Quel doit être le niveau minimum d’imposition mondiale ?

Publié le 27/06/2023
Quel doit être le niveau minimum d’imposition mondiale ?
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L’Union européenne a décidé d’imposer au minimum à 15 % les bénéfices des entreprises faisant un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 750 millions d’euros. La directive doit être transposée par les États membres avant le 31 décembre 2023 pour une application aux exercices des sociétés concernées à compter de cette date.

Cons. UE, dir. n° 2022/2523, 14 déc. 2022, visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union

La directive (UE) n° 2022-2524 du 14 décembre 2022 est la transcription du Pilier 2 de la réforme sur la fiscalité internationale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (I). Mais son champ d’application s’étend aux groupes nationaux de grande envergure dont le chiffre d’affaires annuel est égal ou supérieur à 750 000 000 € (II).

I – La transcription du Pilier 2 sur la fiscalité internationale de l’OCDE

Le 15 décembre 2022, les 27 États membres de l’Union européenne ont approuvé la mise en place d’un impôt mondial sur les multinationales. Issue d’un accord auparavant signé par près de 140 pays, cette taxe de 15 % minimum sur les bénéfices des entreprises doit entrer en vigueur fin 2023 (Pilier 2 de la réforme sur la fiscalité internationale de l’OCDE).

Pour rappel, le Pilier 1 de la réforme sur la fiscalité internationale de l’OCDE comprend le nouveau système d’attribution des droits d’imposition des plus grandes multinationales aux juridictions où les bénéfices sont réalisés.

Le Pilier 2 comporte des règles visant à réduire les possibilités d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices afin que les plus grands groupes multinationaux des entreprises paient un taux minimum d’impôt sur les sociétés.

La transcription juridique de ce pilier s’illustre désormais par l’adoption de cette directive européenne à l’unanimité par le vote favorable de l’ensemble des États membres1.

Selon l’OCDE, la mesure – le second pilier de l’accord – doit fortement limiter l’évasion fiscale des multinationales et générer chaque année « 150 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires ».

Par exemple, une société américaine dont les profits sont localisés dans un paradis fiscal, et qui à ce titre ne paie aujourd’hui pas d’impôts, sera désormais contrainte d’en reverser 15 % aux États-Unis. Autre exemple : une entreprise française, taxée quant à elle au taux de 9 % dans un autre pays à faible fiscalité, devra verser la différence à la France, soit 6 % d’impôts supplémentaires.

Ainsi, quel que soit le pays dans lequel une multinationale déclare ses bénéfices, ces derniers seront in fine taxés à un taux minimal identique. Ainsi, lorsque l’entreprise paiera moins de 15 % d’impôts dans un pays étranger (où elle possède des filiales), son pays d’origine (dans lequel se situe son siège social) récupérera la différence afin que l’ensemble des impôts versés par la société atteigne bien ce seuil2.

Le département des affaires fiscales du Fonds monétaire international estime que les pertes fiscales liées au déplacement des bénéfices par les grandes entreprises s’élèvent à plus de 600 milliards de dollars (563 Md€) par an, dont les deux tiers pour les États membres de l’OCDE et un tiers pour les pays en développement3.

Dans son rapport sur les questions fiscales adressé au Conseil européen et approuvé par ce dernier, le Conseil pour les affaires économiques et financières (Conseil ECOFIN) avait réaffirmé qu’il soutenait fermement la réforme et qu’il s’engageait à la mettre en œuvre rapidement, au moyen du droit de l’Union. À la suite de la levée des vétos hongrois et polonais, la proposition de directive transposant les règles GloBE4 a été entérinée par l’ensemble des États membres le 15 décembre 2022.

Dans ce contexte, selon la directive, il est essentiel que les États membres respectent effectivement leur engagement à atteindre un niveau minimum d’imposition mondial. Dans une Union où les économies sont étroitement intégrées, il est crucial que la réforme visant à mettre en place un niveau minimum d’imposition mondial soit mise en œuvre d’une manière suffisamment cohérente et coordonnée.

