Quel bilan pour le Parquet national financier ?

Le Parquet national financier traite des dossiers économiques et financiers les plus complexes. Près d’une procédure sur deux a trait à une atteinte aux finances publiques : fraude fiscale aggravée, blanchiment, escroquerie à la TVA. Le recours à la convention judiciaire d’intérêt public et surtout à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) y est essentiel.
Le Parquet national financier (PNF) a été instauré par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Sa création a répondu à des impératifs de transparence démocratique et de lutte contre les formes de fraudes les plus graves aux finances publiques et les atteintes à la probité.
Un Parquet national et spécialisé
Le PNF a commencé son activité le 1er février 2014. Il s’agit d’un parquet à compétence nationale qui enquête sur des infractions commises sur l’ensemble du territoire français. C’est aussi un parquet spécialisé dont l’action est ciblée sur les enquêtes pénales les plus complexes dans le domaine de la délinquance économique et financière. C’est un parquet autonome dont les procédures sont jugées par la 32e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Sa création s’est inscrite dans le cadre d’une stratégie politique globale, puisqu’en 2013, ont également été créés la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). L’arsenal de la lutte anticorruption a été complété avec la création de l’Agence française anticorruption (AFA), par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.
Les ressources du PNF
Le PNF compte une vingtaine de magistrats qui travaillent en binôme sur les dossiers dont ils ont la charge et se rendent ensemble à l’audience dans les affaires les plus complexes. Chaque binôme de magistrats suit en moyenne 90 dossiers. Pour mener leurs investigations les magistrats du PNF s’appuient à titre principal sur les compétences de services d’enquête spécialisés tels que l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), la Section de recherche de la gendarmerie de Paris ou encore la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) de la Préfecture de police de Paris. Cependant, les ressources en enquêteurs spécialisés dans ce domaine apparaissent désormais insuffisantes pour faire face aux nombreuses saisines émanant du PNF. En effet, le PNF a développé ces dernières années un réseau de contacts de plus en plus dense auprès d’autorités administratives françaises et étrangères afin de favoriser la détection de faits, au premier rang desquels la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, TRACFIN, mais également l’Agence française anticorruption, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, Transparency International ou encore la Maison des lanceurs d’alerte.
Le bilan de l’année 2024 en chiffres
À l’occasion de l’audience solennelle de rentrée 2025 du tribunal judiciaire de Paris, le procureur de la République financier, Jean-François Bohnert a dressé le bilan de l’année 2024. Si pour la première fois, le nombre de procédures en cours est légèrement en baisse (766 fin 2024 contre 781 fin 2023), le volume d’affaires traité reste élevé avec une moyenne de 42 procédures par magistrat. Cette diminution résulte d’un accroissement du nombre de procédures clôturées en 2024. Sur ces 766 affaires, 87 % sont au stade de l’enquête préliminaire et 13 % au stade de l’information judiciaire. 46,87 % de ces affaires concernent des atteintes aux finances publiques et 46,61 % concernent des atteintes à la probité. En 2024, 97 personnes ont été condamnées et plus de 203 millions d’euros d’amendes pénales, dommages et intérêts, sommes issues des contrôles fiscaux, etc. ont été prononcés en faveur du Trésor public. Si le niveau de condamnation reste proche de l’an passé (123), l’augmentation du nombre de relaxes (39 %) inquiète. Afin d’assurer l’efficacité de la réponse pénale, le PNF pratique des saisie-confiscations dès que le cadre juridique l’autorise et que cette mesure est proportionnée aux faits. De nombreux actifs : comptes bancaires, titres financiers, véhicules, immeubles, etc. ont été saisi. En 2024, plusieurs vignobles bordelais, pour un montant évalué à plus de 24 millions d’euros suspectés d’avoir été financés par le blanchiment de faits de détournements de fonds publics en Chine ont ainsi été confisqués, De même, 446 millions d’euros ont été saisis, ce qui représente un tiers des saisies sur l’ensemble du territoire national. Plusieurs opérations de grande ampleur ont eu lieu, avec des perquisitions simultanées dans plusieurs pays et sept départements français, mobilisant près de la moitié des magistrats, greffiers et assistants spécialisés du PNF.
Développement de la coopération pénale internationale
En outre, on a assisté à un renforcement de la coopération pénale internationale par l’adhésion de la France au réseau Globe-E, qui comprend actuellement 222 autorités de 123 pays, dont 15 pays du G20, et un renforcement des liens avec les Émirats arabes unis. 110 demandes d’entraide pénale internationales ont été reçues en 2024. Il est nécessaire dans une procédure sur trois suivie par le PNF de recourir aux mécanismes de l’entraide pénale internationale, afin notamment d’obtenir la transmission de données bancaires ou relatives à une personne morale, de réaliser une perquisition, d’entendre un témoin ou une personne mise en cause, de solliciter la saisie ou la confiscation d’avoirs criminels constituant le produit ou la valeur du produit de l’infraction. À cette fin, le PNF s’appuie sur différents outils mis à sa disposition : demandes d’entraides pénales internationales, décisions d’enquêtes européennes, certificats de gel ou de confiscation. Depuis son origine, le PNF a ainsi transmis 868 demandes à ses partenaires à l’international. Ses demandes ont été transmises à 88 États différents. Cependant, l’entraide avec des États à fiscalité privilégiée ou parfois à forte opacité financière (Luxembourg, Suisse, Monaco, Panama, Singapour, Chypre, îles Vierges Britanniques, Hong Kong, Émirats arabes unis) est prépondérante. Le PNF est régulièrement saisi par ses partenaires. Depuis sa création, le PNF a été sollicité à 715 reprises par des autorités étrangères. Ces sollicitations tendent à augmenter surtout depuis 2021, année au cours de laquelle plus de 100 demandes ont été réceptionnées. Ces demandes ont été formulées par plus de 77 États différents.
