Moins-value en vue pour les biens situés au bord de la mer
Le recul du trait de côte, un phénomène naturel accentué par le changement climatique menace d’inondation de nombreux biens situés sur le littoral. De quoi déstabiliser profondément les marchés immobiliers concernés. L’État commence à doter les communes d’outils spécifiques pour faire face à ce risque.
D’après une étude publiée en février 2022 par une start-up française spécialisée dans l’évaluation des risques climatiques, Callendar, parmi les transactions de biens conclues entre mi-2016 et mi-2021, 15 000 biens deviendront inondables avant le milieu du siècle, c’est-à-dire avant la fin de la durée moyenne de détention ! Pour parvenir à cette conclusion, Callendar a analysé 16 millions de transactions immobilières conclues entre mi-2016 et mi-2021. Embouchure de la Seine, côte atlantique, côte méditerranéenne : la position et l’altitude des biens vendus ont été croisées avec des projections locales sur l’élévation du niveau de la mer dans 6 scénarios différents. Les propriétaires d’un bien situé en bord de mer comme les porteurs d’un projet immobilier sur le littoral doivent dès maintenant anticiper un risque de décote sur leur bien.
La notion de trait de côte
Le trait de côte peut se définir comme la limite entre la terre et la mer. Sur une carte marine, il correspond à l’intersection de la terre et de la mer lors d’une marée haute dans des conditions météorologiques normales. Lorsqu’on étudie sa fluctuation on prend en général en considération moins une ligne qu’une bande côtière de largeur variable, qui s’étend du domaine marin au domaine continental et permet de mieux rendre compte de la diversité des environnements littoraux (côtes sableuses, rocheuses, baies, estuaires, etc.). Dans ces conditions le trait de côte peut correspondre à la limite de la végétation, au pied ou au sommet d’une falaise, à un ouvrage de protection construit le long du littoral, etc.
L’érosion du trait de côte
À l’interface entre terre et mer, le littoral ne constitue pas un milieu immuable. C’est un espace en perpétuel mouvement. Il fluctue sous l’effet combiné de processus naturels et de l’action de l’homme, qu’il s’agisse de la construction de digues le long du littoral qui viennent fixer localement le trait de côte, d’apport de sable, d’assèchement de marais, etc. L’érosion des côtes est un phénomène naturel dû aux effets du vent, des courants ou des variations du niveau de la mer. L’érosion des côtes est accentuée par les activités humaines et le changement climatique (hausse du niveau des mers et intensité des phénomènes climatiques extrêmes comme les tempêtes.). Elle fait reculer le trait de côte. Un cinquième des côtes françaises est soumis à l’érosion. D’ici 2100, au moins 50 000 logements seront concernés. Ce changement est certain et les outils de protection, comme les digues, longtemps utilisées n’ont qu’une efficacité au mieux limitée face à ce phénomène. Le recul du trait de côte impose de penser l’urbanisation en anticipant la relocalisation progressive des habitations et des activités. Un défi d’autant plus difficile à relever pour les pouvoirs publics que la densité de population sur les côtes est 2,5 fois élevée que la moyenne nationale.
Une information renforcée pour les propriétaires et les locataires
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comporte à son chapitre V un volet dédié à l’érosion du trait de côte (art. 236 à 250). Ce texte a renforcé l’information dans les zones exposées au recul du trait de côte pour les acquéreurs et les locataires. Depuis le 1er janvier 2023, les annonces immobilières doivent préciser sur leurs annonces si le logement se situe dans une zone exposée au recul du trait de côte et mentionner le site https://www.georisques.gouv.fr/ où les locataires et les acheteurs peuvent se renseigner sur les risques auquel les logements qui les intéressent, sont exposés. (D. n° 2022-1289 du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques, JORF n° 0231 du 5 octobre 2022).
L’article L. 125-5 du Code de l’environnement inclut désormais dans l’état des risques naturels et technologiques l’information sur les zones concernées par le risque de recul du trait de côte. Cette mesure est entrée en application au 1er janvier 2023.
L’état des risques doit être remis au futur acquéreur ou au futur locataire dès la première visite du bien. L’état des risques doit également être intégré au dossier de diagnostic technique (DDT). Lorsque la vente porte sur un immeuble non bâti, il doit être annexé à la promesse ou, à défaut de promesse, à l’acte authentique de vente. Il doit aussi être annexé à l’acte authentique de vente ou au contrat préliminaire en cas de vente en l’état futur d’achèvement. À défaut de remise de l’état des risques à l’acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente ou du contrat préliminaire, le délai de rétractation de l’article L. 271-1 du CCH ne cours qu’à compter du lendemain de la communication de ce document à l’acquéreur. Et le délai de réflexion de l’article L. 271-1 du CCH ne cours qu’à compter du lendemain de la communication de ce document à l’acquéreur si l’acte authentique n’a pas été précédé d’une promesse de vente ou d’un contrat préliminaire et que l’état des risques n’est pas joint à l’acte authentique de vente.