La directive reprend le contenu et la structure du modèle de règles de l’OCDE avec néanmoins certains aménagements. En effet, afin de sécuriser au maximum la compatibilité de ces nouvelles règles avec le droit de l’Union européenne, et en particulier avec les libertés fondamentales, les règles GloBE de la directive s’écartent sur une série de dispositions du modèle rédigé par le cadre inclusif OCDE5.

Ainsi, par exemple, les groupes d’entreprises purement domestiques qui atteignent le chiffre d’affaires de 750 M€ (ou « groupes nationaux de grande envergure » dans le jargon bruxellois) entrent également dans le champ d’application de ces règles.

De même, la règle d’inclusion des revenus (RIR, qui constitue le dispositif primaire de collecte de l’impôt complémentaire GloBE) trouvera à s’appliquer en interne (i.e. une entité mère résidente sera imposée sur les profits insuffisamment taxés de sa filiale résidente du même État).

Il convient aussi de citer l’option offerte aux États membres comptant au plus 12 entités mères ultimes de groupes ayant un chiffre d’affaires d’au moins 750 M€ sur leur territoire de ne pas appliquer les règles GloBE pendant 6 ans et, surtout, le report de l’application de ces règles aux exercices fiscaux ouverts à compter du 31 décembre 2023 (issu d’une interprétation audacieuse de la déclaration commune du 8 octobre 2021 des 137 membres du cadre inclusif OCDE-G20 qui est désormais partagée par d’autres États, comme le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord)6. Le champ d’application de la directive

A – Les entités concernées

La directive s’applique aux entités constitutives situées dans un État membre qui font partie d’un groupe d’EMN (grandes entreprises multinationales) ou d’un groupe national de grande envergure dont le chiffre d’affaires annuel est égal ou supérieur à 750 M€, y compris le chiffre d’affaires des entités exclues dans les états financiers consolidés de son entité mère ultime pendant au moins deux des quatre années fiscales précédant immédiatement l’année fiscale testée.

À noter. Lorsqu’une ou plusieurs des quatre années fiscales précitées ont une durée supérieure ou inférieure à 12 mois, le seuil de chiffre d’affaires précité doit être ajusté proportionnellement pour chacune de ces années fiscales.

Actuellement, cette mesure concernerait une centaine d’entreprises à travers le monde, et vise essentiellement les multinationales qui œuvrent dans le secteur du numérique.

À noter. Lorsque les recettes et les bénéfices dans une juridiction sont inférieurs à un montant minimal donné, aucun impôt supplémentaire ne sera dû sur les bénéfices du groupe générés dans cette juridiction, même si le taux d’imposition effectif est inférieur à 15 % (exclusion de minimis).

Pour les groupes nationaux, l’imposition supplémentaire ne s’appliquera qu’à l’issue d’une période de cinq ans à compter de la date à laquelle un groupe purement interne entre dans le champ d’application de la règle.

Les premières années, les entreprises pourront déclarer une base imposable réduite. Elles seront autorisées à en déduire 10 % de la masse salariale et 8 % du montant des actifs corporels (les biens qu’elles possèdent et utilisent effectivement). Des taux qui diminueront progressivement pour atteindre plus de 5 % dans les deux cas au bout de neuf ans.

Pour assurer la compatibilité avec le droit primaire de l’Union, et en particulier avec le principe de la liberté d’établissement, les règles de la directive doivent s’appliquer tant aux entités ayant leur résidence dans un État membre qu’aux entités non-résidentes appartenant à une entité mère située dans cet État membre.

La directive doit également s’appliquer aux groupes purement nationaux de grande envergure. Ainsi, le cadre juridique sera conçu de façon à éviter tout risque de discrimination entre les situations transfrontières et les situations nationales. Toutes les entités situées dans un État membre à faible imposition, y compris l’entité mère appliquant la RIR doivent être soumises à l’impôt complémentaire.

