Réforme de l’IFI et philanthropie

Publié le 12/05/2023

La réforme de l’ISF a modifié le comportement des riches donateurs et a réorienté leur générosité vers des dons aux partis politiques.

Les dons caritatifs des ménages soumis à l’impôt sur la fortune ont diminué avec le passage, lors de la réforme de 2017, de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). L’Institut des politiques publiques (IPP) dresse un bilan des effets de la suppression de l’impôt sur la fortune en 2017 sur le comportement des donateurs (Institut des politiques publiques, Malka Guillot, Julia Cagé, Comportement des donateurs fortunés : le poids des motivations politiques, Note IPP n° 90: https://www.ipp.eu/publication/comportement-des-donateurs-fortunes-le-poids-des-motivations-politiques/). En France, si les dons de natures caritative et politique ouvrent droit à une réduction de l’impôt sur le revenu à hauteur de 66 %, seuls les dons à vocation caritative sont éligibles à une réduction de l’impôt sur la fortune de 75 %. La réforme de 2017, qui a modifié l’assiette imposable, a réduit de deux tiers le nombre de foyers concernés et a donc augmenté le coût des dons caritatifs. La typologie des dons a été modifiée en faveur des contributions politiques, conclut cette étude. Celle-ci s’appuie sur l’analyse détaillée des données des impôts sur le revenu et sur la fortune avec des informations exhaustives sur le revenu, le patrimoine et les dons de tous les ménages français depuis 2006.

Avant la réforme, un dispositif ISF-Don très utilisé

Le dispositif ISF-Don qui consistait en une réduction d’ISF instaurée par la loi Tepa (L. n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat) et figurant à l’article 885-0- V bis du CGI était très utilisé. La proportion de donateurs parmi les assujettis à l’ISF était très importante, à la veille de la réforme, en 2016, souligne la 4e édition du Baromètre Don ISF publiée en 2017, qui a dressé le bilan du rapport au don des foyers assujettis à l’ISF (Baromètre Don ISF 2017 Ipsos pour Apprentis d’Auteuil). En effet, 82 % des personnes interrogées déclaraient avoir fait un don d’argent à une fondation ou un organisme caritatif au cours de l’année. 2 180 euros de don moyen en 2016 contre 2 297 euros en 2015 (-5 %) et 2 519 euros en 2014 (-14 %).

La réduction d’impôt s’élevait à 75 % des sommes données, dans la limite de 50 000 euros par an. La limite était donc atteinte par un don de 67 000 euros. Les bénéficiaires de ces dons étaient les établissements de recherche ou d’enseignement supérieur ou artistique, fondations reconnues d’utilité publique, entreprises d’insertion et entreprises de travail temporaire d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion… Cette réduction d’impôt pouvait être utilisée conjointement à la réduction IR-Don qui consiste en une réduction d’impôt sur le revenu, codifiée à l’article 200 du Code général des impôts (CGI). Elle est égale à 66 % du montant des sommes versées, lesquelles sont retenues dans la limite d’un plafond égal à 20 % du revenu imposable. Cette réduction est réservée aux dons effectués au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère notamment philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. Les contribuables pouvaient bénéficier des deux dispositifs au titre d’une même année, mais pour des dons différents, le montant du don qui ouvre droit à la réduction d’ISF ne pouvant ouvrir droit à la réduction d’IR.

L’impact du dispositif ISF-Don

À la veille de la réforme, l’utilisation des dispositifs de réduction fiscale a atteint des records. 88 % des assujettis à l’ISF connaissent le dispositif ISF-Don. Une très large majorité d’entre eux (82 %) a déjà recherché des informations sur ce sujet. Deux vecteurs d’informations principaux sont principalement utilisés à cet effet, la presse spécialisée et la documentation fournie par les organismes caritatifs et associations auxquels les dons sont adressés. En 2016, 91 % des donateurs ont déduit une partie du montant de leurs dons de leur impôt sur le revenu et 50 % de leur ISF. Parmi les redevables de l’ISF, ils sont nombreux à considérer ce dispositif utile (87 %), facile à mettre en œuvre (83 %) et financièrement intéressant (74 %). Pour une écrasante majorité d’entre eux  (93%), ce dispositif constitue une opportunité de reprendre la main sur son impôt et de décider de son affectation. Le dispositif Don ISF a une incidence directe sur les dons, souligne la 4e édition du Baromètre Don ISF publiée en 2017. Pour plus d’un donateur sur deux (55 %), la possibilité de déduire de son ISF 75 % du montant des dons est en effet déterminante dans sa décision de donner. Ce chiffre monte à 68 % chez les donateurs les plus généreux, ceux qui donnent plus de 1 000 euros par an.

