PEA et abus de droit

Publié le 01/03/2019

La vigilance s’impose en matière de PEA. Une nouvelle jurisprudence de la cour administrative de Versailles conclut à l’abus de droit, les titres ayant été inscrits à une valeur artificiellement minorée afin d’obtenir une exonération de plus-value.

Le juge administratif se prononce dans un nouveau cas de PEA abusif. Dans l’affaire jugée par la cour administrative de Versailles (CAA Versailles, 29 nov. 2018, n° 16VE00384), pour l’administration fiscale, les titres ont été inscrits sur le PEA à une valeur de convenance minorée afin de contourner le plafond de versement en PEA, afin de rester en deçà de la limite de 132 000 euros fixée au I de l’article 163 quinquiès D du Code général des impôts et afin de surcroît de respecter de manière artificielle la condition tenant à une possession maximum de 25 % du capital d’une société au travers de son PEA.

Le mécanisme du PEA

Réservé aux contribuables fiscalement domiciliés en France et ouvert pour une durée de huit ans minimum, le plan d’épargne en actions (PEA) permet d’acquérir un portefeuille d’actions tout en bénéficiant, sous certaines conditions d’une exonération d’impôt sur les dividendes et les plus-values. Avec cette enveloppe fiscale permettant d’investir sur les marchés européens, l’investisseur peut ainsi acquérir des actions et des titres d’OPCVM, tout en bénéficiant, sous certaines conditions, d’une exonération d’impôt sur les dividendes et les plus-values. Le PEA peut être alimenté en une ou plusieurs fois. Les fonds sont disponibles mais tout retrait effectué avant huit ans entraîne la clôture du PEA. À condition de n’effectuer aucun retrait avant cinq ans, les dividendes et plus-values procurés par les placements effectués sont exonérés d’impôt sur le revenu. Ils sont en revanche soumis aux prélèvements sociaux au taux de 15,5 % depuis le 1er juillet 2012.

Le contrôle de Bercy

Cette enveloppe fiscale fait l’objet d’une vigilance particulière de l’administration fiscale qui identifie un certain nombre d’utilisations abusives : qu’il s’agisse de transférer dans un PEA une rémunération ou des honoraires déguisés en dividendes d’actions ou de parts sociales, d’inscrire dans le plan des titres non cotés à une valeur de convenance ou de loger dans le PEA des titres de sociétés ayant des participations supérieures à 25 % dans d’autres sociétés, participations qui elles-mêmes ne seraient pas éligibles au PEA. De telles opérations ne respectent pas les objectifs poursuivis par le législateur qui a réservé les avantages fiscaux attachés aux opérations portant sur des titres souscrits lors d’une constitution de sociétés ou d’une augmentation de capital ou d’une acquisition de titres grâce à un apport de numéraire sur cette enveloppe plan, à l’exclusion des opérations portant sur des titres transférés depuis le patrimoine préexistant du contribuable vers le PEA.

La notion d’abus de droit

Lorsqu’elle identifie un montage abusif, l’administration fiscale utilise la procédure de répression des abus de droit codifiée à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Cette procédure constitue pour l’administration fiscale un outil puissant, lui permettant d’écarter les actes purement fictifs ou ceux qui, tout en s’appuyant sur un texte, en détournent l’intention première. Dans la présente affaire, à l’occasion d’un contrôle fiscal sur pièces, l’administration fiscale a écarté, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, l’inscription le 28 décembre 2004 de 925 titres de la société Financière RKW Holding pour la valeur unitaire de 10 euros à l’actif du PEA de Monsieur B. L’administration fiscale a en conséquence remis en cause l’exonération dont le contribuable a entendu se prévaloir, à l’occasion de la plus-value sur cession de ces titres le 20 juin 2008, pour une valeur unitaire de 4 109, 32 euros, sur le fondement des dispositions des articles 1765 et 150-0 A II 2 du Code général des impôts.

Lorsque l’administration use des pouvoirs qu’elle tient de ce texte, elle aboutit à la remise en cause des avantages conférés par le PEA. Le PEA est clôturé. Le contribuable perd alors le bénéfice de cette enveloppe non seulement sur les titres en cause, mais également sur la totalité des titres qui y ont été placés. Cette procédure s’accompagne de lourdes sanctions financières puisque l’abus de droit est sanctionné par le rétablissement de l’impôt éludé majoré des pénalités de retard par l’application de pénalités pouvant aller jusqu’à 80 % des droits rappelés. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, le litige est soumis, à la demande du contribuable ou à celle de l’administration, à l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit (CCRAD devenu, depuis la réforme de l’abus de droit le CADF). Les avis rendus font d’ailleurs l’objet d’un rapport annuel publié. Si l’avis du Comité est favorable à l’administration fiscale, la charge de la preuve pèse sur le contribuable. À l’inverse, si l’avis conforte la position du requérant, l’administration doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement.

