Prélèvement à la source : une fausse bonne idée pour les entreprises ?

Publié le 16/08/2018

Alors que l’entrée en vigueur (1er janvier 2019) se rapproche, le prélèvement à la source (PAS) ne fait toujours pas l’unanimité chez les chefs d’entreprise. Ce serait même tout le contraire. Depuis le début des discussions, la CCI Ile-de-France a montré son désaccord avec cette mesure. Dans un communiqué de presse, elle évoque une « complexification » des démarches, loin du but recherché. Sophie Dessertaine, experte en fiscalité des entreprises, et Nicholas Moufflet, antiquaire et élu à la CCI, ont accepté d’aller plus loin dans l’analyse.

Les Petites Affiches

Du côté de l’exécutif, l’argument numéro 1 du PAS est la simplification recherchée, afin que les revenus imposés soient les revenus gagnés en temps réel. Vous n’êtes pas d’accord avec cette affirmation, pourquoi ?

Sophie Dessertaine

Dès l’origine, la CCI Paris Ile-de-France s’est opposée à la réforme. Le PAS a été décidé en tant que grande réforme de ce quinquennat, et les choses se sont mises en place très vite. Cette simplification, avancée par le gouvernement, n’aura pas lieu, tout simplement ! D’un point de vue technique, elle ne pourra pas se produire. Contrairement à d’autres pays d’Europe, nous avons une fiscalité très complexe, fortement personnalisée, qui dépend de nombreux paramètres : le foyer, le nombre d’enfants etc., mais aussi de nombreux dispositifs fiscaux comme le recours à une nounou, à une femme de ménage, qui permettent de défiscaliser… In fine, même avec le nouveau dispositif, les contribuables personnes physiques auront à effectuer une déclaration tout aussi complexe, pour tout ce qui ne concerne pas les cases AJ  ou BJ (revenus d’activité). Il a été démontré que la réussite du PAS dépend du degré de complexité de la fiscalité d’un pays.

Nicolas Moufflet

En tant qu’élu de la CCI Paris Ile-de-France, je suis membre de la commission droit de l’entreprise et fiscalité. Dès 2016, la CCI Paris Ile-de-France avait adopté une prise de position : « La mise en œuvre prématurée d’une réforme inutile ».

LPA

Vous redoutez aussi une perte de transparence pour les employés…

S. D. 

Oui ! La visibilité de l’impôt sera encore complexifiée. Déjà, nos bulletins de paie sont quasi-illisibles de fait, avec le nouveau dispositif, nous émettons des doutes : comment un salarié pourra-t-il vérifier que le bon taux lui est appliqué ? Et c’est sans compter sur la compréhension par le contribuable de l’impôt final qu’il aura acquitté entre prélèvements mensuels et éventuelles régularisations en fin d’année. Nous tombons dans un système bien moins lisible que l’actuel qui, au surplus, fonctionne très bien. N’oublions pas que plus de 80 % des contribuables sont mensualisés et paient donc déjà l’impôt avec une grande simplicité. D’une manière plus générale, le fait de ne pas acquitter directement l’impôt réduira le sentiment de l’acte citoyen à la charge publique. 

LPA

Pour les entreprises, vous estimez que cela dégradera les relations patrons-employés…

N. M. 

En tant que chef d’entreprise, je ne souhaite pas voir le paramètre fiscal venir polluer mes relations avec les salariés. D’autant que si on y réfléchit, il s’agit d’une réforme qui va impacter toutes les entreprises alors que seuls 50 % des Français acquittent un impôt sur le revenu !

Cela pose également la question : est-ce le rôle d’une entreprise de collecter l’impôt ? Il apparaît dans des études récentes, que pour plus de 50 % des salariés interrogés, ce n’est pas le cas, et chez les chefs d’entreprise, 100 % sont en désaccord ! Même, d’un point de vue de l’efficacité de notre système fiscal, introduire l’entreprise dans les relations entre les contribuables et l’administration, en instaurant ce système triangulaire, crée un système forcément moins efficace que l’actuel système direct entre le contribuable et l’administration. Un autre argument consiste à dire que nous nous immiscerons dans la vie privée de nos salariés, en connaissant leur taux. Des questions de confidentialité vont forcément venir se poser en altérant encore les relations entre le chef d’entreprise et ses salariés. Imaginez si une entreprise prélève trop sur le salaire, les difficultés auxquelles seront confrontés les salariés pour se faire rembourser par le Trésor public ! Au-delà du rôle administratif et de la gestion des ressources humaines, les PME seront les plus vulnérables. Dans le cas d’un litige, le salarié appellera les RH et non plus l’administration fiscale, au risque de freiner l’activité de l’entreprise. En France, l’administratif est déjà très compliqué, en cas d’embauche, de licenciement, si en plus, le droit fiscal se complexifie encore, n’est-ce pas un frein supplémentaire à l’embauche ? 

