Patrimoine des ménages : une fiscalité perfectible

Publié le 19/03/2018

Le Conseil des prélèvements obligatoires livre ses recommandations pour faire évoluer le système de prélèvements sur le capital des ménages. Au-delà des différentes pistes de réforme envisagée, il appelle à veiller à la prévisibilité et à la simplicité des règles fiscales afin de garantir l’efficacité et l’acceptabilité de l’imposition du patrimoine.

Huit ans après avoir publié un rapport intitulé : « Le patrimoine des ménages », en 2009, le Conseil des prélèvements obligatoires consacre à nouveaux ses travaux aux prélèvements sur le capital des ménages. Son étude réalisée en 2017 et publiée en janvier dernier porte sur l’ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux sur la détention, les revenus et la transmission d’éléments de capital des ménages. Les nouvelles réformes (IFI, PFU) n’entrent pas dans le champs de ce rapport qui se concentre sur six impôts principaux prélevés sur le capital des ménages jusqu’au 31 décembre 2017. Ces prélèvements sont opérés tant sur la détention de patrimoine (taxe foncière et impôt de solidarité sur la fortune), sur la perception des revenus qu’il génère (soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux), que sur sa transmission, à titre gratuit (droits de succession et de donation) ou onéreux (cessions). Le Conseil des prélèvements obligatoires s’est attaché à vérifier si la cohérence du système de prélèvements sur le capital des ménages est suffisante au regard des nombreux objectifs poursuivis : le rendement fiscal et l’équité grâce aux mécanismes redistributifs, bien sûr, mais aussi des objectifs aussi divers que l’incitation au financement des entreprises, la protection de l’épargne populaire, l’aide à l’accession à la propriété immobilière, le soutien à l’investissement locatif, l’attraction des capitaux étrangers ou encore la transmission familiale des entreprises.

Composition et imposition du patrimoine des ménages

Le patrimoine net des ménages était de 10 692 Md € fin 2015 alors qu’il s’élevait à 4 928 Md € en 2000 (en € courants). Le capital net moyen par ménage est passé de 202 000 € en 2000 à 361 000 € en 2013. Cette évolution s’explique essentiellement par la forte hausse des prix de l’immobilier entre 1995 et 2007. Le patrimoine non financier a été multiplié par 2,3 entre 2000 et 2007, passant de 2 946 Md € à 6 789 Md € alors que le patrimoine financier stagnait sur la même période.

Le rendement budgétaire des prélèvements sur le capital des ménages s’est élevé à 80 Md € en 2016, soit 3,6 % du PIB, en hausse de 0,6 % du PIB sur le niveau de 2006.

Les prélèvements portant sur les revenus du capital représentent 40 % du total (32 Md €), contre 31 % pour la détention (25 Md €) et 29 % pour la transmission (23 Md €). Les 2/3 des prélèvements sur le capital des ménages portent sur l’assiette immobilière. Environ 50 Md € sur les 80 Md € de rendement total sont perçus sur l’assiette immobilière et 30 Md € sur les actifs financiers. Les prélèvements immobiliers portent essentiellement sur le stock de patrimoine. La taxe foncière, les DMTG et l’ISF représentent en effet 55 % (soit 28 Md €) du total de ces prélèvements. Ceux assis sur les revenus du patrimoine immobilier produisent 25 % des prélèvements sur l’immobilier des ménages. Les DMTO assis sur les cessions immobilières apportent les 20 % restants. S’agissant des prélèvements sur le capital mobilier des ménages, le constat est inverse : ils sont aux deux tiers assis sur les revenus, à savoir les revenus de capitaux mobiliers (13,2 Md €) et les plus-values mobilières (4,8 Md €). Les prélèvements sur le stock de capital financier représentent le tiers restant, la part des DMTO sur les cessions d’éléments de patrimoine mobilier étant résiduelle.

