Location saisonnière : attention aux règles en matière changement d’usage

Publié le 01/06/2023
Location saisonnière : attention aux règles en matière changement d’usage
Cari/AdobeStock

Le juge civil vient d’apporter d’utiles précisions en matière de location saisonnière. De nombreuses villes ont mis en place une réglementation contraignante afin de contrer l’augmentation des locations de courte durée. Le point sur ces évolutions jurisprudentielles.

Sous l’impulsion, de l’arrivée de la société californienne Airbnb en Europe en 2010, la progression de la location saisonnière en France s’est avérée exponentielle. D’ailleurs, la France s’est imposée comme le deuxième marché d’Airbnb derrière les États-Unis. Avec 9 millions de visiteurs et 10,3 milliards de retombées économiques cet acteur est devenu un poids lourd du marché du tourisme en France. D’autres plateformes d’intermédiations locatives y sont également très actives.

Un marché en pleine expansion

Entre 2011 et 2019, le nombre de meublés de tourisme est passé de 20 000 à plus de 80 0000 à Paris intra muros et le phénomène s’est progressivement répandu dans toute l’Île-de-France. En 2019, on recensait environ 120 000 annonces dans la région francilienne (Les locations saisonnières en Île-de-France – État des lieux d’avant-crise, mai 2021, https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/les-locations-saisonnieres-en-ile-de-france/). Si ce phénomène s’est d’abord développé dans les métropoles, il modifie peu à peu la géographie du tourisme en ouvrant de nouvelles possibilités à des territoires jusqu’alors peu concernés par cette manne économique comme les zones rurales. La très grande majorité des communes de moins de 2 000 habitants est dépourvue d’hôtels. Avec une offre de logement dispersée dans 29 000 communes françaises, Airbnb a un rôle clé à jouer. Dans les zones rurales, le nombre d’annonces a été multiplié par 37 entre 2012 et 2017. Les données de la plateforme californienne montrent que les hôtes ruraux en France ont gagné 450 millions d’euros depuis le début de la pandémie. Les plateformes d’intermédiation, participent donc activement au développement touristique de ces territoires.

Une réglementation qui s’est durcie

De nombreux propriétaires et même des locataires ont choisi de mettre leur bien en location de courte durée car la rentabilité brute des locations saisonnières est attractive. Cependant, le cadre juridique afférent aux locations de longue durée s’est progressivement durci afin de mieux réguler leur essor. Le cadre juridique applicable varie suivant la zone géographique où est situé le bien et suivant son statut de résidence principale ou secondaire. À l’exception d’une éventuelle procédure d’enregistrement selon les communes, il reste possible de louer sa résidence principale en meublé de tourisme jusqu’à 120 jours par an, sans effectuer de démarches particulières conformément à l’article L. 631-7-1, alinéa 5 du Code de la construction et de l’habitation. Selon l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la résidence principale est définie comme le logement occupé au moins 8 mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur où la personne avec laquelle il vit, soit par une personne à charge. Ainsi, à compter du 1er décembre 2017, dans le cadre de la modification du Code du tourisme par la loi pour une République numérique, la Ville de Paris a mis en place une procédure d’enregistrement par téléservice pour tout bien (logement entier ou chambre) faisant l’objet d’une location temporaire facturée à la nuit ou à la semaine. Les plateformes ont l’obligation de faire figurer sur l’annonce le numéro d’enregistrement, et de bloquer l’annonce dès lors que les 120 nuitées annuelles de location seront atteintes pour les résidences principales. Afin de permettre à ses propriétaires de respecter cette réglementation, dès le 1er janvier 2018, la plateforme Airbnb a mis en place un outil automatique et ciblé limitant la durée annuelle maximale de location sur le site à 120 jours par an pour les logements entiers situés dans les quatre très touristiques arrondissements centraux de Paris (75001, 75002, 75003 et 75004). Depuis le 1er janvier 2023, Airbnb, comme les plus importantes plateformes d’intermédiation locatives, bloque automatiquement les annonces pour les résidences principales au-delà de ce seuil de 120 jours à Paris ainsi que dans 17 autres villes situées en zone tendue, comme Lyon, Lille ou Bordeaux.

