Lutter contre la fraude fiscale

Publié le 14/04/2023
Lutte contre la fraude fiscale
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Comment renforcer l’efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale, améliorer la lutte contre la fraude à la TVA, sécuriser les dispositifs d’accès aux données et déployer de nouveaux outils pour lutter contre les montages abusifs au niveau international ? Voilà quelques pistes de réponses pour lutter contre la fraude fiscale venues du Sénat.

Comment contrer la fraude et l’évasion fiscales ? La mission d’information de commission des finances du Sénat présidée par Claude Raynal vient de rendre ses premières conclusions. Cette mission intervient près de quatre ans après l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Elle a donc eu pour ambition d’en établir un premier bilan, au même titre que des nombreuses dispositions adoptées en lois de finances. « L’arsenal normatif mis en place par la France pour lutter contre la fraude apparaît plutôt robuste », précise à cet égard la mission. De fait, ses travaux ne concluent pas à la nécessité d’une « révolution fiscale », mais à « la proposition d’ajustements et d’évolutions destinés à accroître la portée et l’efficacité des dispositifs mis en œuvre ».

Évaluer précisément la fraude fiscale

La mission préconise d’abord de renforcer l’évaluation de la fraude fiscale car le défaut d’évaluation actuellement constaté paraît préjudiciable à l’appréciation des résultats du contrôle fiscal. En effet, si les résultats  du  contrôle  fiscal  connaissent  une  hausse  tendancielle  depuis 2018,  après  plusieurs  années  de  baisse, il  demeure  cependant  difficile d’apprécier,   par   les   seules   données   des   montants   notifiés,   mis   en   recouvrement  ou  encaissés,  l’efficacité  de  la  lutte  contre  la  fraude  fiscale  en France. En effet, après avoir été affectés par la crise sanitaire, ces résultats ont connu un net rebond en 2021 (+38 % par rapport à 2018). La mission propose donc « de produire  et  publier,  d’ici  le  projet  de  loi  de  finances  initiale  pour 2024,   des   estimations   de   la   fraude   fiscale,   en   détaillant   la   méthodologie    utilisée.    Ces    évaluations,    confiées    à    l’Insee    et    à    l’administration   fiscale,   seront   ensuite   actualisées   chaque   année   et   intégrées  au  document  de  politique  transversale  relatif  à  la  lutte  contre  l’évasion fiscale et la fraude ».  En effet, souligne la mission, si   l’évaluation   de   la   fraude   fiscale   se   heurte   à   d’importantes difficultés     techniques     et     méthodologiques,     qui     sont     liées     aux     caractéristiques  même  de  la  fraude, un  phénomène  dissimulé, plusieurs  pays réussissent à produire des estimations de la fraude fiscale comme le Royaume-Uni, les États-Unis, ou encore l’Australie.

L’enjeu des données

En 2021, 45 %  des  contrôles  ont  été  programmés  par  le  biais  du  datamining.  La datamining connaît  une  forte  montée  en  puissance  depuis 2013. Et le volume des datas traitées s’accroît sensiblement. Le  Bureau  de  la  programmation  des  contrôles  et  analyse  des  données  du  service  de  la  sécurité  juridique  et  du  contrôle  fiscal  (SJCF)  a  reçu  6,2 téraoctets  de  données  utiles   en 2021.  « Si   le   gouvernement   estime   que   ces   méthodes   constituent   la principale source de progression pour les résultats du contrôle fiscal, leurs résultats concrets ne sont, pour autant, pas connus, ce qui empêche d’apprécier leur apport réel dans la programmation des contrôles », souligne la mission.  Elle préconise donc de créer   un   indicateur   de   performance   au   sein   de   la   mission   « Gestion  des  finances  publiques  »  sur  la  part  des  contrôles  programmés  par   recours   au   datamining   ayant   conduit,   d’une   part,   à   la   mise   en   recouvrement  de  droits  et  pénalités,  et,  d’autre part,  à  des  contentieux  à  enjeux. Si l’accès  aux  données  s’avère  essentiel  pour  accroître  l’efficacité  de  la lutte contre la fraude fiscale, la  mise  en  œuvre  de  dispositifs  d’accès  et  d’exploitation  de  données  doit  s’accompagner des  garanties  juridiques  nécessaires  afin  de  répondre aux exigences du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en matière de protection de données, rappelle en outre la mission.   Elle recommande  de modifier l’article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 afin que les agents de l’administration fiscale et des douanes puissent collecter les   données   publiquement   accessibles,   et   non   uniquement   librement   accessibles,  sur  les  plateformes  en  ligne  et  les  exploiter  au  moyen  de  traitements  automatisés  et  informatisés,  à  fins  de  recherche  d’éventuelles  infractions  graves  au  Code  général  des  impôts  et  au  Code  des  douanes,  en assortissant le dispositif de nouvelles garanties pour protéger la vie privée et  les  données  personnelles  des  contribuables.  Elle préconise également de prolonger ce dispositif expérimental de deux ans, soit jusqu’en février 2026.