S. D. 

Je m’interroge sur les litiges qui pourraient survenir : quelle garantie aura le salarié que son augmentation — ou sa non augmentation — ne dépende pas de son taux d’imposition, par rapport à un collègue, imposé différemment, puisque cette information sera détenue par l’entreprise ? Bien sûr, on peut arguer de la bonne foi, mais ce n’est pas suffisant.

LPA

Vous répétez que vous n’êtes pas contre la modernisation de l’imposition, mais pas de cette façon. Comment alors ?

S. D. 

Oui, la CCI Paris Ile-de-France ne s’est jamais opposée à la modernisation de notre système qui revient à acquitter l’impôt en temps réel et non plus à N-1. Cependant, elle a toujours affirmé qu’il serait plus simple et efficace de prélever l’impôt sur le compte en banque du contribuable plutôt que sur son bulletin de paie. Aujourd’hui, comme évoqué, 80 % des Français sont mensualisés, donc cela reviendrait juste à appliquer un taux en temps réel prenant en compte les changements de situation du contribuable, exactement comme cela serait le cas avec le PAS. L’administration est tout à fait en mesure de mensualiser en temps réel, grâce à la DSN transmise par les entreprises. Avant la relation fiscale était binaire, et se déclinait entre l’entreprise et l’administration fiscale. Désormais, elle sera triangulaire, avec l’entreprise en guise d’intermédiaire.

Comparativement avec d’autres pays européens, notre situation est différente car chez eux, le prélèvement à la source était le mode de prélèvement original, ce qui n’est pas notre cas. En France, la majorité des personnes sont mensualisées et cela ne pose pas de problème. Et par ailleurs, même si notre fiscalité est complexe, notre système fonctionne ! La seule raison qui justifie le PAS est celle de la contemporanéité, à laquelle nous ne nous opposons pas du tout, mais qui pourrait passer par la mensualisation généralisée. La question est : pourquoi changer des modalités qui fonctionnent par des modalités incertaines ?

N. M. 

C’est la solution la plus simple : généraliser les prélèvements mensuels en le rendant effectif sur les salaires en temps réel. En effet, aujourd’hui, nous acquittons en 2018 l’impôt sur les revenus 2017. Il est vrai que cette situation pourrait être améliorée par une modernisation de notre système : payer en 2018 les impôts sur les revenus 2018. Gardons cependant en tête que cette contemporanéité de l’impôt n’est utile qu’en cas de changement de situation : prenons l’exemple d’une mise au chômage, le contribuable continue à payer des impôts sur ses revenus de l’année précédent alors que, dorénavant, il n’a plus les mêmes revenus. C’est donc le point positif qui doit être temporisé à la mesure du nombre de situations concernées. Mais nous soutenons l’aspect positif de cet objectif de modernisation de l’impôt.

LPA

Les entrepreneurs sont vent debout contre cette réforme ?

S. D.

Les membres élus de la CCI Paris Ile-de-France se sont très majoritairement opposés à cette réforme par l’adoption de deux prises de position sur le sujet. En revanche, nous corroborons depuis le début ce besoin de modernisation. 

LPA

Peut-on parler d’effet d’annonce ?

S. D.

Comme évoqué, il est présenté que le net à payer sera le net en poche. Mais pas du tout ! Il y aura une éventuelle régularisation de fin d’année, en cas de trop perçu ou de trop payé. La vraie complexification pour les salariés vient du fait que l’impôt va leur être prélevé tous les mois mais que leur net à payer ne sera pas leur net en poche, du fait de la régularisation qui sera faite au regard des différents dispositifs évoqués précédemment. Pour les chefs d’entreprise, nous constatons un manque d’informations. Les cabinets d’avocats font des présentations du PAS et il apparaît que les entreprises ont besoin d’être mieux informées et averties par de nombreuses situations qu’elles n’ont, pour l’heure, pas du tout anticipées.

N. M. 

Le chef d’entreprise est perdant, le salarié est perdant. Personne n’y gagne. Sans oublier les coûts induits par cette mesure et les tâches supplémentaires que cela va créer pour les entreprises.

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