Quelle fiscalité pour le cinéma ?

Voilà quelques pistes de réforme pour le dispositif des SOFICA, qui finance la diversité et l’indépendance de la création française, et pour les crédits d’impôt pour dépenses de production cinématographique, deux instruments fiscaux stratégiques pour le secteur du cinéma mais coûteux pour les finances publiques.
Le secteur du cinéma a été durement impacté par la crise sanitaire. « À la progression du nombre de films produits en 2021, par effet de rattrapage, succède depuis la fin 2022 un retour en salles, même si l’étiage d’avant crise ne sera pas atteint avant 2025 selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) », souligne un rapport d’information récent de la commission des finances du Sénat sur le financement public du cinéma qui formule sept recommandations dont un certain nombre de pistes de réforme fiscale (Rapport de Roger Karoutchi, Sénateur des Hauts des Seine, rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, Livres et Industries culturelles », mai 2023).
Des aides publiques conséquentes
Dans ce contexte de sortie de crise, les aides publiques au secteur revêtent un enjeu particulier. En agrégeant les soutiens automatiques et sélectifs versés par le CNC, les subventions attribuées par les collectivités territoriales, les investissements de France Télévisions, la dépense fiscale liée au crédit d’impôt cinéma ou à la réduction d’impôt afférente aux investissements dans les SOFICA, « la production cinématographique d’initiative française a été financée à hauteur de 31 % par des fonds publics en 2021 », calcule le rapporteur spécial. « Cette estimation ne reflète par ailleurs qu’imparfaitement la réalité du financement public du cinéma français en général puisqu’elle n’intègre pas les soutiens dédiés aux distributeurs et aux exploitants par le CNC, l’appui à la diffusion consenti par les collectivités territoriales, ou, sur le plan fiscal, le Crédit d’impôt international (C2I) qui permet de soutenir les productions internationales tournées en France », souligne le rapport. Ainsi en 2021, le montant de la dépense publique budgétaire et fiscale en faveur du cinéma a atteint 747 millions d’euros, hors mesures d’urgence et Plan de relance.
Deux crédits d’impôt spécifique
Le secteur bénéficie de deux crédits d’impôts spécifiques. Le crédit d’impôt pour dépenses de production cinématographique, mis en place le 1er janvier 2004, dit crédit d’impôt « cinéma » (CIC), prévoit une déduction fiscale représentant de 20 à 30 % du montant total des dépenses éligibles, dans la limite de 30 millions d’euros par film. La dépense fiscale pour ce crédit d’impôt a atteint 160 millions d’euros en 2021. Le crédit d’impôt pour dépenses de production de films et œuvres audiovisuelles étrangers, dit crédit d’impôt « international » (C2I) est, quant à lui, dédié aux œuvres étrangères tournées en France depuis 2009, qu’elles soient cinématographiques ou audiovisuelles. Il prévoit une déduction fiscale de l’ordre de 30 % des dépenses éligibles, un taux qui peut être porté à 40 % pour les œuvres dans lesquelles au moins 15 % des plans font l’objet d’un traitement numérique. La dépense fiscale a atteint 120 millions en 2021, dont 25 % fléchés vers le cinéma pour ce deuxième crédit d’impôt. Ces dispositifs, qui s’inscrivent dans un contexte de concurrence internationale, ont permis de réduire le phénomène de délocalisation des tournages et auraient permis la création, en 2021 de 50 000 emplois, souligne le rapporteur. Une quarantaine de pays ont mis en place des dispositifs dédiés à l’accueil de tournages étrangers bénéficiant d’un taux au moins équivalent à celui mis en place en France. « La dynamique des crédits d’impôt tend néanmoins à interroger, dès lors qu’ils financent des grosses productions qui ne semblent pas, de prime abord, peiner à réunir des financements (Les Trois Mousquetaires – d’Artagnan, Astérix et Obélix et l’Empire du milieu…) », souligne le rapporteur. Dans ce contexte, le rapporteur spécial s’interroge sur les risques d’effets d’aubaine qu’induisent nécessairement « des mécanismes de plus en plus avantageux ces dernières années, qui bénéficient de surcroît à un nombre croissant d’acteurs depuis leur lancement ». Il pourrait apparaître opportun de réviser ces dispositifs, afin d’atténuer leur coût pour les finances publiques. C’est pourquoi, le rapport préconise de réviser ces deux crédits d’impôt, en introduisant une modulation des taux en fonction des budgets de production et en réévaluant les plafonds de dépenses éligibles, afin d’éviter le risque d’effet d’aubaine pour des productions disposant par ailleurs d’importants soutiens budgétaires et de conditions de tournage appelées à s’améliorer dans le cadre du plan France 2030 tout en réduisant l’impact de ces dispositifs sur les finances publiques.
Un dispositif original : les SOFICA
Autre dispositif stratégique pour le secteur celui des sociétés de financement du cinéma et de l’audiovisuel (SOFICA) qui offre à leurs souscripteurs une réduction d’impôt en contrepartie de leur effort pour financer la diversité et l’indépendance de la création française. Depuis leur création, en 1985, les SOFICA ont cofinancé plus de 2 000 films. À titre d’exemples, les SOFICA ont récemment investi dans de nombreux longs métrages sélectionnés dans les festivals internationaux et qui ont marqué 2022 comme L’innocent de Louis Garrel, Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski, ou encore Saint Omer d’Alice Diop (Lion d’Argent et le Lion du Futur pour le meilleur premier film).
