Pacte Dutreil : des précisions sur l’activité professionnelle principale

Pour apprécier le caractère principal d’une activité professionnelle, le juge examine la part de revenus procurés par cette activité. Dans le cadre de l’engagement réputé acquis, cette condition s’applique à la fois au défunt au jour de la transmission et à son héritier signataire de l’engagement individuel de conservation.
La jurisprudence continue de préciser les conditions d’application du dispositif Dutreil. La cour d’appel de Lyon vient d’interpréter la condition relative à la fonction de direction dans le cadre d’un engagement réputé acquis (CA Lyon, 27 mars 2025, n° 20/06755).
Une exonération de 75 %
Le dispositif codifié à l’article 787 B du Code général des impôts (CGI) prévoit une exonération partielle des transmissions d’entreprises par donation ou succession. Les droits de mutation à titre gratuit sont calculés sur un quart de la valeur de l’entreprise transmise (entreprise individuelle ou titres de société). Pour en bénéficier, la société doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ou être une holding animatrice. L’exonération joue tant pour les transmissions en pleine propriété que dans le cadre d’un démembrement de propriété.
Parmi les nombreuses conditions entourant l’application du dispositif :
– la conclusion préalable d’un engagement collectif de conservation portant sur les titres à transmettre et d’engagement individuel post-transmission,
– et l’exercice de fonctions de direction par un associé preneur de l’engagement.
L’engagement de conservation en cours au jour de la transmission
Au jour de la transmission, l’engagement collectif de conserver les titres transmis doit exister depuis au moins deux ans. Il doit porter sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote lorsqu’il s’agit de titres de sociétés non cotées. Pour les sociétés cotées, il doit porter sur au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote. L’engagement collectif de conservation doit avoir été pris par le défunt ou le donateur pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés, ou par une personne seule pour elle et ses ayants cause à titre gratuit.
L’engagement réputé acquis pour les transmissions non anticipées
La loi a aménagé cette condition pour tenir compte du décès précoce du dirigeant, avant qu’il ait pu souscrire un engagement collectif de conservation. Cet aménagement vaut également pour les donations non anticipées. Par le jeu d’une fiction fiscale dans ces deux circonstances, l’engagement collectif peut être « réputé acquis » lorsque deux conditions sont remplies. Au jour de la transmission, le défunt ou le donateur devait détenir, seul ou avec son conjoint, son partenaire de pacs ou son concubin notoire pendant au moins deux ans, le quota de titres exigé. De plus, le défunt ou le donateur, ou son conjoint, son partenaire de pacs ou son concubin notoire devait exercer dans la société, depuis plus de deux ans à la date de la transmission :
– son activité professionnelle principale si la société relève de l’impôt sur le revenu,
– une des fonctions de direction énumérées par l’article 975 III-1 du CGI si la société est soumise à l’IS. Il s’agit des fonctions de : gérant d’une société à responsabilité limitée (SARL) ou en commandite par actions (SCA) ; associé en nom d’une société de personnes ; président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d’une société par actions.
Les conditions à respecter après la transmission
Après la transmission, les héritiers doivent prendre un engagement individuel de conservation des titres transmis pendant quatre ans. « Chacun des héritiers, donataires ou légataires prend l’engagement dans la déclaration de succession ou l’acte de donation, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée de quatre ans (…) » (CGI, art. 787 B, c). En outre, l’un des héritiers doit exercer effectivement dans la société son activité professionnelle principale pendant les trois années qui suivent la transmission (CGI, art. 787 B, d).
Exemple de transmission d’une SARL non préparée
À son décès, en juin 2021, Monsieur L., a laissé pour lui succéder ses deux enfants, Monsieur C. et Madame E. Le défunt détenait 90 % des parts de la SARL F., ainsi que des participations dans trois autres sociétés (SARL 1, SARL 2 et SARL 3), dont il était également gérant. L’administration fiscale a remis en cause l’exonération partielle des parts sociales de la SARL F. et a adressé aux héritiers un rappel de base de 422 753 euros. L’administration fiscale considérait que la condition relative à l’exercice par le défunt de son activité principale depuis plus de deux ans au jour de la transmission n’était pas remplie. Elle s’appuie sur les déclarations fiscales du défunt pour 2008, 2009 et 2010 qui révèlent que ce dernier percevait à la fois des salaires et des revenus industriels et commerciaux, ces derniers étant inférieurs aux salaires déclarés. De plus, faute de connaître l’origine des revenus industriels et commerciaux, rien ne prouve qu’ils proviennent exclusivement de la société dont les titres ont été transmis. L’administration fiscale en conclut que le défunt exerçait diverses activités de gérance et ne tirait pas l’essentiel de ses revenus de la société F.
De leur côté, les héritiers ont tenté de démontrer que l’activité principale de leur père était bien exercée au sein de la société F. Ils s’appuient sur des témoignages de quatre préposés de la société attestant de la présence régulière et permanente du défunt dans les locaux de l’entreprise pour en assurer la direction. Ils avancent la prise en charge exclusive des frais de déplacement du défunt par cette société, l’absence de direction technique et commerciale par le défunt des autres sociétés, lesquelles disposaient chacune d’un directeur et le montant des rémunérations perçues de la société F., qu’ils estiment supérieurs à ceux des autres sociétés. Par ailleurs, s’ils reconnaissent que Madame E. a démissionné de ses fonctions de gérante le 3 novembre 2011, ils estiment que cette démission est sans conséquence puisque le défunt a continué à diriger la société. Ce dernier a exercé son activité principale dans la société F. à partir de sa désignation comme cogérant le 4 mai 2010.
L’activité professionnelle principale s’effectue par rapport aux revenus procurés
La cour d’appel a tranché, estimant que, à l’égard des faits, « l’engagement individuel de conservation des titres n’a pas été satisfait par les [héritiers] et que ceux-ci ne peuvent prétendre à l’exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit au titre de la transmission des parts de la société F. » Elle rappelle que « l’activité professionnelle principale s’entend normalement de celle qui constitue pour le redevable l’essentiel de ses activités économiques et lorsqu’un tel critère ne peut être retenu, par exemple en cas de diverses activités professionnelles d’égale importance, il doit être considéré que l’activité principale est celle qui procure à l’intéressé la plus grande part de ses revenus ».
D’autre part, la cour a examiné l’activité de l’héritière (Madame E.) au regard de l’engagement individuel de conservation. Selon les conditions légales applicables à l’époque des faits, l’un des héritiers signataires de l’engagement individuel de conservation doit exercer dans la société, pendant les trois années qui suivent la transmission, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes. Or, en l’espèce, en examinant les revenus déclarés par l’héritière sur la période concernée, la cour en a déduit que cette gérance ne constituait pas son activité économique principale pour la période considérée.
Référence : AJU017i1