Un haut niveau d’imposition

Les prélèvements sur le capital (ménages et entreprises confondus) s’élèvent en France à 10,8 % du PIB. La France est l’un des États de l’UE dans lequel les prélèvements sur le capital sont les plus élevés, de 2,4 points de PIB au-dessus de la moyenne européenne (8,4 %). Pour les seuls ménages, les prélèvements sur le stock de capital s’élèvent à 4,3 % du PIB (moitié plus que la moyenne européenne à 2,8 %). Ceux sur les revenus du patrimoine atteignent 1,8 % du PIB (la moyenne de l’UE est à 1,1 %). La France est également dans le peloton de tête pour la taxation des transactions immobilières (1,1 % du PIB en 2015 contre 0,4 % en moyenne dans l’OCDE). De même, les droits sur les successions et les donations représentent 1,2 % des prélèvements obligatoires en France contre 0,34 % en moyenne dans l’OCDE. Aujourd’hui, près d’un quart des prélèvements sur le capital des ménages finance la sécurité sociale. Les trois quarts restants servent à financer les dépenses de l’État (39 %) et celles des collectivités territoriales (37 %) : ces dernières perçoivent la taxe foncière et la plus grande partie des DMTO. La part affectée aux collectivités territoriales, qui s’élevait à 35 % en 2006, a augmenté depuis 10 ans, principalement sous l’effet de la hausse de la taxe foncière.

Immobilier : de multiples dépenses fiscales

Le CPO s’interroge notamment sur les dispositifs fiscaux incitatifs en matière immobilière. La fiscalité encourage le propriétaire-occupant, sans justification économique évidente. Le régime fiscal attaché à la propriété occupante pour la résidence principale est plus favorable que celui attaché à l’investissement locatif dans l’ancien : les loyers implicites ne sont pas fiscalisés depuis 1965, les plus-values immobilières de cession de la résidence principale sont exonérées, et la résidence principale bénéficie d’un abattement de 30 % pour déterminer l’assiette de l’ISF. Les régimes dérogatoires d’investissement locatif créent des effets d’aubaine. Ces dispositifs fiscaux consistent soit en la déduction d’une quote-part de l’investissement des loyers perçus (dispositifs anciens « Borloo », « Robien »), soit en une réduction d’impôt au titre des charges d’acquisition du logement (dispositifs plus récents « Scellier », « Pinel »). Les dispositifs dédiés au secteur immobilier représentent plus d’une vingtaine de niches fiscales d’un coût de 1,84 Md € en 2016. Si ces dispositifs fiscaux ont facilité la décision d’investir, ils ont eu un effet inflationniste sur le marché de l’immobilier. De plus, la fixation des plafonds de loyers peut procurer des effets d’aubaine (ainsi, le zonage du dispositif Pinel conduit à ce que les plafonds soient défavorables dans les territoires les plus tendus et peu contraignants dans les territoires les moins tendus, que les investisseurs privilégient). La fiscalité portant sur les transactions (DMTO) peut générer des phénomènes de rétention. Lors d’une vente immobilière, les coûts de transaction totaux (DMTO et autres frais, y compris à la charge du vendeur) sont de 14 % en France, soit les plus élevés de l’OCDE après la Belgique. Ces droits de mutation renchérissent de près de 5,8 % le prix de vente d’un bien immobilier.

Des propositions en matière de fiscalité immobilière

En 2016, les recettes fiscales sur les plus-values immobilières ont atteint 993 M€ ; le coût de la dépense fiscale associée à l’abattement pour durée de détention s’est élevé à 1,74 Md € et celui de la dépense sociale à 1,85 Md €. Plus le bien est détenu depuis longtemps, plus l’abattement est important. L’exonération totale des plus-values immobilières de l’impôt sur le revenu est ainsi acquise à l’issue d’un délai de détention de 22 ans et l’exonération des prélèvements sociaux au bout de 30 ans. Le CPO propose de faire évoluer les modalités de calcul des plus-values afin de faire disparaître les abattements pour durée de détention, au profit d’une prise en compte de l’érosion monétaire, pour tenir compte d’un environnement macroéconomique se caractérisant par une inflation basse et neutraliser l’incitation fiscale à la rétention des biens immobiliers dans l’arbitrage des ménages, les cessions intervenant avant cinq ans étant, dans le régime actuel, pénalisées. Le CPO propose également d’unifier le régime fiscal des revenus immobiliers, que le logement soit loué meublé ou nu. Cette évolution pourrait ne s’appliquer aux biens mis en location antérieurement à la réforme qu’à l’occasion d’un changement de bail, voire seulement aux mises en location postérieures à la réforme. Autre évolution envisagée : réviser l’assiette de la taxe foncière afin de moderniser l’assiette de la taxe foncière pour les locaux d’habitation et le foncier non bâti. Une première option de réforme consisterait à finaliser la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation, prévue par la loi de finances rectificative pour 2013. L’alternative à la révision des bases locatives, plus ambitieuse et plus durable, consisterait à recourir à la valeur vénale. Cela permettrait de rapprocher l’assiette immobilière de la taxe foncière de celle de l’IFI. Une telle réforme entraînerait aussi un changement dans le mode de gestion de l’impôt, la valeur vénale étant déclarée par le contribuable. Enfin, le CPO envisage un allégement des DMTO pour améliorer la fluidité du marché immobilier et la mobilité géographique des personnes. Une réduction d’un point de pourcentage des coûts de transaction augmenterait de 8 % le taux de rotation des logements. Plusieurs options sont envisageables : différencier les droits exigibles pour l’achat de la résidence principale (via un abattement d’assiette ou un taux adapté), introduire une progressivité des droits en fonction de la valeur du logement ou encore transférer progressivement les DMTO sur la taxe foncière.

