Location à soi-même : attention à l’abus de droit

Publié le 02/02/2023
Maison, logement, famille
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L’abus de droit peut être retenu dans un ensemble d’opération ayant permis la conclusion de baux d’habitation d’une SCI familiale soumise à l’impôt sur le revenu, avec ses trois associés dans des conditions favorables, la création d’importants déficits fonciers et la non-imposition des autres revenus fonciers perçus par les associés.

Au cours de sa séance du 29 septembre 2022, le Comité de l’abus de droit fiscal a retenu la qualification d’abus de droit dans trois affaires de location à soi-même constituée dans le but de générer des déficits fonciers importants (CADF, 29 sept. 2022, aff. n° 2022-07, n° 2022-08 et n° 2022-09).

Des résultats fonciers sous-estimés

Dans les affaires n° 2022-07, n°2022-08 et n°2022-09, un frère et une sœur (M. Z et Mme W) détenaient en indivision une propriété bâtie, composée de maisons d’habitation et de dépendances, d’un parc d’agrément et des terres attenantes. Un bail d’habitation, tacitement renouvelable, portant sur une maison comprise dans la propriété, d’une superficie de 70 m², avait été conclu en 1992 par leur mère avec un tiers.

En juillet 2006, M. Z et ses deux enfants (M. X et Mme Y), ont constitué la société civile immobilière (SCI) A dont l’objet était l’acquisition, l’administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers et notamment de l’ensemble immobilier susmentionné. Ils ont apporté chacun à la SCI leur quote-part indivise de l’ensemble immobilier. Les deux enfants de Monsieur Z ont chacun apporté une somme de 231 875 euros représentant 25 % du capital de la SCI A. En 2009 et 2018, la SCI a souscrit deux emprunts bancaires (respectivement à 1 100 000 euros et 200 000 euros) pour financer des travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration de l’ensemble immobilier.

Des baux d’habitation signés entre la SCI et ses trois associés

Fin 2011, la SCI et Monsieur Z ont conclu un bail d’habitation portant sur l’occupation d’une partie d’une maison d’habitation à usage de résidence principale, moyennant un loyer annuel de 17 000 euros. Le locataire a bénéficié d’un allègement temporaire en raison des travaux (6 000 euros annuels de 2012 à 2014, puis 12 000 euros annuels en 2015 et 2016 et 17 000 euros annuels à compter de 2017). Fin 2013, deux autres baux d’habitation étaient conclus par la SCI avec ses associés. L’un avec Madame X, l’autre avec Madame Y. Il porte sur l’occupation d’une partie d’une maison d’habitation. Chacun portait une partie d’une maison d’habitation, moyennant un loyer annuel de 9 000 euros. Là encore, les locataires bénéficiaient chacune d’un allègement temporaire en raison des travaux (3 000 euros annuels en 2014, puis 6 000 euros annuels en 2015 et 2016 et 9 000 euros annuels à compter de 2017).

En 2016, 2017 et 2018, la SCI, transparente, déclarait des résultats fonciers déficitaires s’élevant respectivement (103 438 euros, 99 164 euros et 49 571 euros). Les charges (intérêts d’emprunt et de dépenses d’entretien, de réparation et d’amélioration) dépassaient largement les recettes locatives correspondant aux loyers facturés aux trois associés de la SCI ainsi qu’à une tierce personne.

La location pour créer du déficit foncier ?

Suite d’un contrôle sur pièces des déclarations de revenus de trois des associés (Monsieur X dans l’affaire 2022-07, Madame Y dans l’affaire 2022-08 et Monsieur Z dans l’affaire 2022-09), des années 2016, 2017 et 2018, l’administration a mis en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Elle a en effet estimé que « la location par cette SCI familiale à ses trois associés d’une partie des locaux de la propriété n’avait d’autre but que de permettre aux contribuables l’imputation des déficits fonciers de cette propriété, dont ils avaient conservé la jouissance, sur les autres revenus fonciers qu’ils ont retirés à raison d’autres immeubles détenus par une autre SCI familiale et, en faisant ainsi échec aux dispositions du II de l’article 15 du Code général des impôts, de minorer pour chacun d’eux leur impôt sur le revenu ». Ainsi, elle rejetait les déficits fonciers déclarés par la SCI pour les années 2016, 2017 et 2018 au titre des locaux des maisons d’habitation occupés par les associés.

Une application littérale et abusive de l’article 15 II, du CGI

Le Comité de l’abus de droit fiscal a donné raison à l’administration dans les trois affaires. Il considère que les loyers étaient volontairement sous-évalués, afin de permettre aux associés de constater un déficit foncier imputable sur leurs autres revenus fonciers.

Il concluait au contournement frauduleux des dispositions de l’article 15, II du Code général des impôts (CGI) dans un but exclusivement fiscal. Ce texte prévoit que « Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu ». Corrélativement, il s’en déduit que les charges correspondantes ne sont pas déductibles. Selon les travaux préparatoires de l’article 11 de la loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 de finances pour 1965, à l’origine de l’article 15, II du CGI, l’objectif poursuivi par le législateur était, d’une part, de simplifier le régime fiscal des propriétaires occupants compte tenu des difficultés qui s’attachent à l’évaluation des loyers implicites qu’ils se versent à eux-mêmes et, d’autre part, de faire obstacle à la déduction du revenu imposable de déficits fonciers susceptibles, dans cette hypothèse, de résulter de la surévaluation des charges et de la sous-évaluation des revenus.

Pour aboutir à cette conclusion, le Comité a constaté qu’en dehors de la location consentie à un tiers en 1992 avant la constitution de la SCI, qui ne possède que cet ensemble immobilier, les locations ont été toutes consenties par cette SCI exclusivement à ses trois associés, membres de la même famille, et qui ont occupé les biens loués à titre de résidence principale. Il note que les recettes globales perçues par la SCI proviennent dans une proportion très élevée des loyers versés par ces trois associés. Parallèlement, il relève que le montant total des dépenses déduites par la SCI au titre des travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration entrepris sur la propriété et des intérêts d’emprunts était significativement supérieur aux recettes. Le résultat foncier, était structurellement déficitaire depuis 2011.

Au surplus, les associés de la SCI A sont également associés dans les mêmes proportions dans une autre SCI B laquelle génèrent des revenus fonciers bénéficiaires depuis 2006. Du fait de l’imputation des déficits fonciers dégagés par la SCI A sur les bénéfices fonciers réalisés par la SCI B, « ces associés ont chacun minoré le montant de leur impôt sur le revenu et de leurs contributions sociales ».

Dans ces circonstances et alors même que le montant du loyer n’a pas été remis en cause par l’administration, le Comité estime que la SCI A ne s’est pas comportée avec ses associés comme avec un tiers et que les associés ont disposé du bien comme s’ils en étaient le propriétaire occupant. De la sorte, ils se plaçaient « dans une situation offrant les possibilités de sous-estimation des résultats fonciers que le législateur a entendu combattre ». Le Comité en déduit que cette application littérale des dispositions du II de l’article 15 du Code général des impôts allant à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, l’administration était fondée à remettre en cause les déficits fonciers issus de la SCI A. En conclusion, le Comité émet un avis favorable à l’abus de droit. Il considère également que l’administration est fondée à appliquer la majoration de 80 % prévue par l’article L64 du LPF.

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