Une valorisation artificielle

En l’espèce, l’administration fiscale a constaté que Monsieur B. a créé en janvier 2004, avec un coassocié, la société KR Média France, dont l’objet consistait en l’achat d’espaces publicitaires, et dont il détenait 50 % du capital. Le 28 décembre 2004, il a créé la société Financière RKW Holding, au capital de 37 000 euros, dont il détenait 25 % des titres, soit 925 titres d’une valeur unitaire de 10 euros avec deux coassociés et avec la société Cavendish Square Holding, membre du groupe multinational de publicité et de communication WPP, qui a acquis 50 % du capital de cette société. Le requérant a financé ces titres par un apport en numéraire à partir du PEA ouvert en 1992 à son nom. Par ailleurs, le même jour, Monsieur B. a cédé la moitié de sa participation dans la société KR Média France, soit 924 titres pour une valeur unitaire de 20 euros, à la SAS Financière RKW Holding, ramenant ainsi sa participation dans la société KR Média France à 25 %. Puis il a cédé, le 20 juin 2008, sa participation dans la SAS Financière RKW Holding sur la base d’un prix unitaire des actions de 4 109,32 euros à la société Cavendish Square Holding. L’administration fiscale a considéré que l’acquisition de sa participation dans la société Financière RKW Holding, et, le même jour, la cession au profit de cette dernière de la moitié de sa participation dans la société KR Média France, ne visaient, en réalité, qu’à contourner les règles relatives au fonctionnement du PEA prévues par le Code monétaire et financier et le Code général des impôts, qui subordonnent le bénéfice du régime d’exonération des plus-values de cession de titres détenus au travers d’un tel plan aux conditions, d’une part, qu’un même associé ne détienne pas plus de 25 % du capital d’une société au travers de son plan et, d’autre part, que la valeur des versements en numéraire dans un tel plan n’excède pas 132 000 euros. L’administration a notamment estimé à 1 287 500 euros la valeur de la participation détenue par Monsieur B. dans la société Financière RKW Holding au 28 décembre 2004 et non à la somme de 9 250 euros retenue par le requérant, à partir d’une valorisation de la société KR Média France estimée à 10,3 millions d’euros.

Une décision de première instance défavorable

Le couple de contribuables, Monsieur et Madame B., a été en conséquence assujetti des compléments d’imposition à l’impôt sur le revenu, ainsi qu’aux contributions sociales et des pénalités correspondantes, au titre de l’année 2008, pour un montant de 2 078 131 euros. Les contribuables ont également eu à acquitter des pénalités retenues pour abus de droit pour un montant de 912 151 euros. Leur réclamation devant l’administration fiscale ayant été rejetée, ils se sont pourvus devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le tribunal de première instance a rejeté, par un jugement du 8 décembre 2015, la demande formée par les époux Monsieur et Madame B. tendant à titre principal à la décharge des compléments d’imposition à l’impôt sur le revenu, aux contributions sociales et des pénalités en ayant résulté, pour un montant total de 2 078 131 euros et à titre subsidiaire à la décharge des pénalités mentionnées ou la restitution de la somme de 138 131,12 euros prélevée au titre des contributions sociales à raison d’un retrait du PEA mentionné, opéré le 31 déc. 2008 (TA Cergy-Pontoise, 8 déc. 2015, n° 1304471).

Un artifice juridique

Devant le juge administratif, Monsieur et Madame B. soutiennent que la création de la société financière RKW Holding ne répondait pas à un objectif purement fiscal mais permettait de tisser des liens indirects avec le groupe international WPP tout en conservant un contrôle entier sur la société KR Média France, alors que dans le cas d’une entrée au capital de la société KR Média du groupe WPP, ledit groupe aurait pu, en usant du droit de préemption ou d’agrément, prendre progressivement le contrôle de la société KR Média France. Ils précisent qu’en l’espèce, Monsieur. B. aurait été dans l’impossibilité de faire accepter une telle association indirecte avec le groupe WPP, de taille internationale, si ce dernier n’en n’avait pas retiré un bénéfice. Ils font valoir en outre que la procédure d’abus de droit ne peut être retenue à leur encontre dès lors qu’en 2004, ils ne faisaient l’objet d’aucune imposition et qu’il n’est pas envisageable de retenir, en raison de l’incertitude pesant sur l’évolution de la société KR Média France, que la création de la société financière RKW Holding fin 2004 aurait permis d’éluder une imposition pour d’hypothétiques plus-values prévues en 2008.