Quelle fiscalité pour les produits d’épargne ?

Le CPO s’interroge également sur la place centrale accordée à l’assurance-vie et à l’épargne réglementée au détriment du financement de l’économie et des entreprises, note également le CPO. Pour favoriser une plus grande neutralité fiscale, le CPO propose de baisser le plafond de l’épargne réglementée afin de rapprocher le régime fiscal dérogatoire des objectifs poursuivis, en soumettant aux prélèvements obligatoires de droit commun les intérêts issus des placements excédant un plafond revu à la baisse, au terme d’un délai permettant aux épargnants de réaffecter leurs fonds. Si les plafonds retrouvaient leur niveau de 2012, les ressources supplémentaires collectées par le fonds d’épargne ou réaffectées aux établissements collecteurs, estimées à 30 Md €, seraient positionnées sur d’autres supports. Cette réforme permettrait : de rendre plus attractifs d’autres supports d’épargne liquide, d’inciter les ménages à privilégier des supports bloqués plus rémunérateurs comme supports de détention longue et enfin de limiter la dépense fiscale. Le CPO recommande également de rapprocher le traitement fiscal des revenus de l’assurance-vie du droit commun. La loi de finances pour 2018 a déjà œuvré dans ce sens. Pour les encours supérieurs à 150 000 € qui représentent moins de 6 % des contrats mais 60 % de l’encours fin 2015, le PFU s’applique aux produits des versements postérieurs à la réforme et au-delà de ce seuil, le taux réduit de 7,5 % continuant à s’appliquer pour les contrats de moins de huit ans. Des mesures supplémentaires peuvent être envisagées pour une plus grande neutralité fiscale dans les choix d’allocation des épargnants. Le CPO propose d’appliquer pour l’avenir le PFU à l’ensemble des revenus perçus sur les nouveaux versements d’assurance-vie, et pas seulement aux contrats dont l’encours excède 150 000 €. Autre possibilité : imposer les revenus de l’assurance-vie en fonction de l’ancienneté réelle des versements et non de la date d’ouverture du contrat. Cette évolution pourrait d’ailleurs être appliquée au PEA. La durée de détention au-delà de laquelle les gains dégagés à la clôture d’un produit bénéficient d’un traitement fiscal favorable gagnerait également à être harmonisé, conclut le CPO. Elle pourrait être portée à huit ans pour l’assurance-vie comme pour les PEA et les FCPI/FIP. Afin de lier le bénéfice du régime fiscal à la durée de détention des actifs, l’abattement de 4 600 € (9 200 € pour un couple) pour les détenteurs d’assurance-vie pourrait également être supprimé. De telles mesures renforceraient l’attractivité des produits d’épargne-retraite dont l’encours reste limité.