Le recours à la convention judiciaire d’intérêt public
En 2024, le PNF a poursuivi son recours à la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Deux conventions ont été validées et signées en 2024 contre six en 2023. Plusieurs CJIP sont en cours de négociation. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Loi Sapin 2 », a introduit, à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, la possibilité de conclure entre le procureur de la République et toute personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité, une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Il s’agit d’une mesure alternative aux poursuites, destinée à accélérer les procédures, en permettant aux entreprises de négocier une amende afin d’éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité, notamment pour fraude fiscale ou blanchiment de fraude fiscale. L’entreprise s’engage à payer une amende d’intérêt public proportionnée aux avantages qu’elle a tirés des manquements visés par la convention, et/ou à mettre en œuvre, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA), un programme de mise en conformité de ses procédures de prévention et de détection de la corruption pendant une durée maximale de trois ans. Cette convention peut également, le cas échéant, prévoir une indemnisation des victimes. La CJIP est applicable aux personnes morales au stade de l’enquête préliminaire ou de l’information judiciaire et requiert la validation d’un juge. Elle permet de réduire les délais de procédure, d’assurer l’effectivité des sanctions et finalement renforce l’adhésion à la réponse pénale de l’ensemble des parties prenantes. Depuis octobre 2017, 20 CJIP ont été conclues par le PNF, dont 5 en 2023 en matière de corruption. Elles concernent des groupes de tailles et de secteurs très divers, en majorité cotés sur les marchés financiers. S’agissant du montant des amendes d’intérêt public prononcées, il s’élève à 3,98 milliards d’euros pour l’ensemble des 20 CJIP validées. Si l’on excepte les trois amendes les plus importantes, qui sont supérieures à 500 millions d’euros, le montant moyen d’amende est de 53 millions d’euros. Il convient de rappeler que le montant de l’amende d’intérêt public est plafonné à 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise et n’est pas fonction du montant de l’amende encourue devant le tribunal correctionnel en cas de condamnation délictuelle. En 20 ans, 20 CJIP ont été validées par le PNF.
Le développement des CRPC
Les procédures comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) représentent 40 % des condamnations prononcées par le PNF en 2024, c’est dire le succès de cette procédure de jugement rapide inspirée du plaider coupable au Canada et du plea bargaining aux États-Unis et en Angleterre. Cette procédure a été mise en place dans le cadre de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite loi Perben II, et codifiée aux articles 495-7 à 495-16 du Code de procédure pénale. Elle permet le jugement de l’auteur d’une infraction, à la condition qu’il reconnaisse les faits reprochés. Cette procédure de jugement simple et rapide peut être mise en œuvre à certaines conditions. Elle s’étend à tous les délits commis par des personnes majeures, à l’exception des délits de presse, de certaines atteintes graves aux personnes et des délits politiques. Le recours à la procédure de CRPC dans les affaires de fraude fiscale a été prévu dans le cadre de l’article 24 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Très rapidement les CRPC se sont multipliées dans les affaires de fraude fiscale. Les CRPC homologuées sur présentation du PNF concernent désormais pour deux tiers des faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. Première condition indispensable à la mise en œuvre de la CRPC : la personne mise en cause doit reconnaître les faits qui lui sont reprochés. D’autres conditions peuvent être imposées. En pratique, en matière fiscale, le Parquet national financier exige que le contribuable ait régularisé sa situation auprès de l’administration fiscale avant d’envisager la proposition d’une CRPC. Le recours à cette procédure favorise donc le recouvrement de ces sommes par le Trésor public.
Et demain ?
Les priorités de politique pénale pour l’année 2025 ont été également évoquées par Jean-François Bohnert : prioriser les procédures qui présentent des liens avec la criminalité organisée, telles que la fraude fiscale commise par les organisations criminelles ou encore la corruption en lien avec les trafics de stupéfiants. Le procureur de la République financier a enfin plaidé pour un renforcement des services d’enquêtes spécialisés, essentiel à la conduite efficace des enquêtes diligentées par le PNF. Face à la complexification des procédures et des circuits financiers, le PNF entend également renforcer l’entraide pénale internationale. Il souhaite également entamer une réflexion sur l’évolution des outils juridiques à la disposition des parquets, mais également à la compétence matérielle du PNF, laquelle pourrait être utilement étendue à la présomption de blanchiment ou encore aux violations de sanctions internationales, propose Jean-François Bohnert.
Référence : AJU017h0
