Quelle place pour la TVA dans notre système fiscal ?

Publié le 04/05/2023
TVA, taxes
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La TVA doit rester un impôt de rendement ayant pour objectif prioritaire le financement des services publics, préconise le Conseil des prélèvements obligatoires. La mise en place de baisses de TVA, générales ou ciblées, pour répondre aux conséquences des crises actuelles et aux enjeux économiques et sociaux de long terme s’avère déconseillée.

Premier impôt en France, avec un rendement dynamique de 186 Md€, la TVA a représenté 17 % des prélèvements obligatoires en 2021. « Cette part est toutefois relativement faible par rapport à d’autres pays européens, en raison d’un taux normal parmi les plus bas et de l’importance des taux réduits en France », constate le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) (Conseil des prélèvements obligatoires, La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques – février 2023 ; https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-02/20230209-TVA_0.pdf?v=1677145837).

L’enjeu de la lutte contre la fraude fiscale

Alors même que la TVA constitue la principale ressource fiscale de l’État elle concentre les risques les plus importants, en matière de fraude. Le rendement de la TVA est menacé par le développement de la petite et de la grande fraude. À cet égard, les récentes estimations de la fraude à la TVA sont plus importantes que ce qui avait été suggéré antérieurement, l’INSEE estimant les irrégularités, intentionnelles ou non, entre 20 et 26Md€ sur la base de données de 2012. Certains schémas de fraude à la TVA sont désormais bien identifiés par les pouvoirs publics. C’est le cas de l’économie souterraine ou encore de la fraude « carrousel », l’un des schémas les plus utilisés par les fraudeurs. Le circuit caractérisant la fraude au carrousel repose sur la mise en place d’une chaîne de sociétés dans plusieurs États de l’Union européenne, réalisant entre elles des acquisitions et livraisons intra communautaires ou des importations et exportations. Ces sociétés génèrent artificiellement des droits à déduction de la TVA par l’intermédiaire de sociétés éphémères, des sociétés taxi, dont le rôle consiste à créer artificiellement de la TVA grâce à un circuit de fausse facturation. Les montages auxquels ont recours les fraudeurs se sont peu à peu complexifiés et font intervenir une multiplicité de sociétés écrans dont la durée de vie est de plus en plus courte. Cependant, la numérisation de l’économie fait naître de nouveaux mécanismes frauduleux, contre lesquels les pouvoirs publics se mobilisent. À ce titre, le paquet TVA « e-commerce », entré en vigueur en 2021, a profondément révisé le cadre juridique des importations dans l’Union européenne en provenance d’États tiers, en instituant notamment un mécanisme de redevabilité pour les plateformes de vente de biens en ligne aux particuliers. De même, afin de lutter contre les activités économiques occultes et les distorsions économiques et fiscales qu’elles génèrent, un mécanisme de reporting a été imposé aux plateformes de mise en relation par voie électronique de l’« économie du partage » ainsi qu’aux prestataires de services de paiement. Enfin, la facturation électronique entre entreprises et la transmission des données de transactions seront déployées en France à l’horizon 2024 à 2026.

Des axes de progression

Dans ce contexte, le CPO suggère « d’approfondir ces dispositifs dans le sens d’un contrôle plus étroit des plateformes de ventes de biens d’États tiers à l’Union européenne, de la redevabilité des plateformes de mise en relation par voie électronique, et de l’harmonisation de la facturation électronique au sein de l’Union européenne ». Le paquet « TVA à l’ère numérique », présenté par la Commission européenne le 8 décembre 2022 va dans ce sens.  « Ces orientations, de même que la réorganisation des services d’enquêtes fiscales et des autorités judiciaires, et le recours en matière fiscale à de nouveaux instruments juridiques, tels que la reconnaissance préalable de culpabilité et la convention judiciaire d’intérêt public, devraient permettre, à court terme, d’inverser la tendance à la baisse constatée ces dernières années en matière de droits de TVA rappelés », conclut le CPO pour qui, ces orientations pourront utilement alimenter les réflexions en cours sur le plan de lutte contre les fraudes, fiscale,  sociale et douanière, annoncé par le gouvernement pour la fin du premier semestre 2023. Le rapport recommande de définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de la fraude à la TVA et communiquer annuellement les résultats au Parlement. Il préconise également de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le contexte de l’économie des plateformes. Cela pourrait se traduire par l’évaluation de l’efficacité des obligations de reporting des plateformes de mise en relation par voie électronique ainsi que par l’adaptation de la programmation du contrôle fiscal pour tenir compte des obligations de reporting des prestataires de services de paiement et le soutien, sous réserve des arbitrages sur divers points de difficultés, à une réforme au niveau européen du régime de redevabilité  des  plateformes  de  services  de transport et d’hébergement.

Quelle place pour les taux réduits ?

