Pacte Dutreil : la loi de finances rectificative pour 2022 vole au secours de Bercy

Publié le 25/11/2022
Banque, finance
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Pour faire échec à la jurisprudence de la Cour de cassation du 25 mai 2022 sur la question du caractère permanent de la condition d’éligibilité de l’activité de la société dont les titres sont transmis sous le bénéfice du pacte Dutreil, la première loi de finances rectificative pour 2022 est intervenue pour compléter la loi. Depuis le 18 juillet 2022, l’activité opérationnelle doit être exercée pendant toute la durée des engagements de conservation.

Profitant d’une loi de finances rectificative adoptée dans le cadre des mesures de soutien au pouvoir d’achat des particuliers et des entreprises, le législateur a modifié la loi relative au pacte Dutreil dans le sens entendu par l’administration fiscale. L’article 8 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 (JORF, du 17 août 2022) a attiré l’attention des fiscalistes et spécialistes du patrimoine.

Pacte Dutreil : Bercy contre la jurisprudence de la Cour de cassation

Bercy a fait passer un article 8 dans la loi de loi de finances rectificative pour 2022 (LFR 2022) qui fait échec à la récente jurisprudence de la Cour de cassation en matière de pacte Dutreil et de holding animatrice. Désormais, la loi impose de façon expresse que la condition d’exercice d’une activité opérationnelle par la société dont les titres font l’objet d’un pacte Dutreil soit respectée durant toute la période couverte par les engagements de conservation. Cette nouvelle condition s’applique aux transmissions réalisées depuis le 18 juillet 2022, date de dépôt de l’amendement proposant à la mesure. Certaines transmissions réalisées avant cette date sont également concernées.

Pour mémoire, en mai 2022, la Cour de cassation avait rendu un arrêt dans lequel elle admettait que la perte de la qualité de holding animatrice de groupe en cours d’engagement de conservation ne faisait pas tomber le bénéfice de l’exonération Dutreil (Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-25513). Retour le feuilleton juridique et fiscal.

Le cadre strict de l’exonération partielle des droits de succession et donation

L’article 787 B du Code général des impôts (CGI) met en place un abattement de 75 % sur les droits de mutation à titre gratuit des titres de société exerçant une activité industrielle, commerciale, agricole ou libérale.

De nombreuses conditions entourent le bénéfice de l’exonération partielle. Parmi celles-ci, les titres de la société transmise doivent faire l’objet d’engagement conservation (les pactes Dutreil) de la part des associés. Ils sont de plusieurs types.

  • Au moment de la transmission : les signataires de l’engagement collectif de conservation doivent avoir conservé leurs titres pendant deux ans, sauf à ce que l’engagement soit réputé acquis ou qu’il intervienne post mortem.

  • Après la transmission : les bénéficiaires de la donation ou les héritiers doivent prendre l’engagement individuel de conserver les titres transmis pendant quatre ans.

  • Enfin, l’un des signataires de cet engagement collectif de conservation ou d’un engagement individuel de conservation doit diriger l’entreprise pendant 3 ans au moins.

Les transmissions de sociétés holding animatrice de groupe sont a priori éligibles aux pactes Dutreil. À la différence d’une holding passive dont la seule raison d’être est d’exercer ses prérogatives d’actionnaire, la société holding animatrice de groupe est assimilée à une société exerçant une activité commerciale, donc éligible (v. article 966 du CGI, BOI 7G-6-01, n° 137 du 30 juillet 2001, BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 55).

Selon la Cour de cassation, « le caractère principal de son activité d’animation de groupe devant être retenu notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition, des titres de ces filiales détenus par la société holding représente plus de la moitié de son actif total » (Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-17955).

Holding animatrice et activité éligible

Le débat juridique portait sur la permanence de la condition d’éligibilité de l’activité de la holding animatrice, la loi étant muette sur ce point. La perte de sa qualité d’animatrice de groupe en cours d’engagement remet-elle en cause l’exonération partielle ? De son côté, la doctrine administrative avait pris position pour la permanence de l’activité éligible. Selon elle, « la société doit vérifier la condition d’activité (…) pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation. L’abandon d’activités et l’exercice d’activités nouvelles pendant cette durée sont possibles, pourvu que la règle rappelée à la phrase précédente soit respectée » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 25).

La cour d’appel de Rennes lui avait donné raison (CA Rennes, 8 oct. 2019, n° 17/08339), en en faisant une condition implicite et nécessaire « au regard de l’objectif fixé par le législateur », « sauf à vider la loi de sa substance ». Sur la holding en question, elle concluait qu’« ayant perdu sa fonction d’animatrice d’un groupe de filiales, elle ne satisfait plus aux conditions légales ».

Censure d’une condition non prévue par la loi

Dans son arrêt, objet de toutes les attentes, du 25 mai 2022, la Cour de cassation avait censuré cette position, estimant que la cour d’appel avait « ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas », et avait donc violé l’article 787 B du CGI. Par conséquent, selon la Cour de cassation, la circonstance qu’une holding animatrice cesse, après à la transmission à titre gratuit de ses titres, d’exercer de manière prépondérante son activité éligible n’était pas de nature à entraîner la remise en cause du régime de faveur. La condition relative à l’éligibilité de l’activité s’apprécie à la date du fait générateur des droits de mutation à titre gratuit, c’est-à-dire lors de la transmission des titres. La doctrine administrative publiée par l’administration en décembre 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55) s’en trouvait également invalidée.

Légalisation de la doctrine administrative

Finalement, le législateur est intervenu pour répondre aux exigences de l’administration fiscale. L’amendement déposé par un député présente la mesure comme un dispositif anti-abus, apportant une correction technique à l’article 787 B du CGI.

L’article 787 B, c bis nouveau du CGI légalise la doctrine administrative relative à la holding animatrice (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55), et s’applique à toutes les sociétés opérationnelles en prévoyant que « La condition d’exercice par la société d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, prévue au premier alinéa du présent article, doit être satisfaite à compter de la conclusion de l’engagement de conservation prévu au premier alinéa dû à et jusqu’au terme de l’engagement de conservation prévu au c. ».

Sauf conditions particulières, cette condition d’exercice doit être remplie pendant six ans : les deux années d’engagement collectif de conservation auxquelles s’ajoutent les quatre années d’engagement individuel post-transmission. De même, lorsque l’engagement est réputé acquis (c’est-à-dire lorsque les titres ont été détenus pendant deux ans au moins avant la transmission par le de cujus ou le donateur) : la condition de la permanence de l’activité éligible doit exister pendant deux ans au moins avant la transmission et jusqu’au terme de l’engagement individuel de quatre ans. En présence d’un engagement post mortem (l’engagement collectif est pris à partir de la transmission par succession), l’exigence court à compter de la transmission et jusqu’à la fin de l’engagement de conservation.

Une application rétroactive

Il est prévu que le nouveau texte s’applique aux transmissions intervenant à compter du 18 juillet 2022, date de présentation de l’amendement « afin d’éviter des cessions d’actifs d’exploitation ou de filiales opérationnelles entre la présentation de l’amendement et l’entrée en vigueur de la loi », d’après les termes de celui-ci.

Il s’applique également aux transmissions, pour lesquelles, au 18 juillet 2022, les conditions suivantes sont cumulativement remplies :

– un engagement de conservation (quel qu’il soit) est en cours,

– la société n’a pas cessé d’exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

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