Moderniser le régime des successions

Les recettes de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) progressent, passant de 8,2 Md € en 2006 à 12,8 Md € en 2016, sous l’effet d’un plus grand nombre de décès (+15 % entre 1995 et 2015) et d’une hausse des montants transmis. Les DMTG sont concentrés sur une assiette réduite, à laquelle sont appliqués des taux élevés, tandis que la majorité de l’assiette taxable est exonérée. Le barème est favorable aux transmissions en ligne directe. Un enfant peut recevoir jusqu’à 100 000 € de patrimoine en franchise de droits, 200 000 € s’il a bénéficié d’une donation antérieure (d’un montant de 100 000 € en dehors du délai de rapport fiscal de 15 ans). Entre 85 et 90 % des transmissions entre parents et enfants sont totalement exonérées de droits de succession. À l’inverse, les successions indirectes sont plus lourdement taxées : 50 % des DMTG sont perçus sur les transmissions en ligne indirecte alors qu’elles ne représentent que 10 % des flux de transmission. Afin d’adapter le régime des transmissions aux évolutions de la société et aux enjeux d’équité, le système de prélèvements sur le capital doit mieux prendre en compte l’allongement de la durée de vie, la concentration croissante du capital et l’évolution des structures familiales. Les transmissions par héritage sont plus tardives : l’âge moyen auquel on hérite est aujourd’hui de 50 ans environ, soit huit ans de plus qu’en 1980. Or les règles actuelles de DMTG encouragent peu les contribuables à transmettre leur patrimoine de leur vivant, même si, sur le long terme, la pratique des donations s’est accrue. Pour renforcer l’attractivité des donations, deux options principales sont envisageables pour le CPO. Il s’agirait soit de rehausser l’imposition des successions par rapport aux donations, en diminuant l’abattement, voire en réservant son application aux donations, soit alléger l’imposition des donations par rapport aux successions, avec une mesure de baisse ciblée sur les transmissions aux jeunes générations, par exemple en modifiant le barème d’imposition des donations, les abattements applicables ou le délai de rappel des donations antérieures.

Revoir le régime successoral de l’assurance-vie

La dynamique de concentration du capital est accentuée par un phénomène de hausse de la part de l’héritage dans le revenu disponible des ménages, dû notamment à une réduction du nombre d’enfants par ménage. La part des transmissions annuelles dans le revenu disponible net des ménages augmenterait de 19 % aujourd’hui à plus de 25 % en 2050. S’il n’est pas envisageable de rehausser les droits en ligne indirecte, déjà parmi les plus élevés de l’OCDE, d’autres orientations peuvent être envisagées pour le CPO qui propose de poursuivre la réduction de l’avantage successoral de l’assurance-vie qui n’encourage pas l’anticipation des donations et représente un coût croissant pour les finances publiques dont le montant n’est à ce jour pas chiffré. Le régime successoral de l’assurance-vie pourrait être rapproché des dispositions de droit commun en matière de DMTG. Les deux dernières réformes du régime successoral de l’assurance-vie ont été limitées aux décès intervenus à compter de leur entrée en vigueur, pour limiter le risque de décollecte. L’article 11 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 a relevé le taux de prélèvement pour les capitaux excédant, lors du décès, un montant de 1 055 338 €, pour les sommes versées à raison des décès intervenus à compter de l’entrée en vigueur de la loi. L’article 9 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 a porté le taux applicable de 25 % à 31,25 % et abaissé le seuil d’application de ce taux de 902 838 € à 700 000 €, pour les décès survenus à compter du 1er juillet 2014.

Adapter le droit fiscal aux familles recomposées

Afin de mieux prendre en compte les familles recomposées le barème applicable aux transmissions consenties aux enfants du conjoint qui actuellement ne bénéficient pas du barème applicable aux transmissions en ligne directe. Le taux est celui applicable en l’absence de tout lien de parenté. Les familles concernées ont donc recours à des solutions complexes, via l’assurance-vie en particulier, voire l’adoption de l’enfant du conjoint. L’alignement complet des règles applicables aux transmissions à l’enfant du conjoint sur celles applicables aux transmissions en ligne directe reste délicat, précise le CPO pour qui il pourrait être envisagé, à droit civil constant, de prévoir que la transmission aux enfants du conjoint, par voie de donation ou de testament, s’opère à des conditions fiscales plus favorables que les conditions actuelles. Le bénéficiaire de la donation ou du testament pourrait être imposé, soit dans les mêmes conditions que les héritiers en ligne directe, soit à défaut à des conditions moins rigoureuses que l’actuelle imposition au taux de 60 %. Ainsi serait prise en compte, du point de vue fiscal, la réalité des relations nouées à l’intérieur d’une famille recomposée, réalité démontrée par la volonté de transmettre du donateur ou du testateur.

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