Pacte Dutreil : engagement réputé et fonction de direction

Publié le 25/01/2023
Femme, réunion, entreprise
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Dans une réponse ministérielle de décembre 2022, le gouvernement vient de confirmer la position de l’administration, plusieurs fois exprimée, visant à exclure le bénéfice de l’exonération partielle en présence d’un engagement réputé acquis lorsque la fonction de direction, post transmission, est exercée par le seul donateur.

La mise en place des pactes Dutreil ne souffre aucune improvisation. Les conditions posées par le texte doivent s’appliquer strictement. Le gouvernement en fait l’illustration en matière d’engagements collectifs réputés acquis à propos du débat sur la condition relative à la fonction de direction exercée à partir de la transmission. Cette fonction ne peut être exercée par le seul donateur, au risque de faire perdre le bénéfice de l’exonération partielle.

Une exonération de 75 % conditionnée

L’article 787 B du Code général des impôts prévoit une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur en faveur des transmissions à titre gratuit des titres de sociétés. L’exonération concerne les titres d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, transmis par décès ou entre vifs ou, en pleine propriété, à un fonds de pérennité. Compte tenu de l’ampleur de l’exonération, de nombreuses conditions entourent son application. Le testateur (ou le donateur), pour lui et ses ayants cause à titre gratuit doit, avec d’autres associés, souscrire un engagement collectif de conservation des titres transmis, pour une durée minimale de deux ans. Cet engagement doit être en cours au jour de la transmission, et porter, tout au long de sa durée, sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour une société non cotée et au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote pour une société cotée.

Lors de la transmission, un engagement individuel de conservation des titres pendant une durée minimum de quatre ans à compter de la fin de l’engagement collectif doit être pris par chaque héritier, donataire ou légataire. Cet engagement individuel prend place dans la déclaration de succession ou dans l’acte de donation.

La condition relative à la fonction de direction

Par ailleurs, la loi impose une condition d’exercice d’une activité au sein de la société pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission. Un associé signataire de l’engagement collectif de conservation ou l’un des donataires, héritiers ou légataires, doit exercer dans la société objet du pacte Dutreil une fonction de direction (visée par l’article 975 III, du Code général des impôts, 1, 1°) dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, ou son activité professionnelle principale dans le cas d’une société soumise à l’impôt sur le revenu. Ce texte, relatif à l’impôt sur la fortune immobilière, vise :

  • le gérant, nommé conformément aux statuts, d’une société à responsabilité limitée (SARL) ou en commandite par actions (SCA) ;

  • l’associé en nom d’une société de personnes ;

  • le président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d’une société par actions.

La fiction de l’engagement réputé acquis

Pour ne pas pénaliser les transmissions qui interviennent par décès de façon précoce, l’article 57 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative a permis de réputer acquis l’engagement collectif de conservation sous condition (CGI, art. 787 B, 2). Elle raisonne comme si un engagement collectif avait été souscrit et qu’il avait duré au moins deux ans. Tel est le cas lorsque le défunt ou le donateur, détenait – seul ou avec son conjoint, partenaire pacsé ou concubin – les titres représentant les seuils exigés en droits financiers et en droits de vote pendant au moins deux ans avant la transmission. Ce même associé (ou con conjoint, partenaire de pacs ou concubin) devait également exercer dans la société une fonction de direction, depuis plus de deux ans à la date de la transmission (ou son activité professionnelle principale si la société est fiscalement transparente). Dans ce cas, la conclusion formelle d’un engagement collectif n’est pas exigée : celui-ci est réputé acquis et la transmission des titres peut intervenir à tout moment. Reste aux donataires ou aux héritiers à souscrire un engagement individuel de conserver les titres pendant quatre années.

