Prélèvements sociaux sur les revenus de résidents d’un État tiers

Publié le 04/05/2018

Le Conseil d’État prend une position en conformité avec la jurisprudence communautaire Jahin pour régler la situation de contribuables français domiciliés à Monaco.

Le Conseil d’État précise que le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et la contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels ont été assujettis un couple de ressortissants français domicilié à Monaco ne constituent pas une restriction à la libre circulation des capitaux entre États membres et pays tiers, prohibée par les stipulations du traité instituant la Communauté européenne (CE, 5 mars 2018, n° 400329).

Dans plusieurs arrêts rendus en 2000 (CJUE, 15 févr. 2000, n°s C-34/98 et C-169/98) et 2015 (CJUE, 26 févr. 2015, n° C-623/13, de Ruyter) la Cour de justice a examiné si deux contributions sociales françaises, à savoir la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), pouvaient être prélevées sur les salaires, les pensions, les allocations de chômage et les revenus du patrimoine de travailleurs qui, bien que résidant en France, étaient soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre, en général parce qu’ils exerçaient une activité professionnelle dans ce dernier État. La Cour a jugé que les deux contributions en cause présentaient un lien direct et suffisamment pertinent avec la sécurité sociale, du fait qu’elles avaient pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale française ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français. Elle en a conclu que, s’agissant des travailleurs concernés, le prélèvement de ces contributions était incompatible tant avec l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale (Règl. (CEE) n° 1408/71 du Conseil, 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006) qu’avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement. En effet, étant donné que les personnes concernées, en tant que travailleurs migrants, sont soumises à la sécurité sociale dans l’État membre d’emploi, leurs revenus, qu’ils proviennent d’une relation de travail ou de leur patrimoine, ne peuvent pas être soumis dans l’État membre de résidence (en l’occurrence la France) à des prélèvements qui présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de la sécurité sociale. Dans le cadre de l’exécution de l’arrêt de la Cour de 2015, l’administration fiscale française a procédé au remboursement des prélèvements indûment perçus. Toutefois, elle a précisé que le droit au remboursement était réservé aux seules personnes physiques affiliées aux régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE) ainsi que de la Suisse, excluant ainsi les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers (DGFiP, communiqué 19 oct. 2015).

La question de l’application de la décision « de Ruyter » aux personnes dépendant de régimes sociaux hors Espace économique européen (EEE) a généré de nouveaux contentieux. Dans l’affaire jugée par le Conseil d’État, un couple de contribuables, M. et Mme A, ressortissants français domiciliés à Monaco depuis 1988, ont été imposés, au titre des années 2007 et 2008, à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et à la contribution additionnelle à ce prélèvement. En 2012, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge de ces contributions sociales au titre de la seule année 2008 (TA Nice, 12 oct. 2012, n°s 1000683, 1001668). En 2016, la cour administrative d’appel de Marseille (CAA, 25 mars 2016, n° 13MA00537) a déchargé M. et Mme A du prélèvement social et de la contribution additionnelle mis à leur charge au titre de l’année 2007 et rejeté le surplus de leur requête. Le Conseil d’État a été saisi en cassation de cette affaire. Pour le Conseil d’État, la cour administrative d’appel de Marseille, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, la Principauté de Monaco ne faisant pas partie de l’Union européenne, les requérants ne pouvaient se prévaloir de l’interprétation qui a été faite du règlement du 14 juin 1971 par l’arrêt de Ruyter. Le Conseil d’État fait ici application de la jurisprudence Jahin rendue par la CJUE en mars 2018.

La jurisprudence Jahin

Dans l’affaire Jahin (CJUE, 18 janv. 2018, n° C-45/17, F. Jahin), le Conseil d’État a posé à la CJUE une question préjudicielle relative à l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine perçus par les non-résidents affiliés au régime de sécurité sociale d’un pays tiers à l’Union européenne. Le fait de limiter le droit au remboursement aux seules personnes physiques affiliées aux régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE) ainsi que de la Suisse, excluant ainsi les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers était-il conforme au droit de l’Union, interrogeait le Conseil d’État ?