« Les  taux  réduits  de  TVA, plus  largement utilisés  en  France  que  dans  le reste de l’Europe, réduisent les recettes de TVA. Bien que leurs effets économiques sur les prix, l’emploi ou l’activité ne soient pas démontrés, ils sont très rarement supprimés », souligne le CPO. Les  taux  réduits  de TVA   correspondent actuellement à une dépense fiscale de  l’ordre  de  47 Md€,  soit l’équivalent de 24 % de son rendement. La directive du 5 avril 2022 a ouvert de nouvelles possibilités d’adoption de taux réduits de TVA. Celles-ci  sont pour l’instant peu exploitées en Europe et en France.  Cet assouplissement s’explique par l’adoption d’un régime de territorialité fondé sur le pays de destination, générant des risques plus limités de concurrence fiscale entre États membres qu’une taxation au pays d’origine. Cependant, souligne le CPO « les taux réduits de TVA ont une efficacité qui apparaît limitée pour atteindre des objectifs économiques et constituent une source de complexité pour les entreprises ». Pour le CPO, il est préférable d’éviter l’adoption de nouveaux taux réduits de TVA et de privilégier d’autres outils pour poursuivre des objectifs économiques et de politique publique. Les  études  empiriques  sur  ces expériences démontrent  des  effets  limités  pour  un  coût  élevé. La  TVA  apparaît  donc comme un instrument de politique conjoncturelle moins efficace que d’autres outils pour agir sur la croissance économique. Le rapport suggère en outre de renforcer le suivi et l’évaluation des taux réduits de TVA existants et,  sur  la  base  de  ces  évaluations,  de supprimer les taux réduits inefficaces ou, à défaut, de les relever à un taux supérieur dans le barème.

D’autres solutions aussi efficaces

« Face au choc énergétique et à l’inflation qui en découle, une baisse  de TVA  sur  les  énergies  apparaît  moins  efficace  que  d’autres  instruments budgétaires ou fiscaux », souligne le CPO. C’est un choix d’autant plus crucial que,  dans  le  contexte  actuel  post-Brexit, la TVA  doit intégrer  des enjeux de compétitivité du secteur financier. « En effet, si l’exonération des activités financières  constitue  une  spécificité  forte  du  régime  de TVA  européen,  les  règles  de territorialité applicables n’excluent pas toute concurrence fiscale entre pays européens ou avec des États tiers », précise le rapport. Ainsi, une baisse de la TVA, notamment sur les produits alimentaires, constitue une mesure moins efficace pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes que des transferts monétaires, en raison de l’incertitude sur le taux de répercussion sur les prix et de l’impossibilité de cibler certaines catégories de ménages à travers une baisse de TVA. De même, souligne le rapport, à court terme, « le chèque énergie est plus efficace et plus efficient qu’une baisse de TVA pour protéger temporairement les ménages modestes face à la hausse des prix de l’énergie ». Les simulations réalisées pour le CPO confirment en effet que le bouclier tarifaire apparaît  plus  efficace qu’une baisse de la TVA  à 10 % sur le gaz et l’électricité pour limiter  la  hausse  des  prix,  tout  en  étant  trois  fois  plus  coûteux.  De  même,  le  chèque énergie  protège  davantage les ménages vulnérables qu’une mesure de baisse  de TVA non ciblée, tout en engendrant un coût moindre pour les finances publiques. Si la TVA est un impôt régressif, au sens où sa part dans le revenu des ménages est plus élevée pour  les  ménages  modestes,  qui  consomment  une  part  plus  grande  de  leur  revenu, ce constat doit être nuancé. En effet, souligne le rapport,  « une analyse sur l’ensemble du cycle de vie, qui tient compte de la consommation ultérieure d’une partie de l’épargne, confirme  le  caractère  régressif  de  la TVA, mais celui-ci se  trouve  réduit  de  près  de moitié. Ensuite, ce constat peut être relativisé en considérant le système socio-fiscal dans son ensemble, c’est-à-dire en prenant en compte le fait que la TVA finance des dépenses qui,  pour  certaines,  bénéficient  davantage  aux  ménages  modestes ».  Le CPO l’a montré  dans  son  rapport  de  février 2021.  Dans  ce  contexte,  une  baisse  de  la TVA, notamment  sur  les  produits  alimentaires,  constitue  une  mesure  moins  efficace  pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes que des transferts monétaires, en raison de l’incertitude sur le taux de répercussion sur les prix et de l’impossibilité  de cibler certaines catégories de ménages à travers une baisse de TVA.

TVE et objectifs environnementaux

Les mesures  de  soutien  non  ciblées  aux  dépenses  énergétiques  ne  doivent en outre pas remettre en cause l’atteinte des objectifs environnementaux nationaux, et ne peuvent être ainsi que temporaires. Une réflexion générale sur la fiscalité des énergies doit viser une mise en cohérence des accises et de la TVA avec les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de protection de la biodiversité. En effet, souligne le rapport, « à long terme la priorité doit être de modifier les comportements par des incitations structurelles à la décarbonation. Dans ce contexte, une réflexion générale sur la fiscalité des énergies apparaît nécessaire. Elle doit viser une  mise  en  cohérence  des  accises  et  de  la TVA  avec les  objectifs  nationaux  de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces évolutions du cadre fiscal pourront s’accompagner, en parallèle, d’un soutien temporaire aux entreprises et au  pouvoir d’achat des ménages modestes ». Enfin, d’autres instruments apparaissent plus efficaces que la TVA pour réduire les inégalités et relever les défis environnementaux et de santé publique. Pour le CPO, la  proposition  d’une TVA environnementale ou modulée selon un étiquetage alimentaire de type « Nutri-score », en particulier, « se heurte à d’importants obstacles juridiques, économiques et financiers qui limitent les possibilités de ciblage ainsi que son impact sur les différentes étapes de la chaîne de valeur ». C’est pourquoi, le rapport suggère « de privilégier d’autres instruments, tels que les transferts ciblés, les accises, le système européen d’échange de quotas d’émission, les investissements ou la réglementation d’une part, et la fiscalité nutritionnelle existante d’autre part, pour poursuivre ces objectifs économiques de long terme ». Le rapport aboutit à une conclusion similaire « pour le soutien aux secteurs économiques « sobres  » que sont le transport ferroviaire et l’économie circulaire ».

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