Plus-value sur résidence principale : les expatriés français peuvent bénéficier de l’exonération
Le tribunal administratif de Versailles vient de juger contraires à la liberté de circulation des capitaux les dispositions du Code général des impôts qui conduisent à priver d’une exonération intégrale, la plus-value de cession de la résidence principale d’un contribuable qui, ayant déménagé hors de France, est devenu non-résident fiscal français au jour de la cession de la résidence principale qu’il occupait alors qu’il était encore résident fiscal français.
Les non-résidents fiscaux de nationalité française peuvent bénéficier de l’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale. Telle est la solution affirmée par le tribunal administratif de Versailles dans un jugement rendu le 26 juin dernier.
Expatriation avant cession
En 2013, un salarié résident fiscal français a été muté par son employeur dans une filiale en Chine. Il y a alors déménagé et a mis en vente sa résidence principale en France, qu’il occupait depuis plus de 10 ans. Sa résidence n’a été vendue que plusieurs mois après son départ, en février 2014, alors qu’il ne résidait plus en France. Sa plus-value avait donc été soumise à l’impôt sur le revenu selon les modalités applicables aux non-résidents, prévues par l’article 244 bis A du Code général des impôts (CGI).
La taxation des non-résidents
Depuis le 1er janvier 2018, les plus-values immobilières réalisées par les personnes physiques non résidentes sont soumises à un prélèvement au taux de 36,2 %. Ce prélèvement correspond à un impôt de plus-value à hauteur de 19 % et aux prélèvements sociaux à hauteur de 17,2 %.
Certes, un régime d’exonération existe au profit des non-résidents fiscaux français : il est prévu par l’article 150 U II 2° du CGI.
Il concerne la cession d’immeubles, parties d’immeubles ou droits relatifs à ces biens qui constituent l’habitation en France des personnes physiques, non-résidentes en France. L’exonération est plafonnée à 150 000 euros pour une personne seule, 300 000 euros pour un couple. Le bénéfice de l’exonération est soumis à trois conditions. Le cédant doit être un ressortissant de la Communauté européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative. Cette qualité s’apprécie à la date de la cession de chaque bien pour lequel l’exonération est demandée. Le cédant doit avoir été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque, antérieurement à la cession. Enfin, le cédant doit avoir eu la libre disposition du bien au moins depuis le 1er janvier de l’année précédant celle de cette cession, ce qui exclut de l’avoir loué pendant cette période. Cette condition n’a pas à être respectée si la cession est réalisée au plus tard le 31 décembre de la 5e année suivant celle du transfert par le cédant de son domicile fiscal hors de France.
En l’espèce, le contribuable avait eu un impôt à payer. S’il avait été résident de France, sa plus-value aurait été intégralement exonérée d’impôt sur le revenu en vertu de l’article 150 U II 1° du CGI.
La libre circulation des capitaux en question
Dès lors, le contribuable expatrié a contesté l’exclusion du bénéfice de l’exonération totale de la résidence principale sur le fondement de sa non-conformité au principe communautaire de libre circulation des capitaux. L’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit en effet « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers ». Les seules restrictions admises (art. 64 et 65) sont celles existant le 31 décembre 1993 (clause de gel) : elles s’appliquent aux investissements économiques, et non aux investissements patrimoniaux immobiliers.
Les États membres peuvent également adopter une différence de traitement fiscal entre contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation, sans que cette distinction ne constitue ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux. Enfin, une raison impérieuse d’intérêt général peut justifier l’adoption de dispositions fiscales restreignant la libre circulation des capitaux.
Selon le requérant, la distinction opérée par les textes entre les contribuables n’est pas couverte par le Traité. Il considère que subordonner le bénéfice de l’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale à la circonstance que le cédant ait son domicile fiscal en France était manifestement contraire au principe communautaire de libre circulation des capitaux.
Pour l’administration fiscale, l’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale résulte de la volonté du législateur de favoriser le marché immobilier français en contribuant à sa fluidité. Elle soutient que l’exonération permet aux cédants de réemployer l’intégralité du prix de cession pour l’acquisition d’une autre résidence principale en France. Selon l’administration fiscale, le fait que les non-résidents fiscaux français ne puissent bénéficier du même avantage est fondé sur des critères en rapport direct avec l’objet de la loi car la logique d’un réinvestissement du prix de cession dans l’acquisition d’une nouvelle résidence en France ne leur semble pas applicable.
Une restriction injustifiée
Le tribunal administratif de Versailles a accueilli favorablement les arguments du contribuable, considérant que les dispositions des articles 244 bis A II 1° et 150 U II 2° du CGI constituent une restriction au principe communautaire de libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les plafonds de l’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale « peuvent être de nature à dissuader un résident fiscal de France qui devient résident fiscal d’un pays tiers de céder sa résidence principale et, dans cette mesure, restreindre la circulation du produit de cette vente à destination de son nouveau pays de résidence ».
Poursuivant son raisonnement, le tribunal a relevé que cette restriction aux mouvements de capitaux n’est pas couverte par l’exception (clause de gel), la cession de la résidence n’ayant pas été effectuée dans le cadre d’une activité économique. En outre, l’administration fiscale n’a pas estimé que le contribuable se trouvait « dans une situation objectivement différente de celle d’un résident français au regard de la seule disposition entravant la libre circulation des capitaux ». Elle n’a pas non plus fait état d’une raison impérieuse d’intérêt général.
Si l’administration fiscale ne devait pas faire appel de ce jugement, ou s’il devait être confirmé en appel, la position adoptée par le tribunal administratif de Versailles dans cette affaire pourrait faire bénéficier les expatriés français du régime d’exonération intégrale de la plus-value de cession de la résidence principale alors même qu’ils ne sont plus fiscalement domiciliés en France au jour de la cession, sous réserve que la cession intervienne dans un délai normal à compter du déménagement et que le logement soit demeuré inoccupé.
Sauf circonstances particulières, ce délai normal est d’une année. Le dépassement de ce délai peut s’expliquer par les difficultés rencontrées par le cédant pour vendre son bien, par exemple en raison de circonstances économiques spécifiques ou des particularités du marché local, du prix demandé, et des caractéristiques particulières du bien cédé. Ainsi, les juges ont récemment considéré qu’un délai de 22 mois entre la mise en vente du bien et la date de sa vente n’écarte pas le bénéfice de l’exonération de la plus-value sur la résidence principale, si les circonstances le justifient (CAA Paris, 3 mai 2017, n° 16PA03412).
Il ne suffira pas au contribuable de les démontrer : il devra également prouver qu’il a accompli toutes les diligences nécessaires pour vendre le bien dans les meilleurs délais. Il peut s’agir de donner mandat de vente à des agences immobilières.