En l’espèce, le contribuable qui souhaitait obtenir le remboursement des prélèvements perçus sur ses revenus du patrimoine, des revenus fonciers et une plus-value réalisée à la suite de la vente d’un immeuble, était un ressortissant français, résidant et travaillant en Chine et affilié à un régime privé de sécurité sociale dans ce pays. La Cour a considéré que l’exclusion en cause constituait une restriction à la liberté de circulation des capitaux, étant donné que des ressortissants de l’Union affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre (UE/EEE) ou de la Suisse bénéficient d’un traitement fiscal plus favorable (sous la forme d’une exonération ou d’un remboursement des prélèvements en cause) que des ressortissants français qui résident dans un État tiers et sont affiliés à un régime de sécurité sociale dans cet État, en l’occurrence la Chine. Toutefois, la Cour estime que cette restriction est justifiée en l’espèce, dans la mesure où il existe une différence objective entre, d’une part, un ressortissant français qui, tel que M. Jahin, réside dans un État tiers et y est affilié à un régime de sécurité sociale et, d’autre part, un ressortissant de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre : en effet, seul ce dernier est susceptible, en raison de son déplacement à l’intérieur de l’Union, de bénéficier du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale. M. Jahin n’ayant pas fait usage de la liberté de circulation au sein de l’Union, il ne peut pas invoquer le bénéfice de ce principe. Il s’ensuit que les revenus du patrimoine des ressortissants français qui travaillent dans un État autre qu’un État membre de l’UE/EEE ou la Suisse peuvent être soumis aux contributions sociales françaises.

L’exclusion en cause constituait une restriction à la liberté de circulation des capitaux, étant donné que des ressortissants de l’Union affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre (UE/EEE) ou de la Suisse bénéficient d’un traitement fiscal plus favorable (sous la forme d’une exonération ou d’un remboursement des prélèvements en cause) que des ressortissants français qui résident dans un État tiers et sont affiliés à un régime de sécurité sociale dans cet État, en l’occurrence la Chine. Toutefois, précise la CJUE, cette restriction est justifiée, dans la mesure où il existe une différence objective entre, d’une part, un ressortissant français qui, tel que M. Jahin, réside dans un État tiers et y est affilié à un régime de sécurité sociale et, d’autre part, un ressortissant de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre. Seul ce dernier est susceptible, en raison de son déplacement à l’intérieur de l’Union, de bénéficier du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale. M. Jahin n’ayant pas fait usage de la liberté de circulation au sein de l’Union, il ne peut pas invoquer le bénéfice de ce principe.

Une question prioritaire de constitutionnalité

Dans l’affaire qui nous occupe, les requérants ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 9 mars 2017, n° 2016-615 QPC). Leur interrogation portait sur la légalité des dispositions du Code de la sécurité sociale applicables aux cotisations sociales en cause instaurant une discrimination entre les contribuables français assujettis à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne et ceux assujettis à un régime de sécurité sociale d’un État tiers, dès lors que les premiers ne pourraient être soumis à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, alors que les seconds pourraient y être soumis, au regard des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

La contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine prévue à l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, qui entre dans le champ du règlement européen du 29 avril 2004, est soumise au principe de l’unicité de législation posé par l’article 11 de ce règlement. Il en résulte qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne autre que la France ne peut être soumise à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine. En revanche, le règlement européen du 29 avril 2004 n’étant pas applicable en dehors de l’Union européenne, sauf accord international le prévoyant, ses dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État tiers soit assujettie à cette contribution. Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. En vertu de l’article 34 de la constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. « Il résulte des dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement, au regard de l’assujettissement à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles relevant du régime de sécurité sociale d’un État tiers », précise le Conseil constitutionnel. Toutefois, poursuit la haute juridiction, ces dispositions ont pour objet d’assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union. « Au regard de cet objet, il existe une différence de situation, qui découle notamment du lieu d’exercice de leur activité professionnelle, entre ces personnes et celles qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers. La différence de traitement établie par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Le premier alinéa du e) du paragraphe I de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit, doit être déclaré conforme à la constitution », conclut le Conseil constitutionnel.

