Quel avenir pour le dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres contemporaines ?

Publié le 28/07/2023
Quel avenir pour le dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres contemporaines ?
Val Thoermer/AdobeStock

Pièce maîtresse du régime du mécénat culturel, le dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres contemporaines a été prolongé pour deux ans dans le cadre du vote de la dernière loi de finances. Le point sur ce régime dont l’importance pratique est réelle pour le secteur de l’art.

La loi de finances pour 2023 a prorogé une déduction spécifique en faveur des entreprises qui achètent des œuvres originales d’artistes vivants. Ce mécanisme autorisant les entreprises à déduire de leur résultat imposable le coût d’acquisition d’œuvres d’artistes vivants a été créé dans le but de soutenir l’activité du marché de l’art, dans le cadre de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat. Il a été notamment modifié par la loi n° 2003-709 du 1er août 2003, dite loi Aillagon. Aujourd’hui codifié à l’article 238 bis AB du Code général des impôts (CGI), il a nouveau été modifié dans le cadre de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 « de façon à pouvoir en effectuer une évaluation complète et identifier d’éventuelles pistes d’évolution ».

Plusieurs dispositifs de soutien au secteur de la culture

Conformément aux dispositions de l’article 238 A bis AB du CGI, l’entreprise déduit les sommes investies (correspondant au prix d’acquisition hors taxe de l’œuvre, auquel peuvent s’ajouter certains frais strictement accessoires à cette acquisition comme des frais de transport) de son résultat par fractions égales pendant cinq ans, l’exercice d’acquisition et les quatre années suivantes. L’avantage est plafonné à chaque exercice à 20 000 euros ou à 5‰ du chiffre d’affaires hors taxes de l’entreprise lorsque ce dernier montant est plus élevé. Le dispositif est réservé aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ou relevant du régime fiscal des sociétés de personnes. En effet, le dispositif est subordonné à l’inscription de l’œuvre à un compte actif immobilisé, ainsi qu’à l’inscription d’une somme égale à la déduction opérée sur un compte de réserve spéciale au passif du bilan de l’entreprise. Cette obligation exclut de facto les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux comme les professionnels libéraux qui n’exercent pas sous la forme des sociétés de personnes ou des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. Les œuvres acquises doivent être des œuvres d’art originales au sens de l’article 98 A de l’annexe III du CGI, qui définit limitativement les œuvres d’art d’un point de vue fiscal. Elles doivent être réalisées par un artiste vivant au moment de l’achat de l’œuvre. Aucune condition tenant à la nationalité de l’artiste n’est prévue. En contrepartie de cette déduction, l’entreprise doit présenter l’œuvre acquise au public. Cette dernière condition a été assouplie par le législateur dans le cadre de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificatives pour 2005. Il suffit désormais que l’œuvre soit exposée dans un lieu ouvert aux salariés et aux clients comme les salles d’accueil, de réunion, les halls, les couloirs, ou dans une institution culturelle recevant l’œuvre en dépôt, par exemple, pendant une période continue de cinq années, et l’entreprise est tenue de communiquer sur cette exposition.

Autre mécanisme spécifique dédié à soutenir l’action des entreprises dans le domaine de l’art et de la culture : le dispositif Trésor national (CGI, art. 238 Bis – OA). Les entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un « Trésor national » pour le compte de l’État peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies. La notion de Trésor national vise des biens culturels qui, présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont en conséquence fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire. Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un Trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposé au Louvre. Initialement, le dispositif Trésor national comprenait deux volets. À la réduction d’impôt pour don de 90 % était associée une réduction d’impôt limitée à 40 % des dépenses engagées (CGI, art. 238 Bis – O AB) et destinée aux entreprises souhaitant faire l’acquisition d’un Trésor national et en rester propriétaire. Ses conditions strictes n’ont pas facilité l’essor de ce volet acquisition du dispositif qui est resté sous-utilisé. Il a été supprimé dans le cadre de la loi de finances pour 2020.

