Quel bilan pour la justice négociée ?

Publié le 29/03/2023

Le recours aux conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) et aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) continue de progresser. Ces instruments de justice négociée sont réputés efficaces pour des dossiers comportant des problématiques fiscales complexes et pour réduire les délais de procédure applicables.

Le recours aux conventions judiciaires d’intérêt public et aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, deux instruments de justice négociée, répondent aux enjeux de la complexité des dossiers fiscaux et de la lenteur et de l’aléa des procédures classiques. L’extension des CJIP et des CRPC permet donc à l’autorité publique de concilier deux objectifs : sanctionner sévèrement et rapidement les entreprises tout en permettant la poursuite de leur activité.

L’essor de la convention judiciaire d’intérêt public

En 2022, 3 CJIP ont été conclues pour des faits de fraude fiscale, complicité de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale pour un montant total d’amendes d’intérêt public versées s’élevant à 645 millions d’euros (chiffres DGFiP, février 2023). Cette procédure permet de régler un litige par le biais d’une transaction entre le procureur de la République et la personne morale mise en cause, homologuée par un juge. La CJIP permet donc aux entreprises de négocier une amende afin d’éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité, pour les cas de corruption, trafic d’influence ou blanchiment de fraude fiscale. La CJIP implique, d’une part, le versement au Trésor public d’une amende d’intérêt public, dont le montant doit être proportionné aux avantages tirés des manquements constatés, et, d’autre part, la mise en œuvre d’un plan de mise en conformité sous l’égide de l’Agence française anticorruption. Si la personne morale mise en cause accepte la CJIP, celle-ci doit être validée dans le cadre de la saisine par le procureur par le président du tribunal judiciaire. Ce dernier évalue en audience publique le bien-fondé du recours à la CJIP, qui a pour effet d’éteindre l’action publique. Si elle n’implique pas de reconnaissance de culpabilité, à la différence de la CRPC, la conclusion d’une CJIP est toujours rendue publique, avec un exposé des faits reprochés à la personne mise en cause et l’indication du montant de l’amende versée.

Les atouts de la CJIP

La mise en œuvre d’une procédure négociée accélère le traitement de la procédure pénale en atténuant l’aléa de son issue. En outre, le recours à la CJIP satisfait l’intérêt public lorsqu’il permet de réduire sensiblement le délai d’enquête, d’assurer l’effectivité et la fermeté de la réponse judiciaire en réponse aux comportements poursuivis, d’assurer l’indemnisation du préjudice de la victime et contribue à la prévention de la récidive par la mise en place de dispositifs effectifs de détection des atteintes à la probité. Elle implique, d’une part, le versement au Trésor public d’une amende d’intérêt public, dont le montant doit être proportionné aux avantages tirés des manquements constatés, et, d’autre part, la mise en œuvre d’un plan de mise en conformité sous l’égide de l’Agence française anticorruption. Si la personne morale mise en cause accepte la CJIP, celle-ci doit être validée dans le cadre de la saisine par le procureur du président du tribunal judiciaire. Ce dernier évalue en audience publique le bien-fondé du recours à la CJIP, qui a pour effet d’éteindre l’action publique. Si elle n’implique pas de reconnaissance de culpabilité, à la différence de la CRPC, la conclusion d’une CJIP est toujours rendue publique, avec un exposé des faits reprochés à la personne mise en cause et l’indication du montant de l’amende versée.

Un mode de poursuite alternatif efficace

Cet outil, inspiré du « Deferred Prosecution Agreement » américain, a été instauré dans le cadre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II. Le champ d’application de la CJIP a été étendu à la fraude fiscale dans le cadre de l’article 25 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude comme c’était déjà le cas pour les délits de blanchiment de fraude fiscale depuis la loi Sapin II de décembre 2016. Les conditions de son application ont été précisées par la circulaire du 31 janvier 2018 et la dépêche du 21 mars 2019 de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) qui comporte notamment en annexe un « Guide de la convention judiciaire d’intérêt public ». L’article 41-1-2 du Code de procédure pénale réserve au procureur de la République l’initiative de formuler la proposition de conclure une CJIP. Il apprécie au cas par cas l’opportunité d’avoir recours à une telle mesure. Cette proposition peut intervenir tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement. En effet, dans la mesure où la CJIP constitue une alternative aux poursuites. La conclusion d’une CJIP peut donc être proposée par le parquet à tout moment au cours de l’enquête, en tout état de cause avant la saisine du tribunal correctionnel. La proposition de CJIP peut aussi intervenir au cours de l’information judiciaire selon la procédure spécifique prévue à l’article 180-2 du Code de procédure pénale. Que ce soit au cours de l’enquête préliminaire ou au cours de l’information judiciaire, la proposition de CJIP intervient si plusieurs critères sont réunis. Cette mesure permettant aux entreprises d’échapper à une condamnation judiciaire et aux conséquences qui y sont attachées, elle doit être réservée aux situations dans lesquelles il apparaît conforme à l’intérêt public de ne pas engager de poursuites pénales. La durée souvent très longue des procédures et leur caractère aléatoire sont déstabilisants pour la personne morale et son image ainsi que pour sa gouvernance, distraite durablement de la gestion des affaires. La CJIP présente à cet égard l’intérêt de permettre à la personne morale de provisionner les sommes relatives à l’amende d’intérêt public et d’en informer son actionnariat. La célérité de la procédure, renforcée par la coopération de la personne morale à l’enquête, atténue le préjudice résultant de l’atteinte portée à la réputation de l’entreprise. Elle limite également l’effet négatif de la procédure pénale sur les capacités de financement de la personne morale, ainsi que sur ses relations commerciales, notamment lors de la mise en œuvre de dispositifs d’évaluation des tiers par ses cocontractants. Lorsque la personne morale accepte un programme de mise en conformité, la CJIP contribue aussi à apaiser le climat social de l’entreprise en témoignant de l’engagement de ses dirigeants en matière de prévention et de détection des atteintes à la probité.