Dans ce cadre, la question se pose de savoir si le donateur peut ou non exercer la fonction de direction à compter de la donation des titres ? Selon la loi, la direction de la société doit être exercée durant cette période par l’un des héritiers ou légataires ou par le donataire qui a pris l’engagement individuel de conserver les titres reçus du fait de la transmission à titre gratuit, ou par l’un des associés membres de l’engagement collectif de conservation. Mais, par définition, en présence d’un engagement collectif réputé acquis, aucun engagement collectif n’a été formalisé. Sachant que le donateur peut rester dirigeant en cas d’engagement collectif réel, la doctrine soutenait que la fiction fiscale assimilant le donateur à un associé signataire de l’engagement collectif devait admettre que ce donateur pouvait lui-même, après la donation, exercer les fonctions de direction. L’administration fiscale l’a entendu autrement.

Plusieurs positions officielles

L’administration fiscale a pris plusieurs fois position contre ce raisonnement, faisant une interprétation stricte de l’article 787 B du Code général des impôts, d . Dans la réponse ministérielle Moreau du 7 mars 2017 (JOAN, 7 mars 2017, p. 1983 n° 99759), le gouvernement est très clair : « Ainsi, dans l’hypothèse d’un engagement collectif “réputé acquis”, le bénéfice de l’exonération partielle ne trouve pas à s’appliquer lorsque, postérieurement à la transmission, le donateur assure lui-même la fonction de dirigeant de la société. En effet, dans cette situation le donateur n’est pas signataire d’un engagement de conservation dès lors qu’il ne remplit pas les exigences fixées au d de l’article 787 B précité ».

Par la suite, en avril 2021, l’administration a intégré la réponse Moreau dans ses commentaires soumis à consultation publique de l’article 40 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : « L’exonération partielle ne trouve donc notamment pas à s’appliquer en cas d’engagement réputé acquis lorsque le donateur continue d’exercer son activité professionnelle principale ou la fonction de direction dans la société après la transmission ».

Cette position a été suivie par la cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt en date du 23 novembre 2021 (CA Bordeaux, 23 novembre 2021, n° 19/03868) confirmant que le donateur ne peut pas exercer la fonction de direction requise par les textes. « Il résulte de cette formulation que les associés auxquels renvoie le d) sont les parties qui ont signé l’engagement avec le donateur, rédaction qui exclut que le donateur, une des parties à l’acte, puisse être dans le même temps un des associés avec qui il a conclu l’engagement. C’est donc à bon droit que l’intimée soutient, et que le tribunal a retenu, que la direction de la société doit être effectivement exercée par l’une des personnes ayant signé l’engagement collectif de conservation (associés, héritiers ou légataires) à l’exclusion du donateur dont les fonctions sont sans incidence sur le non-respect par les donataires des conditions posées par le d). »

Dans ses commentaires définitifs publiés le 21 décembre 2021, Bercy maintient cette position, précisant qu’une codirection est possible entre donateur et donataire : « En cas d’engagement réputé acquis, l’un des héritiers, donataires ou légataires, doit exercer une fonction de direction afin de remplir les exigences du d de l’article 787 B du CGI. Néanmoins, cela n’exclut pas qu’un autre associé, y compris le donateur, exerce également une autre fonction de direction » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 395).

Le dernier mot de Bercy

Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, vient de clore le débat en confirmant la doctrine administrative. La réponse ministérielle au sénateur Jérôme de Bascher (JOS, 29 décembre 2022, p. 6839, question n° 00189) persiste et signe. « Dans l’hypothèse d’un engagement réputé acquis, à titre dérogatoire, la conclusion d’un engagement collectif, ou unilatéral, de conservation n’est pas exigée, en application du 2. du b de l’article 787 B précité (…). Comme il est rappelé dans la réponse, publiée le 7 mars 2017, à la question n° 99759 de M. Moreau, député, dans l’hypothèse d’un engagement réputé acquis, le bénéfice de l’exonération partielle ne trouve pas à s’appliquer lorsque, postérieurement à la transmission, le donateur assure lui-même la fonction de dirigeant de la société. En effet, en l’absence de tout engagement de conservation des titres, le donateur, qui n’est pas signataire d’un tel engagement, n’est pas un “associé mentionné au a de l’article 787 B du CGI” et ne satisfait donc pas la condition fixée au d de cet article ».

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