressivement élargi pour englober des associations de plus en plus variées.

Des évolutions législatives

La dernière loi de finances pour 2020 a cependant marqué le premier reflux du dispositif incitatif du mécénat réduisant la réduction de l’impôt sur les sociétés de 60 à 40 % pour certaines des dépenses des plus grandes entreprises. Ce texte a également limité l’attractivité du mécénat de compétences. Néanmoins, avec l’instauration d’un plafond de 10 000 euros en 2019 puis de 20 000 euros en 2020, le législateur a favorisé l’action philanthropique des TPE qui étaient jusqu’à présent limités par le plafond historique de 0,5 % du chiffre d’affaires. Autre élément décisif, la loi TEPA du 21 août 2007 pour la relance économique, qui a mis en place la réduction d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui dès 2009 a permis de mobiliser plus de 50 millions d’euros de dons au bénéfice des établissements de recherche ou d’enseignement supérieur ou artistique, fondations reconnues d’utilité publique, entreprises d’insertion et entreprises de travail temporaire d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion… versés par 19 000 contribuables, ce qui a représenté 38 millions d’euros de réduction d’impôt (dispositif ISF – Don codifié à l’article 885-0- V bis du CGI). Ce dispositif incitatif a été prolongé sous la forme du dispositif IFI-Don. Autre texte d’importance, la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 qui a défini le périmètre de l’économie sociale et solidaire (ESS), un mode d’entreprendre et de développement économique, adapté à tous les domaines de l’activité humaine, reconnaissant les fondations comme l’une des quatre grandes familles statutaires de l’ESS, une reconnaissance de la contribution du secteur au service des missions d’intérêt général en France.

L’essor des politiques de RSE

Autre facteur causal significatif, le développement des politiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), traduction du concept de développement durable à travers trois piliers : sociaux, environnementaux et économiques, qui a joué un rôle moteur dans la croissance des fondations d’entreprise. La complémentarité des approches RSE et de la philanthropie permet aux entreprises de s’engager de façon globale et cohérente pour l’intérêt général. Depuis 2001, les sociétés, dont les titres sont cotés sur un marché réglementé, ont l’obligation d’informer sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales dans leur activité. Ces obligations s’étendent progressivement à l’ensemble des entreprises. Les entreprises non cotées dont le total du bilan ou le chiffre d’affaires net est supérieur à 100 M€ et comptant plus de 500 salariés doivent s’y conformer pour les exercices ouverts après le 31 décembre 2013. Les TPE PME, même si elles ne sont pas pour l’instant soumises à ces obligations de reporting, sont cependant de plus en plus nombreuses à s’engager volontairement dans une démarche RSE. Pour ces entreprises, leur engagement RSE constitue une opportunité d’actions et de développement, un vecteur de sens et de mobilisation pour les équipes et un levier de performance. Dans ce cadre, le mécénat a toute sa place pour répondre aux ambitions de ces entreprises.

Une faveur grandissante pour les fondations abritées

Le législateur, en 1990, a limité l’appellation à trois formes d’organisations : la fondation reconnue d’utilité publique, la fondation d’entreprise et la fondation abritée par un organisme habilité. Le fonds de dotation, qui n’a pas l’appellation de fondation, est venu compléter cette palette de dispositifs généralistes en 2008. Entre 2006 et 2009, le législateur, pour favoriser le développement des fondations au service de la recherche et de l’enseignement supérieur, a créé quatre dispositifs spécialisés, directement inspirés des statuts préexistants : la fondation de coopération scientifique, la fondation universitaire, la fondation partenariale et la fondation hospitalière. On note un intérêt croissant pour les fondations abritées qui permettent à des mécènes de donner leur nom à un fonds ou à une cause, sans avoir besoin de réunir une dotation mais en se laissant la possibilité à moyen terme de donner naissance à une FRUP. C’est un modèle attractif pour les familles et les entreprises, notamment parce que ce statut particulier permet de bénéficier d’un accompagnement tant juridique que méthodologique, et ainsi, de mutualiser les expertises et les coûts. Il offre également aux fondateurs l’occasion de rejoindre un réseau, de s’ouvrir aux échanges et aux collaborations autour de causes communes. Les familles s’avèrent de plus en plus nombreuses à créer des fondations abritées, souligne les équipes de la Fondation de France. Il devient aujourd’hui fréquent de voir jusqu’à trois générations se mobiliser autour d’un projet philanthropique, réfléchi et construit en famille. Autre tendance forte, la création de fondations abritées par des entreprises, qui représentent, par exemple, près de la moitié des nouvelles fondations accueillies par la Fondation de France en 2021. Il s’agit essentiellement de PME qui se sont mobilisées en 2020 pour répondre à l’urgence de la crise sanitaire, et souhaitent désormais pérenniser cet engagement. Ces nouvelles fondations veulent apporter des réponses concrètes et efficaces face aux grands enjeux actuels de notre société. La volonté́ d’accompagner la transition écologique et de protéger la biodiversité́ est au cœur de l’engagement de près de 30 % des nouvelles fondations abritées à la Fondation de France. D’autres causes liées aux vulnérabilités sont également très présentes dans les missions des fondations. Notamment, la lutte contre les inégalités et les violences faites aux femmes, la précarité ou la santé mentale des jeunes, mais aussi l’éducation et la culture, particulièrement touchées ces deux dernières années.

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