Un mouvement de capital

Pour le Conseil d’État, et alors même que M. et Mme A doivent être regardé comme résidents fiscaux français au titre de l’année 2007, l’opération en cause dans le litige constitue un mouvement de capital entre la France et un État tiers, au sens de l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne, dès lors que le revenu qu’elle a procuré aux intéressés provient de la détention de titres d’une société française et qu’il n’est pas contesté qu’ils étaient, en 2007, domiciliés et affiliés à la sécurité sociale à Monaco, État tiers à l’Union européenne. Dans ce cadre de la jurisprudence Jahin, la CJUE a jugé qu’une législation telle que la législation française relative à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et à la contribution additionnelle à ce prélèvement qui réserve un traitement plus favorable aux ressortissants de l’Union qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre, d’un État membre de l’Espace économique européen ou de la Suisse qu’à ceux qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État tiers, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers, qui est, en principe, interdite par l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle a cependant jugé qu’une telle restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers était susceptible d’être justifiée, au regard des stipulations précitées de l’article 65, paragraphe 1, sous a), du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, par la différence de situation objective qui existe entre une personne physique, ressortissant d’un État membre, mais résidant dans un État tiers à l’Union européenne autre qu’un État membre de l’Espace économique européen ou la Suisse et qui y est affiliée à un régime de sécurité sociale, et un ressortissant de l’Union résidant et affilié à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre. Il résulte, en outre, des stipulations précitées de l’article 57 du traité instituant la Communauté européenne, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que des États membres peuvent appliquer des dispositions de droit national restreignant les mouvements de capitaux en provenance ou à destination de pays tiers si ces dispositions ou des dispositions identiques dans leur substance ou qui n’en diffèrent qu’en tant qu’elles comportaient des obstacles supplémentaires à la libre circulation des capitaux existent de façon ininterrompue depuis le 31 décembre 1993 et si elles se rapportent à des investissements directs. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, la notion de restriction existant le 31 décembre 1993 suppose que le cadre juridique dans lequel s’insère la restriction en cause ait fait partie de l’ordre juridique de l’État membre concerné d’une manière ininterrompue depuis cette date. Il en résulte qu’est sans incidence la circonstance que des dispositions de droit national n’auraient pas été appliquées par l’État membre concerné de la même manière depuis le 31 décembre 1993, au motif notamment que les conditions de leur application conforme au droit de l’Union auraient été précisées par un arrêt de la Cour de justice postérieur à cette date. La cour administrative d’appel a jugé que la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine des résidents fiscaux français a été instaurée avant le 31 décembre 1993 et maintenue continûment depuis. Elle en a déduit, après avoir estimé que la détention par M. A de titres dans la société Open Media présentait le caractère d’un investissement direct, au sens de l’article 57 du traité instituant la Communauté européenne, que les stipulations de cet article pouvaient servir de fondement à la restriction aux mouvements de capitaux constituée par l’assujettissement à la contribution sociale généralisée du revenu en cause dans le litige. En statuant ainsi, la cour n’a pas commis d’erreur de droit, la circonstance que les conditions d’application des textes du Code de la sécurité sociale dans le respect du droit de l’Union européenne auraient été définies postérieurement au 31 décembre 1993, par l’arrêt De Ruyter, étant sans incidence. En revanche, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et la contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels ont été assujettis M. et Mme A au titre de l’année 2007 constituaient une restriction à la libre circulation des capitaux entre États membres et pays tiers, prohibée par les stipulations du traité instituant la Communauté européenne. Le Conseil d’État, choisissant de régler l’affaire au fond, juge, en l’espèce, que M. et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’ils attaquent, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la décharge du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et de la contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels ils ont été assujettis au titre de l’année 2007.