La notion de changement d’usage

Au-delà de ce seuil, la location est soumise aux règles de changement d’usage, comme c’est également le cas pour tous les biens détenus en résidence secondaire dès le premier jour de mise en location. Et afin de limiter l’attractivité des locations de courte durée, une réglementation contraignante s’applique à ce type de biens. Dans les villes de plus de 200 000 habitants, celles de plus de 50 000 habitants situées en zones tendues et les communes limitrophes de Paris, les investisseurs doivent obtenir une autorisation préalable de la mairie (à Paris, Lyon, Bordeaux…), avant de donner leur bien à bail. Dans des villes comme Paris, Lyon, Bordeaux ou encore Nice et Marseille, ils doivent en outre solliciter une autorisation de changement d’usage. À Paris et dans l’ensemble des trois départements de la couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne), cette autorisation préalable de la mairie pour louer à des touristes (art. L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation) est subordonnée à une mesure de compensation qui a pour but la préservation de l’équilibre entre l’habitat et les activités économiques. Il s’agit pour le propriétaire du bien d’affecter un local commercial qu’il détient en bien d’habitation d’une surface équivalente à celle de la résidence secondaire qu’il entend mettre en location. À défaut de détenir ou d’acquérir un tel bien, il peut présenter un titre de compensation ou de commercialité.

La notion de compensation renforcée

Ces règles de compensation peuvent être renforcées. Ainsi dans les arrondissements parisiens du centre et de l’ouest, chaque m2 d’habitation doit être doublement compensé (2 m2 pour 1 m2). Dans les arrondissements du centre, la moitié au moins de la surface du bien concerné doit être compensée au sein du même arrondissement. En outre, la compensation à apporter en cas de transformation de logement en meublé de tourisme doit être effectuée au sein du même quartier administratif que celui où se situe le logement supprimé. À défaut, le contrevenant, encourt une amende de 50 000 euros par logement loué irrégulièrement. En outre, une astreinte de 1 000 euros par jour et par m2 est prévue jusqu’à ce que le logement soit rendu à son usage initial. La Ville de Paris a récemment soumis à une autorisation préalable les transformations de commerce en rez-de-chaussée en meublés touristiques, pour lesquels elle constate une forte augmentation des demandes de changement de catégorie et a refusé 80 % de ces demandes. La Ville de Paris a récemment durci son règlement municipal relatif au changement d’usage de locaux d’habitation (règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations en application de la section 2 du chapitre 1er du titre III du livre VI du Code de la construction et de l’habitation adopté le 15 décembre 2021 par le Conseil de Paris et publié au Bulletin officiel du 6 janvier 2022) en introduisant un nouveau secteur renforcé pour la transformation de logements en meublés de tourisme : incluant Paris centre, Ve, VIe, VIIe, VIIIe, IXe, Xe, XIe et XVIIIe, au sein duquel il est désormais systématiquement exigé une compensation de 3 m² pour 1 m² de logement supprimé. En 2015, ce règlement avait défini un sous-secteur correspondant aux Ier, IIe, IVe, Ve ,VIe, VIIe, VIIIe, IXe arrondissement, au sein duquel 50 % de la surface transformée devait être compensée dans le même arrondissement. Ce sous-secteur est désormais étendu aux IIIe, XVIe etXVIIe arrondissements. Enfin, il était prévu que le nombre de logements offerts en compensation doit être au minimum identique au nombre de logements supprimés, une règle applicable dans les arrondissements du secteur de compensation renforcée qui n’étaient pas concernés par la règle des 50 % de compensation au sein du même arrondissement. Désormais, cette obligation est étendue à l’ensemble du secteur de compensation renforcée.