Enfin, les entreprises mécènes peuvent recourir au régime de droit commun mis en place pour les entreprises et correspondant à une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) égale à 60 % des sommes données (CGI, art. 238 bis). Les dons effectués par les entreprises doivent être adressés à un organisme d’intérêt général tel qu’une fondation ou une association, un établissement d’enseignement, une collectivité publique ou locale, etc. La loi n’impose aucun montant minimal de chiffre d’affaires. De même, aucun montant minimal n’est requis pour le don effectué par l’entreprise. En revanche, le dispositif est plafonné. Les dépenses ne sont retenues que dans la limite de 20 000 € ou de 5 ‰ du chiffre d’affaires de l’entreprise donatrice lorsque ce dernier montant est plus élevé. En cas de dépassement de ce seuil ou si le résultat de l’exercice en cours est nul ou négatif, il est cependant possible de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants. La loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a durci le régime du mécénat d’entreprise, en abaissant à 40 % le taux de la réduction d’impôt pour la fraction de versements annuels de dons supérieurs à 2 millions d’euros.

Le mécénat culturel en hausse

Ces dispositions sont d’autant plus stratégiques que le mécénat culturel s’avère stratégique pour les entreprises. Selon les résultats du Baromètre du mécénat d’entreprise en France, publiés en novembre 2022, par Admical, en 2021, 3, 6 Md€ ont été consacrés au mécénat d’entreprise (contre 3, 5 Md€ en 2019), dont 2,3 Md€ de dons déclarés, soit 1,4 Md€ de réductions d’impôts accordées aux entreprises, (Baromètre du mécénat d’entreprise en France 2022, Admical, novembre 2022,https://admical.org/sites/default/files/uploads/barometre_admical_2022.pdf). Ce rapport s’appuie sur les données résultant des déclarations des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés fournies par la Direction générale des finances publiques (DGFI), ainsi que sur une enquête de l’IFOP, réalisée du 10 juin au 15 juillet 2022 auprès d’un échantillon de 1 401 entreprises comptant plus de 10 salariés. « Les motivations qui poussent les entreprises à s’investir dans la culture sont principalement le goût manifesté par le dirigeant ou l’histoire de l’entreprise (39 %), à quasi-égalité avec le souhait de participer à l’attractivité d’un territoire (37 %) et suivies de près (31 %) par la volonté de forger ou optimiser les valeurs de l’entreprise », analyse le Baromètre du mécénat d’entreprise en France.

En 2021, 37 % des entreprises mécènes sont intervenues dans le secteur culturel, contre 26 % en 2019, soit une augmentation de 11 points par rapport au dernier baromètre du mécénat d’entreprise d’Admical. Comme en 2019, la culture constitue le second domaine privilégié par les entreprises mécènes, avec 22 % de part de budget, après l’éducation (24 %) et devant le social (21 %). Là aussi cette part est en augmentation par rapport à 2019, année où cette part n’était que de 18 %, devant l’éducation et le sport (15 %) mais après le social (22 %). « Les entreprises les plus mobilisées sont les grandes entreprises (50 %), suivies des ETI (46 %) et des PME (33 %). Celles basées en régions soutiennent davantage le secteur culturel : 44 %, contre 24 % en Île-de-France », souligne le Baromètre du mécénat d’entreprise en France.

Un dispositif essentiel pour le secteur

S’agissant des montants, une majorité des mécènes de la culture (48 %, en hausse de 4 points par rapport à 2019) réalise des dons inférieurs à 5 000 €, la médiane s’établissant à 7 500 €, soit une baisse qui avoisine les 5 % au regard du précédent baromètre. La diffusion des œuvres artistiques constitue la mission la plus plébiscitée par les mécènes (48 %, soit une hausse de 10 points), devant la transmission (sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel) avec 35 % (hausse de 13 points) et le développement de l’éducation artistique et culturelle, 30 % (hausse de 2 points seulement). Le soutien à la création n’intéresse que 27 %, des mécènes. Les entreprises se positionnent en priorité dans le soutien au spectacle vivant (48 %) et la musique (45 %). Ces deux secteurs concentrent 52 % du budget dédié au mécénat culturel.

