Seine-Saint-Denis (93)

Mécénat de compétence dans le secteur public : une expérience innovante en Seine-Saint-Denis

Publié le 21/11/2022
Mécénat, dons
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Le mécénat de compétence est désormais ouvert au secteur public. Pionnier en la matière le département de la Seine-Saint-Denis (93) l’expérimente depuis 2020. Retour sur une initiative porteuse de sens.

Le mécénat de compétences consiste en la mise à disposition, sur leur temps de travail, de salariés d’une entreprise au profit d’une association, d’une fondation ou de tout organisme d’intérêt général. Ce transfert gratuit de compétences peut prendre la forme d’un prêt de main-d’œuvre ou d’une prestation de services. C’est donc une forme de mécénat en nature.

Le succès du mécénat dans le secteur privé

Dans le secteur privé, le mécénat de compétence possède un cadre juridique bien défini. Il s’agit de la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations dite loi Aillagon qui permet aux entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés selon un régime réel d’imposition de bénéficier d’une réduction d’impôt de 60 % du montant des versements pris dans la limite de 0,5 % de leur chiffre d’affaires. Les entreprises ont l’habitude de recourir au mécénat de compétence. Il permet de valoriser les savoir-faire de l’entreprise et de renforcer son intégration à son environnement, tout en développant et renforçant les compétences des salariés. D’après la dernière édition du Baromètre du mécénat de compétences (IFOP Opinion pour l’Alliance pour le mécénat de compétences, janvier 2021), 54 % des grandes entreprises pratiquent le mécénat de compétence. Il en est de même pour 22 % des ETI et 18 % des PME. L’entreprise met ses collaborateurs à la disposition d’un organisme d’intérêt général, lesquels vont mobiliser à son profit pour un temps leurs compétences ou leur force de travail. Cette mise à disposition se fait sur le temps de travail, dans des conditions fiscales favorables pour l’entreprise. Le mécénat de compétences permet de redonner du sens au travail pour les entreprises qui souhaitent s’engager. Les entreprises ont un rôle à jouer sur les questions d’intérêt général, pensent 97 % des salariés. Et 37 % des salariés ayant exercé une mission de mécénat de compétence estiment que cette expérience les a remotivé dans leur travail. 78 % d’entre eux estiment que leur compréhension des valeurs de l’entreprise et leur attachement à celle-ci ont augmenté au détours de leur mission d’intérêt général.

Un premier plan de mécénat de compétence en Seine-Saint-Denis initié lors de la pandémie…

Dans le secteur public, le mécénat de compétence est moins connu, moins utilisé et moins balisé. Pourtant des collectivités publiques commencent à y recourir. C’est le cas du département de la Seine-Saint-Denis qui mène une expérience innovante en la matière. À la suite du premier confinement, un plan de rebond solidaire et écologique a été mis en place. Il s’agissait pour le conseil départemental de Seine-Saint-Denis de financer les organismes sans but lucratif (OSBL) de son territoire à hauteur de 55 millions d’euros, via trois fonds d’aide solidaires. Le soutien à ces OSBL qui mènent des actions d’intérêt général en direction des 1,6 million d’habitants du département s’inscrit dans la crise du coronavirus qui a durement affecté le département. Au-delà d’un simple soutien financier, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis a souhaité aller plus loin en engageant ses quelque 7 000 agents dans une démarche de volontariat et de mécénat de compétences. Un plan inédit pour le volontariat et le mécénat de compétences des agents du département pour soutenir la vie associative et citoyenne a donc été lancé. De manière exceptionnelle et unique à l’échelle des collectivités publiques, il est accordé à chaque agent du département de Seine-Saint-Denis le droit, sur son temps de travail avec maintien de salaire, de consacrer une demi-journée par semaine à des actions de volontariat ou de mécénat de compétences dans des structures œuvrant en Seine-Saint-Denis dans les champs des solidarités. Le département apporte ainsi aux acteurs de l’intérêt général les ressources et les compétences de plus de 7 000 agents, un soutien correspondant à près de 15 millions d’euros d’aide en nature pour les accompagner dans la reconstruction et la relance du territoire. Il s’agissait de pérenniser avec ce plan des initiatives prises par des agents lors du premier confinement, notamment le suivi de personnes âgées et handicapées afin de lutter contre l’isolement.