Une diminution du nombre de redevables

Si avec la création de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) le seuil d’entrée a été maintenu à l’identique à 1, 3 millions d’euros de patrimoine net taxable, l’impôt a été recentré sur les seuls biens immobiliers (terrains, appartements, maisons, droits réels immobiliers, parts de sociétés immobilières, Le législateur en instaurant l’IFI a préservé le dispositif de réduction d’impôt pour don. Comme par le passé, grâce aux dons versés à un certain nombre d’organismes d’intérêt général, les contribuables assujettis à l’IFI peuvent réduire leur impôt à hauteur de 75 % du montant de l’ensemble des dons, dans la limite de 50 000 euros par an. Les contribuables qui ne peuvent pas utiliser l’intégralité de leurs dons à la réduction IFI, peuvent affecter la fraction non utilisée pour réduire leur impôt sur le revenu. Si les deux réductions d’impôt ne sont pas pleinement cumulables, ils peuvent décider de la part de vos dons qui sera affectée à l’IFI ou à l’IR. Cette réduction au titre des dons constitue désormais la seule possibilité d’abaisser leur facture fiscale puisque la réduction d’impôt au titre de l’investissement dans les PME a été supprimée. Ce dispositif était très usité. En 2017, le recours au dispositif ISF-PME a augmenté de +7 % pour atteindre 59 %. Les investissements au capital d’une PME bénéficiaient d’une déduction fiscale de 50 % plafonnée à 45 000 euros ou 18 000 euros pour les FIP (fonds d’investissement de proximité) et les FCPI (fonds communs de placement dans l’innovation). Loin d’être concurrents, les dispositifs ISF-PME et ISF-Don apparaissaient complémentaires et il était tout à fait possible de verser un don à une fondation tout en souscrivant au capital d’une PME. Toutefois, la réduction maximale totale d’ISF ne pouvait alors excéder 45 000 euros.

Un choc exogène

Les dons caritatifs des ménages soumis à l’impôt sur la fortune ont diminué avec le passage, lors de la réforme de 2017, de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Pour Malka Guillot et Julia Cagé la réforme de l’ISF a consisté « en un choc exogène sur le coût des dons caritatifs pour ces donateurs, qui n’a en revanche pas affecté le coût des dons de nature politique ». La réforme fiscale a pesé sur la collecte. Entre 2017 et 2018, le montant des dons reçus par les associations et les fondations a baissé en moyenne de -4,2 % (Baromètre de la générosité 2018 de France Générosités, avril 2019). Le recentrage du dispositif IFI-DON sur les seuls actifs immobiliers, a fait mécaniquement baisser le nombre de foyers concernés par l’impôt d’environ 350 000 à 150 000, diminuant d’autant les contribuables éligibles à la réduction d’impôt pour dons. Le montant des dons perçu dans ce cadre a baissé de 54 % par rapport aux dons ISF de 2017. D’après l’édition 2018 du Baromètre de la générosité, cette perte peut être estimée entre 130 et 150 millions d’euros. Alors même que les mécanismes de la déduction d’impôts pour don ont été préservés dans le cadre de la réforme de la retenue à la source, 27 % des sondés attribuent la baisse de la collecte observée cette année à cette réforme, d’après la 6e édition du baromètre du don ISF-IFI, réalisé par Apprentis d’Auteuil.

Le coût d’un don caritatif a augmenté pour les contribuables non assujettis à l’IFI

