Opérations immobilières et TVA sur marge : nouveaux épisodes

Publié le 14/04/2022
Taxe d'habitation
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Le juge communautaire confirme sa jurisprudence en matière de TVA sur marge et apporte des précisions à la notion d’identité juridique à prendre en compte pour les biens acquis et revendus. Le Conseil d’État apporte des précisions aux modalités de calcul de la marge.

En matière de ventes d’immeubles soumises à TVA, la TVA peut être calculée soit sur le prix de cession, soit sur la marge, conformément à l’article 268 du Code général des impôts (CGI). Cet article du Code général des impôts correspond à la transposition en droit interne de l’article 392 de la directive communautaire du 28 novembre 20062006/112/CE du Conseil, relative au système commun de TVA qui prévoit que les États membres peuvent choisir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition soit constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat, ce qui a été le cas de la France. L’article 268 du CGI prévoit que le régime de la TVA sur la marge s’applique lors de la revente d’un terrain initialement acquis auprès d’un particulier, sur la seule partie du prix représentant les travaux de viabilisation réalisés en vue d’une revente à un promoteur, à un bailleur ou à une collectivité. Il exclut de l’assiette de la TVA la fraction du prix de revente représentant l’acquisition faite initialement auprès d’un particulier.

Une condition d’identité

Pour l’application du régime de la TVA sur marge, l’administration fiscale a ajouté une condition d’identité et exige que la qualification juridique du bien n’ait pas été modifiée entre son acquisition et sa revente. C’est pourquoi, lorsque des parcelles bâties sont transformées, après démolition, en terrains à bâtir, Bercy considère que la cession de ces terrains relève de la TVA établie sur le prix total de vente. La doctrine de l’administration fiscale a été détaillée et précisée par le biais de plusieurs réponses ministérielles. (Rep. Min. Vogel, JO Sénat du 17 mai 2018, n° 04171 et Rep. Min. O. Folarni, JOAN du 24 septembre 2019, n° 01835). Il y a un an, le Conseil d’État, appelé à se prononcer sur des opérations de densification réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs, a confirmé que la transformation d’un terrain bâti en terrain à bâtir, rend impossible l’application du régime d’exception de la TVA sur marge  (CE, 27 mars 2020, n° 428234, Promialp). En pratique, dans ces opérations, les professionnels de l’immobilier font l’acquisition de maisons avec des terrains attenants constructibles. Par la suite, les maisons sont le plus souvent détruites et des opérations de divisions parcellaires permettent de revendre plusieurs terrains à bâtir. Depuis, le juge administratif a confirmé cette jurisprudence (CE, 1er juillet 2020, n° 431641, SARL RGMB). Au Conseil d’État de réaffirmer que « que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée (prévues à l’article 268 du CGI) s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti ».

La position du juge communautaire

Dans un contexte un peu différent, des terrains, acquis non bâtis, ayant fait l’objet avant leur revente d’une division parcellaire et de travaux de viabilisation, le juge administratif a estimé nécessaire de demander au juge communautaire de clarifier les conditions d’application du régime de la TVA sur marge à ce type d’opérations immobilières (CE, 25 juin 2020, n° 416727, Icade Promotion Logement). Le juge communautaire a rappelé l’objectif du régime de la marge à savoir éviter qu’un bien réintroduit dans le circuit commercial ne soit taxé à la TVA alors même qu’il a déjà supporté la TVA à titre définitif. À cet égard l’application du régime de la marge ne peut pas être écartée du seul fait que l’acquisition n’avait pas été grevée de TVA. Le régime de la TVA sur marge s’applique « à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe, que lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la TVA alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial ». En dehors de cette hypothèse le régime de la marge ne s’applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à la TVA, soit qu’elle se trouve en dehors du champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée. Sur la condition tenant à l’identité entre le bien revendu et celui qui avait été acquis la CJUE a précisé que l’article 392 de la directive communautaire du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA exclut du régime de la marge « des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains bâtis, mais n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots ou la réalisation de travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l’instar, notamment, des réseaux de gaz et d’électricité ».

Sécuriser les professionnels du secteur

À la suite de cette jurisprudence, une réponse ministérielle est venue apporter quelques précisions pour les opérations en cours (Rep. Min. Romain Grau, JOAN du 1er février 2022, question n° 42486). L’administration fiscale tirera les conséquences de l’arrêt de la CJUE par une mise à jour de ses commentaires BOFiP-ImpôtsBOI-TVA-IMM-10-20-10, lorsque le juge national se sera prononcé sur l’affaire Icade. Dans cette attente, les professionnels (assujettis revendeurs) peuvent toujours se prévaloir de la doctrine actuelle, en application de l’article L. 80 A du LPF, même si cette dernière est contraire au droit de l’Union. De même, en cas de revente d’un bien immobilier postérieurement à la mise à jour de la doctrine BOFiP tirant les conséquences de la jurisprudence Icade Promotion, les professionnels pourront continuer à se prévaloir de la doctrine fiscale actuelle, dès lors que l’acquisition dudit bien est intervenue ou a fait l’objet d’un compromis de vente antérieurement à cette mise à jour.

Un arrêt très attendu

Une autre affaire relative à la TVA sur marge a été transmise à CJUE, dans le cadre d’une question préjudicielle posée en mars 2021 par la cour administrative d’appel de Lyon destinée à vérifier si l’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans deux hypothèses : lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir et lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots (CAA Lyon, 18 mars 2021, n° 19LY00501, Les Anges d’Eux). La CJUE vient de rendre une ordonnance dans cette affaire C‑191/21 où elle confirme sa jurisprudence Icade (Ordonnance de la CJUE du 10 février 2022, affaire C‑191/21). Le juge communautaire rappelle que l’application du régime de la marge suppose une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu, conformément à l’article 392 de la directive du 28 novembre 2006. L’article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir, mais qu’il n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots. Si un terrain nu est considéré comme un terrain à bâtir conformément à la législation nationale de l’État membre concerné, les transformations apportées à ce terrain aux fins de son aménagement, qui reste destiné à être bâti, sont sans incidence sur sa qualification de terrain à bâtir tant que ces aménagements ne peuvent être qualifiés de bâtiments. Cette position peut être rapprochée de celle du Conseil d’État dans le cadre de l’affaire Promialp (CE, 27 mars 2020, n° 428234, Promialp), dans le cadre d’opérations de densification réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs. Le Conseil d’État a précisé que la transformation d’un terrain bâti en terrain à bâtir, rend impossible l’application du régime d’exception de la TVA sur marge. Depuis, le juge administratif a confirmé cette jurisprudence (CE, 1er juillet 2020, n° 431641, SARL RGMB). Pour le Conseil d’État les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée ne s’appliquent pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti.

Modalités de calcul de la marge

De son côté, le Conseil d’État vient de préciser que dans l’hypothèse de revente par lots d’un bien acheté en une seule fois pour un prix global, chaque vente de lot constitue une opération distincte (CE, 18 février 2022, n° 449811). La TVA acquittée par le vendeur doit donc être calculée sur la base de la différence entre, d’une part, le prix de vente d’un lot et d’autre part, son prix de revient estimé en imputant à ce lot une fraction du prix d’achat global du bien. Pour le juge administratif le contribuable a la possibilité d’imputer sur le prix de revient de chacun des lots vendus une fraction du prix d’acquisition des terrains cédés gratuitement ou pour l’euro symbolique à une commune en vue de la réalisation d’aménagements de voirie dans la mesure où cette cession conditionne la réalisation de l’opération immobilière.