Les SOFICA sont des sociétés d’investissement destinées à la collecte de fonds privés consacrés exclusivement au financement de la production cinématographique et audiovisuelle. Elles sont créées à l’initiative de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, ou à celle d’opérateurs du secteur bancaire et financier. Les SOFICA sont signataires d’une charte élaborée par le CNC, qui définit un certain nombre de bonnes pratiques et de modalités d’investissement. Les SOFICA sont agréées par la Direction générale des finances publiques. Elles sont autorisées à faire appel public à l’épargne auprès des particuliers. Le montant maximal de la collecte annuelle est fixé chaque année par le ministère des Finances lors de l’octroi de l’agrément. En 2021, l’enveloppe globale des SOFICA a été augmentée de 10 M€ afin de leur permettre de participer au financement de la distribution indépendante dans la limite de 15 % des investissements, sans diminution de ceux destinés à la production indépendante. Les SOFICA ont investi 32,5 millions d’euros dans la production de 140 films ou séries en 2021, 71 % des films d’initiative française au devis compris entre 2 et 10 millions d’euros ont été financés par ce biais. Ces chiffres sont à un niveau légèrement inférieur à ceux d’avant crise.
Le mécanisme des SOFICA
Ni coproducteurs, ni distributeurs, ni diffuseurs, les SOFICA constituent des instruments de financement du cinéma et de l’audiovisuel. Elles se distinguent d’autres dispositifs fiscaux par leur fort pilotage par les autorités publiques. La charte des investissements définie par le CNC oriente les SOFICA vers les œuvres que la politique publique souhaite soutenir, en particulier le financement de la production cinématographique indépendante. Cette charte a été mise en place en 2005 par le CNC, en concertation avec l’association de représentation des SOFICA (ARS) et les syndicats de producteurs. Chaque année, la charte est actualisée. En pratique, plus une société de capital investissement candidate s’engage en faveur des objectifs établis par le CNC, jugés risqués et donc moins rentables, plus son enveloppe de collecte est importante. L’intervention des SOFICA est stratégique pour le secteur. Les SOFICA versent leur apport au moment du tournage permettant de boucler le plan de financement de l’œuvre en amont, sans qu’il soit besoin de solliciter des avances auprès des banques. En contrepartie de leurs interventions, les SOFICA bénéficient de droits à recettes sur les différents supports d’exploitation des œuvres dans lesquelles elles investissent. Leurs souscripteurs bénéficient d’un régime fiscal de faveur. Conformément à l’article 238 bis HE du Code général des impôts, les souscriptions en numéraire au capital de ces sociétés sont en effet admises en déduction du revenu imposable des souscripteurs ou de leurs bénéfices imposable, dans la mesure où ils sont assujettis à l’impôt sur le revenu. La réduction correspond à 30 % du montant souscrit mais peut être portée à 36 % si les SOFICA s’engagent à consacrer 10 % de leurs investissements à la souscription au capital de sociétés de réalisation, voire atteindre 48 % dès lors que 10 % de leurs investissements sont dédiés à la souscription au capital de sociétés de réalisation afin de participer au développement d’œuvres audiovisuelles de fiction, de documentaire ou d’animation sous forme de séries. Elle atteint également ce niveau, si 10 % des investissements sont fléchés vers l’acquisition de droits portant exclusivement sur les recettes d’exploitation d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles à l’étranger.
Et demain ?
Les douze SOFICA agréées en 2022 ont toutes pris ce double engagement, permettant donc à leurs souscripteurs de bénéficier de ce taux majoré de 48 %. Elles ont levé une enveloppe globale de 72,80 M€ qui sera investie dans le cinéma et l’audiovisuel en 2023. Un montant de collecte encore jamais atteint, en augmentation de 2 M€ par rapport à 2021, au service de la production et de la distribution. C’est la plus importante enveloppe collectée depuis la création des SOFICA. Les SOFICA agréées en 2022 consacreront en moyenne 91 % de leurs investissements non adossés vers la production ou distribution indépendante, 72 % de leurs investissements sous forme de contrats d’association vers des films au devis inférieur à 8 M€ et 33 % de leurs investissements sous forme de contrats d’association vers des premiers et deuxièmes films.
Le projet de loi de finances pour 2024 devrait, en principe, intégrer une nouvelle prorogation du dispositif pour trois ans. Si le rapporteur spécial estime que cette prolongation ne pose pas de difficulté en soi, il s’interroge « sur le caractère exorbitant que peut revêtir le taux de réduction d’impôt de 48 % voire le montant du plafond de la réduction, 18 000 euros. Le débat sur le projet de loi de finances pour 2024 devrait être l’occasion de remettre en perspective ce qui peut être qualifié de niche fiscale, et dont le coût pour les finances publiques est estimé à 35 millions d’euros en 2023 (en agrégeant investissements dans le cinéma et l’audiovisuel) ». Le rapport propose de proroger de trois ans le régime fiscal applicable aux sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel, en ramenant le taux majoré à 36 % et en révisant à la baisse le plafond de l’avantage fiscal, afin de réduire le coût du dispositif pour les finances publiques tout en maintenant son caractère attractif en faveur de l’investissement privé dans le cinéma français.
Référence : AJU009f2