Des procédures nombreuses

À défaut, le contrevenant, encourt une amende de 50 000 euros par logement loué irrégulièrement. En outre, une astreinte d’un montant maximal de 1 000 euros par jour et par m2 est prévue jusqu’à la régularisation. Pour faire respecter cette réglementation, la Ville de Paris s’est mobilisée. Afin de faciliter ses contrôles, elle peut depuis le 1er décembre 2019 enjoindre aux plateformes de location type Airbnb de lui communiquer des informations précises, comme l’adresse du local, et chiffrées, notamment le nombre de nuitées mises en locations, qui lui servent d’éléments de preuve devant le tribunal. La Ville de Paris a multiplié les contrôles, quitte à s’adjoindre l’appui des forces de la police pour les mener à bien. En 2017, 5 000 logements avaient déjà été contrôlés, et 900 régularisations avaient pris effet. Plusieurs centaines de procédures commencées par la ville ont été gelées entre 2018 et 2021, dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sur la légalité de la réglementation applicable avec le principe communautaire de liberté de prestation de services. Le 22 septembre 2020, le juge communautaire a validé la réglementation nationale, justifiée par l’objectif de lutter contre la pénurie de logements, « une raison impérieuse d’intérêt général » et proportionnée à ledit objectif (CJUE, 22 sept. 2020,  aff. C-724/18 et C-727/18, Cali Apartments SCI et HX). Le 18 février 2021, la Cour de cassation a jugé, à la suite de la décision de la CJUE, que la réglementation de la Ville de Paris était conforme à celle de l’Europe et proportionnée au but poursuivi, à savoir assurer un logement à ses habitants permanents (Cass. 3e civ., 18 février 2021, n° 17-26156, Cali Apartments). Les procédures ont repris, plus de quatre cents affaires ont déjà été jugées. À l’automne 2022, le bilan était positif pour la ville : les deux tiers des jugements ont été prononcés en sa faveur, lui permettant de récupérer plus de 14 millions d’euros d’amendes. En outre, on observait un recul des locations saisonnières à Paris, d’après les chiffres de l’Observatoire des meublés touristiques à Paris : 43 000 annonces déclarées de locations de meublés touristiques, contre 50 000 en 2020.

Une responsabilité partagée

En cas d’infraction à cette réglementation comment partager les responsabilités entre plateforme d’intermédiation locative, propriétaire voire locataire en cas de sous-location ? Le juge civil vient de confirmer que la responsabilité d’Airbnb était engagée dans une affaire ou une locataire avait sous-loué son appartement situé dans le quartier du Marais à Paris sans l’accord de son propriétaire pendant 534 jours en 2016 et 2017 (CA Paris, 3 janv. 2023, n° 20/08067). La locataire et la plateforme ont été condamnées à payer au propriétaire la différence entre ses revenus issus de cette sous-location encaissés frauduleusement et les loyers réglés sur cette période, soit la somme de 19 540 euros. La plateforme qui doit « s’assurer du caractère licite des annonces publiées sur son site » a largement contribué à l’infraction, a souligné le juge d’appel confirmant ainsi le jugement rendu en première instance (TJ Paris, 5 juin 2020, n° 11-19-005405). La Cour de cassation s’est également pronocée sur le partage de responsabilité dans le cas d’une sous-location contrevenant aux règles de changement d’usage (Cass. 3e civ., 15 février 2023, n° 22-10187, Sté Habitat parisien) dans une hypothèse ou le locataire bénéficiait d’un bail l’autorisant expressément à sous-louer ce bien. La jurisprudence de la Cour de cassation précise traditionnellement qu’obtenir l’autorisation de changement d’usage avant la signature du bail relève de la responsabilité du propriétaire (Cass. 3e civ., 10 juin 2015, n° 14-15961). Ce dernier engage sa responsabilité en signant un bail autorisant expressément la sous-location d’un logement sans solliciter ce changement d’usage (Cass. 3e civ., 12 juillet 2018, n° 17-20654). Est-ce que cette règle décharge le sous-locataire de toute responsabilité ? La Cour de cassation répond par la négative à cette question. Pour la Cour de cassation, la société propriétaire d’un bien ne peut pas autoriser expressément la sous-location d’un logement sans solliciter ce changement d’usage. Dans cette affaire, si le bail garantissait la licéité de la sous-location, cela n’exonérait pas le sous-locataire de s’assurer que l’autorisation de changement d’usage avait bien été obtenue sauf à enfreindre lui aussi la réglementation en la matière. Le propriétaire et son locataire, sont donc tous deux condamnés à une amende civile pour avoir changé l’usage du local d’habitation.

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