… pérennisé dans le cadre du dispositif « Agents solidaires »

En octobre 2020, la Seine-Saint-Denis a lancé le dispositif « Agents solidaires », un dispositif inédit de mécénat de compétence qui permet aux agents de se s’engager auprès d’associations du territoire partenaires du dispositif comme le Secours Populaire, les Restos du Cœur, Article 1, Parrains par Mille, Proxité, France Parrainage, Un enfant, une famille. Le nombre, d’associations partenaires disponibles est destiné à s’étoffer progressivement. Le temps que les agents départementaux peuvent donner varie d’une demi-journée à deux jours par mois. Il est pris sur leur temps de travail avec un maintien de salaire. L’expérimentation est ouverte à tous les agents du département, quel que soit leur statut, fonctionnaire, contractuel, apprenti ou stagiaire et quelle que soit leur catégorie d’emploi. Pour Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis, les agents du département ont été particulièrement présents auprès de la population « faisant ainsi l’honneur du service public local ». La mise en place de ce dispositif inédit de mécénat de compétences a pour objectif de leur laisser la possibilité « de s’engager de façon pérenne auprès d’associations de leur choix ». Cette initiative vient également en soutien des actrices et acteurs associatifs, particulièrement mobilisés pendant la crise dont « l’activité est plus que nécessaire aujourd’hui pour faire la solidarité ».

Des freins juridiques

Ce dispositif est né d’une volonté politique forte, un an après sa mise en place, près de 60 agents de 21 directions, tous métiers confondus, toutes catégories administratives, avaient déjà apporté leur soutien à des OSBL de solidarité, mais aussi pour l’accès aux droits ou pour la transition écologique. La période de crise a permis paradoxalement au département de mener une expérience inédite en faisant preuve d’agilité et avec une plus grande fluidité notamment dans les processus de décision. Mais la question du cadre juridique restait intacte en dépit des efforts de la direction juridique des Hauts-de-Seine pour trouver la meilleure solution possible. Aucune solution juridique n’existait pour la mise à disposition des agents du département pour les OSBL. Fallait-il faire signer une convention à chaque agent avant de la faire valider par l’assemblée départementale… Comment mettre au point un système d’avance et de remboursement des salaires des agents avec les OSBL ? Autant de questions à résoudre pour mener cette expérimentation. Pour la faciliter et garder une vraie flexibilité, le département a imaginé utiliser un système d’autorisation spéciale d’absence, qui permet à tout agent de la collectivité, quel que soit son statut, son niveau de compétences ou sa catégorie (A, B ou C) de s’engager deux jours/mois ou quatre demi-journées sur leur temps de travail avec un maintien de salaire. Ce choix permettait de faciliter le maintien de salaire et d’éviter aux OSBL des lourdeurs administratives. Mais en l’absence de cadre juridique dédié, comment pérenniser cette initiative. Et si plusieurs collectivités publiques se sont intéressées à cette expérimentation, elle reste difficile à généraliser.

L’apport de la loi 3DS

Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dite Loi 3DS) est venue combler ce vide juridique en ouvrant le mécénat de compétences, au secteur public à travers la mise à disposition de fonctionnaires, sous la forme d’une expérimentation de cinq ans. L’expérimentation a pour objectif d’évaluer le volume d’agents de l’État intéressés par le dispositif et donc de juger de la nécessité de sa généralisation à l’issue de la durée prévue. Pour le législateur la mise à disposition de fonctionnaires auprès d’associations ou de fondations reconnues d’utilité publique permet aux administrations de développer de nouvelles relations avec les associations, les fondations et les territoires et donne la possibilité aux fonctionnaires de l’État de mettre leurs compétences au service de causes qui leur tiennent à cœur et enrichirait leurs parcours. Le texte s’applique aux fonctionnaires de l’État, des départements, des régions des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes de plus de 3 500 habitants. Ces agents de la fonction publique peuvent être mis à la disposition d’œuvres ou d’organismes privés d’intérêt général ainsi que d’associations et de fondations reconnues d’utilité publique. La mise à disposition est prévue pour une durée qui ne peut excéder 18 mois, renouvelable dans la limite d’une durée de 3 ans. Il revient à la hiérarchie d’apprécier la comptabilité de l’activité envisagée au sein de l’organisme d’accueil avec les fonctions exercées par le fonctionnaire concerné au cours des trois années précédentes et les fonctions que le fonctionnaire s’apprête à remplir à son retour dans son administration d’origine. Si cette mise à disposition ne donne pas lieu à remboursement par l’organisme d’accueil, elle est considérée comme une subvention. Si la subvention dépasse un seuil défini par décret, l’administration mettant à disposition un agent doit conclure avec l’organisme d’accueil une convention. Chaque année, un état des fonctionnaires mis à disposition est établi par les structures publiques comme par les structures bénéficiaires. Il est annexé au budget et communiqué à l’assemblée délibérante avant l’examen du budget de la personne publique.

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