De même, les entités constitutives de la même entité mère qui sont situées dans un autre État membre, où l’imposition est faible, devront être soumises à l’impôt complémentaire. S’il est nécessaire de faire en sorte de décourager les pratiques d’évasion fiscale, il convient d’éviter les incidences négatives sur les petites EMN opérant sur le marché intérieur.

B – Les entités exclues

Certaines entités sont exclues du champ d’application de la directive compte tenu de leur objet et de leur statut particuliers.

Les entités exclues sont celles qui n’exercent généralement aucune activité liée au commerce et aux affaires et exercent des activités d’intérêt général, telles que la prestation de soins de santé publique et l’éducation ou la construction d’infrastructures publiques, et qui, pour ces raisons, pourraient ne pas être soumises à l’impôt dans l’État membre où elles sont situées.

Ainsi, sont exclues du champ d’application de la directive les entités publiques, les organisations internationales, les fonds de pension et les organisations à but non lucratif, y compris les organisations ayant des finalités telles que la santé publique.

Les organisations à but non lucratif devraient également pouvoir englober les organismes d’assurance soins de santé qui ne cherchent à réaliser ni ne réalisent aucun bénéfice excepté au profit des soins de santé publics.

Selon la directive, les fonds d’investissement et les véhicules d’investissement immobilier devraient également être exclus lorsqu’ils se trouvent au sommet de la chaîne de détention, étant donné que les revenus perçus par ces entités sont imposés au niveau de leurs entités détentrices.

II – L’entité mère ultime d’un groupe d’EMN ou d’un groupe national de grande envergure

L’entité mère ultime d’un groupe d’EMN ou d’un groupe national de grande envergure, lorsque l’entité mère détient directement ou indirectement une participation conférant le contrôle dans toutes les autres entités constitutives du groupe d’EMN ou du groupe national de grande envergure, occupe une position centrale dans le système.

Étant donné que l’entité mère ultime est normalement tenue de consolider les états financiers de toutes les entités du groupe d’EMN ou du groupe national de grande envergure ou que, si tel n’est pas le cas, elle serait normalement tenue de le faire en vertu d’une norme de comptabilité financière admissible, elle détient des informations essentielles et serait la mieux placée pour veiller à ce que le niveau d’imposition par juridiction pour le groupe soit conforme au taux minimum d’imposition convenu.

Lorsque l’entité mère ultime est située dans l’Union, précise la directive, elle devrait donc être soumise à l’obligation d’appliquer la RIR à sa part attribuable de l’impôt complémentaire pour toutes les entités constitutives faiblement imposées du groupe d’EMN, que ces entités soient situées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union.

L’entité mère ultime d’un groupe national de grande envergure devrait appliquer la RIR à la totalité du montant de l’impôt complémentaire relatif à ses entités constitutives faiblement imposées.

Dans certaines circonstances, cette obligation d’appliquer la RIR devrait être transférée, plus bas dans la chaîne, à d’autres entités constitutives du groupe d’EMN situées dans l’Union.

Premièrement, lorsque l’entité mère ultime est une entité exclue ou lorsqu’elle est située dans une juridiction de pays tiers qui n’a pas mis en œuvre le modèle de règles de l’OCDE ou des règles équivalentes et qui n’est donc pas dotée d’une RIR qualifiée, les entités mères intermédiaires se trouvant en dessous de l’entité mère ultime dans la chaîne de détention et situées dans l’Union devraient être tenues, en vertu de la directive, d’appliquer la RIR jusqu’à concurrence de leur part attribuable de l’impôt complémentaire.

Toutefois, lorsqu’une entité mère intermédiaire tenue d’appliquer la RIR détient une participation conférant le contrôle dans une autre entité mère intermédiaire, la RIR devrait être appliquée par l’entité mère intermédiaire mentionnée en premier lieu.

Deuxièmement, que l’entité mère ultime soit située ou non dans une juridiction dotée d’une RIR qualifiée, les entités mères situées dans l’Union qui sont partiellement détenues, à plus de 20 %, par des détenteurs de titres n’appartenant pas au groupe devraient être tenues, en vertu de la directive, d’appliquer la RIR jusqu’à concurrence de leur part attribuable de l’impôt complémentaire.