Renforcer l’efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale

La mission revient sur la suppression du verrou de Bercy qui s’est traduite par un afflux de dossiers pour les parquets, avec une augmentation de près de 75 % des dossiers transmis par l’administration fiscale. Au regard de ce volume de dossiers, mais aussi du respect du principe de non bis in  idem sur  le  cumul  des  sanctions  fiscale  et  pénale,  la mission conclut à  la  nécessité  de  préserver  à  ce  stade  l’équilibre  trouvé  en 2018. Il n’est donc proposé ni de le modifier, ni de revenir sur les critères de dénonciation obligatoire. En revanche, la  réforme  du  verrou  de  Bercy  s’est  traduite  par  une  chute  de  l’activité  de  la  Commission  des  infractions  fiscales (CIF). Le  nombre  de  saisines  de  la  CIF  est  passé  de  964  en 2018  à 286 en 2021, soit une diminution de   –  71 % de son activité. La commission propose donc de diminuer le nombre de membres de la CIF.

En  revanche, souligne la mission, « il  est  primordial  de  continuer  à  déployer  des  outils   de   coopération   renforcée   entre   l’administration   fiscale   et   les   parquets : fiche d’accompagnement des dénonciations obligatoires, réunions trimestrielles  et  opérationnelles,  suivi  des  dossiers  transmis,  recours  aux  assistants spécialisés ». La mission recommande également de poursuivre le déploiement de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui permet de traiter  des  dossiers  de  fraude  complexe  et  de  la comparution  sur  reconnaissance  préalable  de  culpabilité (CRPC) permet,  quant  à  elle,  de  raccourcir  les  délais  de  traitement  des  dossiers  de  fraude, deux instruments qui ont  fait  leur  preuve  comme  outils à part  entière  de  la  politique  pénale  en  matière  de  lutte  contre  la  fraude  fiscale. La mission revient également sur la création du  Service  d’enquête  judiciaire  des  finances (SEJF), dont   la  qualité   des   travaux   d’enquête a   été   unanimement soulignée. Elle recommande d’augmenter,  par  redéploiement,  le  nombre  d’officiers  fiscaux  judiciaires,  d’une  quarantaine  actuellement  jusqu’à  les  doubler  à  l’horizon  de cinq ans. Le  service  apparaît  en effet actuellement sous-dimensionné  pour  répondre  à  la  demande  des  parquets  et  traiter les dossiers de fraude les plus complexes. La mission préconise également d’étendre    le    champ    de    compétences    des    officiers    fiscaux    judiciaires aux escroqueries à la TVA.