L’essor de la reconnaissance préalable de culpabilité dans les affaires de fraude fiscale

En 2022, 63 affaires de fraude fiscale ont entraîné des condamnations par CRPC (chiffres DGFiP, février 2023). La possibilité de recourir à la procédure CRPC ou « plaider-coupable en matière de fraude fiscale a été introduit en 2004 dans le cadre de la loi Perben II et été codifié aux articles 495-7 et suivants du Code de procédure pénale. Cette procédure de plaider-coupable est applicable à une personne physique ou morale qui reconnaît avoir commis un délit. Dans cette procédure, le procureur fait une proposition de peine. Si la personne poursuivie l’accepte, une phase d’homologation s’ouvre alors auprès du président du tribunal judiciaire, sans que la personne ne soit jugée en audience correctionnelle. L’homologation est décidée en audience publique par ordonnance motivée, laquelle doit constater la reconnaissance des faits, leurs qualifications juridiques ainsi que la proportionnalité des peines. L’ordonnance est susceptible d’appel dans les 10 jours suivant son homologation. Le dossier peut ainsi être clos en quelques mois sans effacer la culpabilité de l’auteur.

Le recours à cette procédure de CRPC dans les affaires de fraude fiscale a été prévu dans le cadre de l’article 24 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.  « Ainsi, si la procédure avait été initialement créée pour les affaires simples et en état d’être jugées, ne nécessitant pas d’investigations complexes sur la personnalité de l’auteur, de préférence sans partie civile, avec un auteur unique, dont la sanction était relativement prévisible et qui ne justifiait pas d’audience devant le tribunal correctionnel, elle a progressivement été étendue aux affaires plus complexes, avec une pluralité de mis en cause et de victimes, et jusqu’aux affaires de fraude fiscale par la loi du 23 octobre 2018 », souligne un récent rapport d’information de la commission des finances du Sénat (Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, rapport d’information n° 72 du Sénat du 25 octobre 2022, de M. Jean-François HUSSON, fait au nom de la commission des finances).

Un recours plus fréquent aux condamnations par CRPC en matière de fraude fiscale

Les CRPC permettent de traiter plus rapidement les dossiers les plus simples de fraude fiscale souligne ce rapport d’information. Il précise par ailleurs que pour les magistrats des sections F2 et J2 du Tribunal de Paris, entendus lors du déplacement de la mission d’information, la CRPC constitue « une procédure très adaptée au contentieux et au profil des fraudeurs fiscaux ». Pour ces sections, 47 CRPC ont été homologuées entre 2019 et le 15 juin 2022, même si seule une minorité concernait des dénonciations obligatoires : 19 % en 2019 et 4 % en 2020. La circulaire du 4 octobre 2021 incite les parquets à user de la procédure de CRPC d’une manière « aussi large que possible » et ce « tant dans les cas de fraude des personnes physiques que morales, et ce, quels que soient les montants fraudés », souligne ce rapport, précisant que « la procédure de CRPC en matière de fraude fiscale a connu une forte montée en puissance depuis 2019 et les instructions contenues dans la circulaire témoigne de la volonté de l’étendre au-delà des cas de fraude les plus simples ou mineurs ». Seuls 26 prévenus (soit 4 % des condamnations) ont été condamnés en CRPC pour des faits de fraude fiscale 2019. En 2021, ce chiffre est passé à 120 prévenus condamnés en CRPC pour des faits de fraude fiscale, pour un total de 16 % des condamnations.  « Le nombre de CRPC a quasiment été multiplié par plus de quatre en trois ans, passant de 23 en 2019 à 60 en 2020 puis 111 en 2021. L’évolution du montant moyen et médian des amendes prononcées confirme également le choix de recourir plus largement à cette procédure », souligne le rapport. Il conclut donc à l’efficacité de ces instruments de justice négociée au service de la répression de la fraude fiscale. « L’idée selon laquelle le recours aux CJIP et aux CRPC constituerait un dessaisissement par la justice de son rôle doit être écartée : les dossiers traités par CJIP ou CRPC constituent bien une réponse judiciaire à des faits de fraude », précise le rapport. S’« il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité de la part de la personne morale mise en cause dans le cas d’une CJIP et pas d’audience correctionnelle dans le cas d’une CRPC, mais, in fine, c’est bien un comportement de fraude fiscale qui est pénalement sanctionné ». En CRPC, l’absence d’audience ne veut pas dire que la procédure pénale n’a pas abouti. Au contraire, « l’acceptation des faits et la rapidité avec laquelle la sanction est infligée sont synonymes d’efficacité et d’exemplarité de celle-ci ». Enfin, dans les dossiers traités par recours à la CJIP, « le montant de l’amende transactionnelle est déterminé de façon à approcher le plus possible la perte encourue par le Trésor public et les pénalités ».

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