Ces entités mères partiellement détenues ne devraient toutefois pas appliquer la RIR lorsqu’elles sont entièrement détenues par une autre entité mère partiellement détenue qui est tenue d’appliquer la RIR.

Troisièmement, lorsque l’entité mère ultime est une entité exclue ou lorsqu’elle est située dans une juridiction qui ne dispose pas d’une RIR qualifiée, les entités constitutives du groupe devraient appliquer la RBII7 à tout montant résiduel d’impôt complémentaire qui n’a pas été soumis à la RIR, au prorata d’une formule de répartition fondée sur le nombre de leurs employés et leurs actifs corporels.

Quatrièmement, lorsque l’entité mère ultime est située dans une juridiction de pays tiers disposant d’une RIR qualifiée, les entités constitutives du groupe d’EMN devraient, selon la directive, appliquer la RBII aux entités constitutives situées dans cette juridiction de pays tiers, dans les cas où cette juridiction de pays tiers applique une faible imposition, sur la base du taux effectif d’imposition de toutes les entités constitutives situées dans cette juridiction, y compris de l’entité mère ultime.

À noter. Conformément aux objectifs politiques de la réforme de l’impôt minimum mondial en ce qui concerne la concurrence fiscale loyale entre les juridictions, le taux effectif d’imposition devrait être calculé au niveau des juridictions.

Par ailleurs, pour conclure, il faut préciser que les entreprises situées dans un État membre devront déposer une déclaration d’information pour l’impôt complémentaire auprès de leur administration fiscale.

La déclaration devra être présentée selon un modèle standard et comprendre les informations suivantes en ce qui concerne le groupe d’EMN ou le groupe national de grande envergure :

• l’identification des entités constitutives, et notamment leur numéro d’identification fiscale s’il existe, la juridiction dans laquelle elles sont situées et leur statut au regard des règles de la présente directive ;

• des informations sur la structure sociale d’ensemble du groupe d’EMN ou du groupe national de grande envergure, et notamment sur les titres conférant le contrôle dans les entités constitutives détenues par d’autres entités constitutives ;

• les renseignements nécessaires pour calculer le taux effectif d’imposition pour chaque juridiction et l’impôt complémentaire applicable à chaque entité constitutive, l’impôt complémentaire applicable à tout membre du groupe d’une coentreprise, la fraction de l’impôt complémentaire au titre de la RIR et le montant de l’impôt complémentaire pour la RBII affectés à chaque juridiction et un historique des options choisies conformément à la présente directive.

Enfin, la directive ne prévoit pas de sanctions pour le non-respect de l’obligation de déclaration et de paiement de l’impôt complémentaire. En effet, c’est aux États membres de déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la directive, y compris en ce qui concerne le non-respect de l’obligation qui incombe à une entité constitutive de déclarer et de payer sa part de l’impôt complémentaire ou d’avoir une charge d’impôt supplémentaire sous la forme d’une sortie de trésorerie. Les États doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre de ces sanctions qui doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

Notes de bas de pages

  • 1.
    https://lext.so/rjNx3w.
  • 2.
    « Qu’est-ce que l’impôt mondial sur les multinationales ? », Toute l’Europe.eu, https://lext.so/CWFsjI.
  • 3.
    A. Guillemoles, « Taxation des multinationales : l’Europe adopte l’impôt minimal de 15 % », LaCroix.fr, 14 déc. 2022, https://lext.so/yZ8BWi.
  • 4.
    Règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition.
  • 5.
    « Pilier 2 - Fin du suspense : adoption définitive par le Conseil de l’UE de la directive GloBE », PwcAvocats.com, 16 déc. 2022, https://lext.so/JudmKi.
  • 6.
    « Pilier 2 - Fin du suspense : adoption définitive par le Conseil de l’UE de la directive GloBE », PwcAvocats.com, 16 déc. 2022, https://lext.so/JudmKi.
  • 7.
    Règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés.
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