Il résulte toutefois de l’instruction que la société financière RKW Holding, dont les statuts mentionnent qu’elle exerce une activité d’acquisition et de gestion de titres sociaux, n’a pas acquis entre 2004 et 2008 d’autres titres que ceux de la société KR Média France. Par ailleurs, il apparaît que la société financière RKW Holding n’a tenu qu’un rôle d’intermédiaire entre la société KR Média France et la société Cavendish Square Holding, dépendant du groupe WPP, qui assurait le véritable rôle de prêteur. Elle n’apparaît ainsi que comme une société passive, sans activité ni consistance réelle. La nécessité pour la société KR Média France de passer par l’intermédiaire de la société financière RKW Holding pour pouvoir bénéficier d’un soutien du groupe WPP, n’est pas non plus établie dès lors qu’il résulte de l’instruction que le groupe WPP a avancé, directement, des sommes d’un montant de 1 268 718 euros à la société KR Média France, avant la création de la société financière RKW Holding. De surcroît la société Group M, représentant le groupe WPP en France, a signé une convention avec la société KR Média France en date du 26 janvier 2005 pour la mise à disposition de prestations de services, par le biais d’un réseau informatique et de personnel, ainsi que la réalisation de prestations de back office, comprenant l’accès aux logiciels de média planning et des services de gestion. Enfin, si les requérants soutiennent que l’indépendance de la société KR Média était requise pour pouvoir obtenir des contrats de sociétés dont les concurrents étaient en lien avec le groupe WPP, il ressort des termes de la convention signée par la société KR Média France avec la société LVMH que cette société avait au contraire demandé que le groupe WPP acquière une participation de 15 % du capital de KR Média France et des droits de vote sous peine de mettre fin au contrat de prestation de services, alors qu’elle ne pouvait ignorer que son concurrent, la société Chanel, était en lien avec le groupe WPP. En outre, la possibilité de préemption des actions par le groupe WPP, en cas de participation directe de ce groupe au capital de KR Média, ne peut être que supposée mais n’est aucunement établie.

Il résulte ainsi de ce qui précède que la constitution de la société financière RKW Holding ne répondait ni à un objet économique ou financier ni à un objet de maintien de l’indépendance de la société KR Média vis-à-vis du groupe WPP. Monsieur B. a ainsi eu recours à un artifice juridique consistant à créer, en limitant sa participation à 25 %, la société RKW Holding, dont la seule utilité était d’autoriser un placement des titres de la société RKW Holding sur son PEA en 2004, pour une somme de 9 250 euros, soit 925 titres d’une valeur de 10 euros, alors que la valeur de ces titres tenait en fait à celle de la société KR Média et qu’il ne pouvait ignorer le potentiel important d’expansion de cette dernière société, classée à la sixième place en France dans le marché des agences média en 2004. Si le risque est inhérent à toute activité économique ou financière, Monsieur et Madame B. pouvaient toutefois, dans les circonstances de l’espèce, espérer bénéficier, pour un montant très substantiel, de l’exonération légale de plus-value sur cession de titres prévue pour les PEA. Dès lors, la circonstance que le gain fiscal ne se soit produit qu’en 2008 ne suffit pas à établir qu’il n’y aurait pas eu abus de droit dès 2004.

Des titres minorés

Pour les contribuables, les actions de la société financière RKW Holding devaient être évaluées à leur valeur nominale, soit dix euros pour un montant total de 9 250 euros, dans la mesure où il s’agissait d’une société nouvellement créée. Toutefois, la société financière RKW Holding ne possédant à son actif que les titres de la société KR Média France et n’ayant aucune activité réelle, l’évaluation des titres inscrits au PEA de Monsieur B. doit prendre en compte, comme l’a fait l’administration, l’évaluation de sa filiale d’exploitation, la société KR Média France. Il résulte de l’instruction, qu’à la fin de l’année 2004, trois contrats avaient été signés par cette dernière société et qu’un quatrième contrat a été signé en juillet 2005, avec effet rétroactif en novembre 2004, garantissant un volume total d’activité de 230 millions d’euros. L’administration a appliqué à ce montant un taux de 6 % ainsi qu’une décote de 25 % pour tenir compte de la circonstance que la société KR Média France était en phase de début d’activité. Monsieur et Madame B. ne produisent aucun justificatif, tels que des contrats, de nature à établir le montant de ces activités de conseil et à définir une valorisation différente en 2008 de celle arrêtée par l’administration. Il apparaît dès lors que Monsieur B. a inscrit à son PEA en 2004 des titres de la société financière RKW Holding pour une valeur de convenance d’un montant de 9 250 euros afin de rester en deçà de la limite de 132 000 euros fixée au I de l’article 163 quinquiès D du Code général des impôts et afin de surcroît de respecter de manière artificielle la condition tenant à une possession maximum de 25 % du capital d’une société au travers de son PEA. Monsieur et Madame B. ont donc recherché, par une application littérale des textes, à obtenir une exonération des plus-values constatées sur un PEA. Et l’exonération dont les requérants ont entendu se prévaloir lors de la vente de ses titres, en juin 2008, par un montage juridique, est constitutive d’un abus de droit. Leur requête est donc rejetée.