126 communes particulièrement exposées
Une liste a été dressée des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes de recul du trait de côte dans le cadre du décret du 29 avril 2022 (D. n° 2022-750 du 29 avril 2022, JO du 30 avril 2022). Cette liste doit être révisée au moins tous les neuf ans. Les 126 communes qui y figurent doivent établir un plan de prévention des risques littoraux et une carte locale d’exposition de leur territoire au recul du trait de côte. Les communes n’ayant pas encore un plan de prévention des risques littoraux doivent élaborer dans les 4 ans, une cartographie pour suivre le recul du trait de côte. Pour ce faire, elles pourront compter sur l’appui technique et financier de l’État. Les communes ayant déjà un plan de prévention des risques littoraux peuvent établir une carte locale de projection du recul du trait de côte. Les 126 communes qui y figurent sont situées en Bretagne, en Corse, dans les Hauts-de-France, en Normandie, en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie, dans les Pays de la Loire, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en Guadeloupe, en Guyane, en Réunion, en Martinique, et à Mayotte. Cette liste a été élaborée en tenant compte de la particulière vulnérabilité de leur territoire au recul du trait de côte, déterminée en fonction de l’état des connaissances scientifiques et de la connaissance des biens et activités exposés à ce phénomène. Elle a été dressée après consultation des conseils municipaux des communes pressenties pour figurer dans cette liste. Les communes concernées ont donc pu refuser de figurer dans cette liste.
Un impact important sur l’urbanisme communal
Ainsi dans le Calvados, trois communes ont souhaité ne pas être inscrites sur la liste des communes vulnérables. Si les communes de Cabourg, Villers-sur-Mer et Blonville-sur-Mer ont toutes trois donné un avis défavorable au projet de décret d’application de la loi climat et résilience, c’est en raison de son impact sur l’urbanisme communal. L’article 242 de la loi Climat et résilience prévoit que le document graphique du règlement du PLU (ou la carte communale) délimite le territoire des communes concernées en deux zones. La première zone correspond au territoire communal exposé au recul du trait de côte à un proche horizon (moins de trente ans). La seconde zone correspond au territoire communal exposé au recul du trait de côte à un horizon plus lointain compris entre trente et cent ans. Les contraintes urbanistiques sont renforcées dans la première zone, où seuls certains travaux de réfection ou d’adaptation des constructions existantes à la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les zones d’exposition pourront être autorisés, ainsi que des constructions nouvelles démontables nécessaires à des services publics ou activités économiques exigeant la proximité de l’eau, sous réserve de ne pas augmenter la capacité d’habitation. Dans la deuxième zone, la démolition de toute construction nouvelle et des extensions de construction existant à la date d’entrée en vigueur du PLU sera obligatoire, lorsque le recul du trait de côte sera tel que la sécurité des personnes ne sera pas garantie au-delà d’une durée de trois années. Si ces constructions nécessitent une autorisation d’urbanisme, le coût prévisionnel de ces travaux de démolition incombant au propriétaire devra être consigné à la Caisse des dépôts et consignation.
De nouveaux outils pour les communes les plus vulnérables
Afin de donner aux territoires littoraux un cadre et des leviers pour adapter leur politique d’aménagement à l’érosion du trait de côte, la loi climat et résilience a habilité le gouvernement à intervenir par voie d’ordonnance. Prise en application de cette loi, l’ordonnance du 6 avril 2022 (Ord. n° 2022-489 du 6 avril 2022, JO du 7 avril 2022), complétée par le décret du 29 avril 2022, a pour objectif de mobiliser et de renforcer les outils d’aménagement et d’intervention foncière. Les mesures portées par l’ordonnance sont entrées en vigueur le 8 avril 2022. Deux nouveaux outils peuvent désormais être utilisés par les communes les plus fragilisées par le recul du trait de côte. Les communes disposent désormais d’un droit de préemption des communes pour l’achat de biens dans les zones particulièrement exposées. L’ordonnance du 6 avril 2022 définit une méthode d’évaluation des biens les plus exposés au recul du trait de côte à horizon de 30 ans, dans le cadre de l’exercice du droit de préemption ou en cas d’expropriation. Elle complète le dispositif des réserves foncières prévu au Code de l’urbanisme, en précisant qu’il peut être mobilisé pour prévenir les conséquences du recul du trait de côte. Les communes disposent également d’un nouveau bail réel d’adaptation à l’érosion du littoral. Ce bail par lequel un bailleur consent à un preneur des droits réels en contrepartie d’une redevance foncière, en vue d’occuper ou de louer, d’exploiter, d’aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages et bâtiments est conclu pour une durée de 12 à 99 ans. Il permet une résiliation anticipée du bail en cas d’avancée de l’érosion mettant en péril les personnes et les biens dans laquelle est pris en compte le financement de la relocalisation des activités. L’ordonnance ouvre enfin aux communes concernées et engagées dans une démarche de Projet partenarial d’aménagement (PPA) de déroger à certaines dispositions de la loi littorale comme l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante, lorsqu’elles empêchent la mise en œuvre d’une opération de relocalisation de biens ou d’activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage. Ces dérogations sont déjà expérimentées à Lacanau, Gouville-sur-mer et Saint-Jean-de-Luz. Enfin, l’ordonnance clarifie le régime juridique applicable dans les espaces non urbanisés de première zone (de zéro à trente ans) des communes d’outre-mer exposées au recul du trait de côte. Dans ces zones, seules les constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau peuvent être autorisées, en dehors des espaces et milieux protégés et à condition qu’elles présentent un caractère démontable.
Référence : AJU007n0