Ne pas confondre don manuel et un présent d’usage

Publié le 25/10/2023
Ne pas confondre don manuel et un présent d’usage
Mary Long/AdobeStock

La distinction entre don manuel et présent d’usage présente un enjeu civil, sur le terrain de la succession, et un enjeu fiscal, sur le terrain des droits de mutation à titre gratuit. Le juge doit rechercher l’existence d’un événement qui aurait pu justifier chaque don remis en cause par les cohéritiers et vérifier la proportionnalité du cadeau en fonction de la fortune du disposant.

C’est un sujet susceptible de se poser dans de nombreuses familles : à l’occasion des fêtes de fin d’année, des anniversaires ou d’un événement, un parent gratifie un proche d’un cadeau ou d’une petite enveloppe. Anniversaire, mariage, diplômes, nombreuses sont les occasions de témoigner son affection par ce geste qui constitue, a priori, un présent d’usage. Attention toutefois à ne pas franchir certaines limites au-delà desquelles les héritiers et les services fiscaux pourraient avoir à y redire !

Le double enjeu de la qualification

Les présents d’usage sont définis par la jurisprudence civile comme étant « les cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à un usage, et n’excédant pas une certaine valeur » (Cass. 1re civ., 6 déc. 1988, n° 87-15083). Selon l’administration fiscale, ce caractère peut généralement être reconnu aux cadeaux faits aux enfants mineurs par des membres et des amis de la famille (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, paragraphe 250). Aussi « pour les sommes versées par des parents sur un plan d’épargne logement ouvert au nom de leur enfant, il est admis, compte tenu notamment du montant maximal des sommes pouvant être placées, que ce placement financier puisse être qualifié de présent d’usage » (Rép. min. Chartier n° 63526, JO AN du 17 janvier 2006, p. 504).

Le présent d’usage se distingue du don manuel. Celui-ci se définit par la remise de la main à main, directement par le donateur au donataire une chose (remise de somme d’argent, de bijoux, chèque). Un virement bancaire peut constituer un don manuel. L’enjeu de la distinction entre don manuel et présent d’usage est double. En présence d’un don manuel, les héritiers réservataires qui se pensent lésés peuvent défendre leurs droits sur la succession en agissant en réduction des libéralités excessives. Le don manuel entre en effet dans le champ du rapport successoral, qui correspond à la restitution à laquelle se trouve obligé l’héritier non réservataire qui, en présence d’héritiers réservataires a reçu une valeur qui excède la quotité disponible attachée à sa qualité. Ainsi, dans le cadre d’une succession, tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement. Il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Au contraire, le présent d’usage n’entre pas dans les règles du rapport successoral tout comme « les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation, d’apprentissage, les frais ordinaires d’équipement, ceux de noces (…) sauf volonté contraire du disposant » (C. civ., art. 852). Le risque est également d’ordre fiscal, puisque les dons manuels peuvent être soumis aux droits de mutation à titre gratuit, alors que les présents manuels ne le sont jamais.

En effet, les dons manuels ne sont pas imposables tant qu’ils n’ont pas été portés à la connaissance de l’administration fiscale, ce qui les rend taxables dans les différentes circonstances :

– en cas de déclaration spontanée par le donataire (sur le formulaire Cerfa n° 2735), utile pour obtenir une date certaine et bénéficier du renouvellement des abattements personnels ;

– en cas de gratification du donataire par le même donateur d’une nouvelle donation ou en cas d’héritage de celui-ci : la taxation entre dans le cadre du rappel fiscal des donations antérieures ;

– en cas de révélation du don à l’administration fiscale en réponse à une demande d’information ou à la suite d’une procédure de contrôle fiscal ;

– en cas de reconnaissance judiciaire du don.

Comme une donation, le don manuel bénéficie des abattements éventuellement applicables en fonction du lien de parenté (CGI, art. 779). Le don est taxé selon le même barème des droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 777).

Compte tenu de ces conséquences liées à la qualification, il est donc important de connaître les éléments factuels de distinction de ces deux opérations.

L’administration a donné sa grille d’analyse dans un rescrit en 2013 (rescrit n°2013/05 du 3 avril 2013), intégré ensuite dans sa doctrine (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10).

Deux conditions nécessaires à la qualification de présent d’usage

La qualification de présent d’usage pour un cadeau consenti résulte au plan civil comme au plan fiscal, d’un examen des circonstances concrètes de chaque affaire. Dès lors, l’administration fiscale ne fixe aucune règle de proportionnalité du présent par rapport à la fortune ou aux revenus du donateur et apprécie au cas par cas la nature du don, en fonction de l’ensemble des circonstances de fait ayant entouré la libéralité, et sous le contrôle souverain des juges du fond. Si la qualification est incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis, la jurisprudence a toutefois dégagé deux critères. Ainsi, un présent d’usage doit répondre à deux conditions cumulatives pour être qualifié de tel. Il doit tout d’abord être justifié par un événement particulier conformément à un usage : anniversaire, fiançailles, mariage, naissance, fêtes de fin d’année, fête religieuse, obtention d’un diplôme, etc.

Il doit ensuite avoir une valeur proportionnée par rapport à la fortune du disposant. Cette appréciation est purement factuelle et dépend de l’appréciation souveraine des juges. On peut donc résumer le contexte relatif au présent d’usage par l’existence d’un événement auquel l’intention libérale se rattache et la proportionnalité avec la fortune du disposant. Le Code civil indique que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ». Le critère de proportionnalité est donc au cœur de la définition du présent d’usage.

Une succession conflictuelle

Une affaire récente illustre la question de la qualification (Cass. 1re civ., 11 mai 2023, n° 21-18616). Madame K. décède en octobre 2009, laissant pour lui succéder ses deux fils, Monsieur P. et Monsieur E. Des difficultés surviennent au cours du règlement de la succession. La mère défunte avait consenti de son vivant à Monsieur E., qui vivait sous son toit, plusieurs virements, chèques bancaires et remises d’espèces pour un montant de 23 697 euros. Il n’a pas rapporté à la succession de sa mère les sommes reçues. Son frère Monsieur P., se tourne vers la justice pour le voir condamner au rapport à la succession et en recel successoral.

La cour d’appel retient que ces sommes étaient compatibles avec les capacités financières de la donatrice et qu’elle a ainsi pu effectuer ces versements au titre de présents d’usage, puisqu’elle vivait avec son fils, qui avait la charge de son entretien quotidien (CA Chambéry, 25 juin 2019). Le fils bénéficiaire se pourvoit en cassation, défendant la qualification de présents d’usage.

Un événement particulier

À l’appui de son pourvoi, il soutient que la cour d’appel n’a pas examiné le contexte des cadeaux et n’a pas cherché à constater qu’ils auraient été effectués à l’occasion d’un événement particulier et en vertu d’un usage. La Cour de cassation lui donne raison : « En se déterminant ainsi, sans préciser à l’occasion de quels événements [la mère] avait fait de tels cadeaux à son fils et conformément à quels usages, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en ce qu’il rejette les demandes tendant à la condamnation du fils bénéficiaire des cadeaux  au rapport à la succession de sa mère des sommes de 2 200 euros et de 1 300 euros correspondant à des retraits bancaires effectués les 15 mai 2004 et 9 décembre 2003 et en recel successoral correspondant.

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