En 2016, les 1 % des ménages les plus fortunés représentaient 14,2 % des dons à des organismes caritatifs et 15,5 % à des entités politiques. Ce groupe possédait alors 8,6 % du total des revenus déclarés dans le cadre de l’impôt sur le revenu. Les dons caritatifs des ménages soumis à l’impôt sur la fortune ont diminué avec le passage, lors de la réforme de 2017, de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). « De 2016 à 2017, les dons caritatifs déclarés au titre de l’impôt sur la fortune ont été réduits de 267 millions d’euros », commentent Malka Guillot et Julia Cagé. Pour les ménages qui sont sortis du champ d’application de l’impôt sur la fortune, le coût d’un don philanthropique a augmenté, soulignent Malka Guillot et Julia Cagé. Alors que ce coût était limité à 25 % dans le cadre du dispositif ISF-DON, il est de 34 % dans le cadre du dispositif IR-DON. « Une hausse de 1 % du coût des dons caritatifs augmente les dons politiques de 0,12 %. Autrement dit, les contributions caritatives et politiques semblent être substituables », analysent ces auteurs, pour qui « l’augmentation de 36 % du coût net des dons caritatifs (de 25 % à 34 % du montant versé) est associée à une hausse de 4,32 % des donations politiques ». Ainsi, en considérant les donations caritatives et politiques moyennes, soit respectivement 1 087,1 euros et 22 euros moyennes, une baisse de 352,20 euros des dons caritatifs est associée à une hausse de 1 euro des dons politiques. Selon les estimations des auteurs, cette diminution correspondrait à une hausse de 758 117 euros pour les contributions à caractère politique, soit 11,6 % du total des contributions provenant des redevables de l’ISF en 2017 ». « Cet effet paraît économiquement substantiel une fois mis en relation avec les donations totales, par exemple au Parti Socialiste cette année-là, de 593 396 euros », concluent les deux auteurs qui ajoutent que « la substitution des dons politiques aux dons caritatifs s’est faite principalement au bénéfice de partis politiques de droite ». La réforme a donc eu pour effet de flécher la générosité des ménages les plus riches vers des dons en direction des partis politiques.

Quel encadrement pour la philanthropie ?

De quoi interroger la pertinence des dispositifs IFI-DON et IR-DON sous leur forme actuelle, notamment le traitement fiscal des dons caritatifs par rapport au traitement fiscal des dons politiques. Cela pose la question de l’encadrement par les États de l’activité des philanthropes et des entités à travers lesquelles ils agissent : associations, fondations… « Le niveau de connaissance du monde philanthropique est faible », pointait déjà un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en collaboration avec le Centre en philanthropie de l’Université de Genève sur les régimes fiscaux applicables en matière de philanthropie, en décembre 2020. Le rapport se penche sur le traitement fiscal appliqué aux organismes et aux dons philanthropiques dans 40 pays membres et partenaires de l’OCDE. Le secteur pèse environ 4, 5 à 5 % du PIB mondial et emploie 40 millions de personnes. Aux États-Unis, le secteur pèse environ 5 % du PIB, soit 1 185 milliards USD. Eu égard au rôle important que joue le secteur philanthropique, de nombreux pays accordent, sous une forme ou une autre, un traitement fiscal préférentiel à la philanthropie. Les organismes à vocation philanthropique se voient accorder directement des allégements fiscaux au titre de leurs activités tandis que leurs bienfaiteurs, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers, bénéficient généralement de mesures d’incitation fiscale au titre des dons philanthropiques.  « L’une des questions centrales pour les décideurs publics est de savoir comment concevoir des règles fiscales qui favorisent les activités importantes du secteur philanthropique, tout en veillant à ce que celles-ci permettent de prévenir les abus, qu’elles ne soient pas préjudiciables aux entreprises à but lucratif et qu’elles servent l’intérêt général », pointe ce rapport. Or alors même que la taille du secteur philanthropique et le montant élevé des aides publiques dont il bénéficie font de la fiscalité de la philanthropie un enjeu important au regard de son poids économique, il ne fait l’objet que de peu d’études. Les allègements fiscaux en faveur du secteur philanthropique peuvent efficacement accroître l’activité philanthropique dans des secteurs jugés prioritaires par les pouvoirs publics et améliorer le bien-être social global. « Néanmoins, s’ils sont mal conçus, les systèmes d’allègement fiscaux peuvent avoir des effets moins désirables, notamment en induisant une concurrence déloyale entre les organismes philanthropiques exerçant des activités commerciales et les entreprises à but lucratif, ou en autorisant un petit nombre de bienfaiteurs fortunés à exercer une influence disproportionnée sur l’affectation des ressources publiques », pointe le rapport. « Ce dernier risque en particulier a été mis en évidence par l’augmentation du nombre de très grandes fondations philanthropiques privées créées par des individus à la richesse extrêmement élevée, qui sont en mesure d’affecter des sommes substantielles aux priorités de leur choix, tout en réduisant sensiblement l’impôt dont ils sont redevables », conclut-il.

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