Si au regard de ces chiffres, le soutien à la création et l’art contemporain n’apparaissent pas comme des missions prioritaires pour nombre d’entreprises, la sauvegarde de ce dispositif apparaît cependant fondamentale pour le secteur. En effet, d’après une enquête menée par la Maison des artistes qui a interrogé ses adhérents, artistes professionnels, sur l’adoption du dispositif, son succès et sa compréhension auprès de 1 233 artistes professionnels répondant, ce dispositif a une place prépondérante. Il est bien identifié par près de 20 % d’entre eux qui indiquent en avoir bénéficié à la suite d’une vente à une entreprise. Par ailleurs, 46 % des répondants indiquent avoir déjà vendu une œuvre à une entreprise. Pour 92 % d’entre eux, le montant de l’œuvre était inférieur à 10 000 €. En outre, 64 % d’entre eux entendent prospecter auprès d’entreprises en vue d’une vente. C’est donc un dispositif-clé dans le cadre des relations entreprises/ artistes et pour des montants inférieurs au plafond fixé par le législateur.

Une dépense fiscale coûteuse ?

La Cour des comptes s’est penchée sur l’évolution de cette dépense fiscale en 2018. Les dépenses fiscales représentaient alors un coût croissant pour le budget de l’État : le coût des 457 dépenses fiscales est estimé à 92,98 Md€. Ce montant est supérieur de 3, 1 Md€ par rapport aux dépenses fiscales enregistrées un an auparavant. Et le coût de ces dépenses fiscales a augmenté de 0, 57 points de PIB de puis 2011. « Parmi les dépenses fiscales spécifiques en faveur du mécénat culturel, seule la mesure en faveur de l’acquisition des Trésors nationaux représente une mesure fiscale d’un montant significatif. De 2004 à 2015, elle a représenté entre 7,9 Md€ et 26,Md€. Ces variations s’expliquent par la nature même de la procédure des Trésors nationaux. Si chaque année le nombre de dossiers est assez constant, autour d’une douzaine, la valeur des œuvres ou pièces archéologiques classées Trésor national peut varier dans des proportions assez fortes », souligne la Cour des comptes. L’autre volet du dispositif Trésor national représentait alors une dépense inférieure à 1 Md€ sauf exceptionnelle en 2016 ou cette dépense a atteint 2 Md€ en raison de l’acquisition par la Banque de France de deux tableaux d’un coût important. La dépense fiscale spécifique codifiée à l’article 238 bis AB du CGI représente, quant à elle, un coût compris entre 1 Md€ et 7 Md€. Cette dépense fiscale « est une dépense de guichet, chaque entreprise intéressée pouvant en bénéficier dans les limites imposées par les textes. Elle ne peut donc pas en temps réel, être maîtrisée. Pour autant, comme dans le cas de la plupart des autres dépenses fiscales, le suivi assuré par l’État est presque inexistant », regrette la Cour des comptes. D’après les statistiques de Bercy, son coût est estimé pour les chacune des années 2020, 2021 et 2022 à 3 millions d’euros.

Un mécanisme en sursis ?

La loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a programmé la fin du dispositif au 31 décembre 2022. Cette disposition ajoutée tardivement au cours des débats parlementaires et sans concertation avec les professionnels du secteur a provoqué l’émoi des artistes et des acteurs du marché de l’art. Ce bornage temporel représentait une menace pour un dispositif largement intégré depuis plusieurs années dans les démarches de mécénat des entreprises. « Toutes les entreprises n’ont en effet pas fait le choix de créer une Fondation ou un Fonds de dotation, mais s’appuient sur l’article 238 bis AB de la loi Aillagon pour flécher concrètement leur soutien à l’acquisition d’œuvres d’art, souligne à cet égard le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA, « Art et entreprise : un dispositif fiscal sur la sellette – Le CPGA se mobilise ! », 4 novembre 2021). En introduisant de l’art dans l’entreprise ce dispositif favorise la diffusion et/ou la production d’œuvres, « contribuant à la sensibilisation des publics tant externes qu’internes, notamment par l’implication du personnel », précise encore le Comité professionnel des galeries d’art. Si les acteurs du marché de l’art ont échoué dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2022 à étendre le bornage du dispositif c’est désormais chose faite. Le dispositif est prorogé jusqu’au 31 décembre 2025. Du temps gagné pour que le secteur se mobilise afin d’en garantir la pérennité.fisc

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