Poursuivre et amplifier les efforts déployés pour mieux lutter contre la fraude à la TVA

En matière de TVA, la mission constate des  avancées  depuis  la  loi  relative  à  la lutte  contre  la  fraude,  mais  la  persistance  de  schémas  de fraude complexe. Les  montants  recouvrés  au  titre  du  contrôle  fiscal  sur  la  TVA,  904 millions   d’euros   en 2021,   peuvent   toutefois   sembler   modestes   au   regard  des  estimations  de  la  fraude  à la  TVA  qui,  selon  l’Insee,  serait  comprise entre 20 et 25 milliards d’euros par an.  La  fraude  à  la  TVA  repose  en  effet  souvent  sur  des  schémas  de  fraude   complexes   et   difficiles   à   détecter,   telle   que   la   fraude   dite   « carrousel »,  qui  consiste  à  créer  des  droits  fictifs  au  remboursement  de  la  TVA,  par  l’émission  de  fausses  factures  par  des  sociétés  éphémères.  L’essor du  commerce  électronique  sur  les  plateformes  numériques  est  également  source   d’une   importante   fraude   à   la   TVA. La mission propose de tirer  les  conséquences  du  transfert  de  compétence  à  la  DGFiP  du recouvrement de la TVA à l’importation, en favorisant l’automatisation des  échanges  de  données  entre  la  Douane  et  la  DGFiP. Elle préconise en outre de permettre  aux  agents  de  la  Douane  d’accéder  automatiquement  aux informations relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs lors de la procédure de détaxe sur la TVA, sous réserve d’un encadrement strict en matière de protection des données personnelles. Enfin, elle suggère de conforter    la    procédure    de    suspension    du    numéro    de    TVA    intracommunautaire en étendant son champ d’application à de nouveaux schémas de fraude à la TVA. Elle recommande en outre d’évaluer   la   robustesse   et   l’efficacité   du   guichet   unique   à   l’importation,   dans   l’optique   à   terme   d’une   possible   généralisation  et  de  permettre  une  collecte  plus  efficace  de  la  TVA  à  l’importation. Elle conseille également de modifier  les  dispositions relatives au droit de visite des agents de la Douane en assortissant l’exercice de   cette   prérogative   de   toutes   les   garanties   juridiques   nécessaires.

Renforcer les outils de lutte contre  les montages fiscaux abusifs

Au lendemain  des dossiers de « Leaks » et de « Papers » publiés par la presse, la commission fait le constat de la multiplication des schémas fiscaux abusifs à l’échelle internationale. Il  est  extrêmement  difficile pour l’administration fiscale et pour la justice de traiter de ces affaires, les obstacles  s’avérant  nombreux :  délai  de  prescription,  absence  de  résidence  fiscale  en  France  coopération  internationale  très  lente,  montages  financiers  complexes.  Ces difficultés expliquent les faibles taux de recouvrement des droits éludés, sur des  affaires  portant  potentiellement  sur  des  milliards  d’euros. La mission propose d’envisager, au niveau international, une réflexion sur la création d’un dispositif de « name and shame » envers les pays ne jouant pas le jeu de  la  coopération  en  matière  d’échanges  d’informations,  en  complément  des listes européennes d’ETNC. Elle recommande de veiller     à     l’application     des     sanctions     pour     défaut     de     renseignement  du  registre  des  bénéficiaires  effectifs, de publier chaque année des statistiques concernant leur application, d’élaborer   un   outil   permettant   de   croiser   les   données   relatives   au   registre   des   bénéficiaires   effectifs   avec   d’autres   données,  notamment  celles  du  cadastre, idéalement au  niveau  européen  pour  que  les  informations  soient  les  plus  complètes possibles. La mission préconise en outre mener     une     évaluation     approfondie     de     l’efficacité     des     obligations   de   transparence   à   l’égard   des   intermédiaires   financiers introduites par la directive « DAC 6 », et sous réserve des résultats de cette évaluation, réfléchir à l’introduction d’un nouveau critère d’inscription sur la  « liste  noire  »  de  l’Union  européenne  portant  sur  l’existence  ou  non  de  règles    de    transparence    applicables    aux    intermédiaires    financiers. Enfin, elle recommande de réviser    les    conventions  fiscales  internationales  prévoyant  un  taux  de  retenue  à  la  source  nul  sur  les  dividendes,  et  ce  afin  de  prévenir  tout  abus  fiscal.

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