Renforcer la fiabilité et l’encadrement du DPE

Publié le 30/06/2025
Renforcer la fiabilité et l'encadrement du DPE
mattiagenini/AdobeStock

La Cour des comptes confirme que le diagnostic de performance énergétique (DPE) est devenu un outil central pour orienter les décisions en matière d’immobilier et met en lumière les lacunes qui demeurent en matière de fiabilité du DPE.

Le secteur résidentiel représente actuellement 30 % de la consommation finale d’énergie de la France. On y dénombre 5,2 millions de passoires énergétiques, c’est-à-dire des logements qui ont reçu les étiquettes les plus basses lors du diagnostic de performance énergétiques (DPE), les étiquettes classées F ou G, pour les seules résidences principales, soit plus de 17 % du parc immobilier. Ce chiffre passe à 7,2 millions si l’on y inclut les résidences secondaires et les logements vacants, d’après les chiffres du Congrès des notaires 2023.

Le rôle stratégique du diagnostic de performance énergétique (DPE)

Rendu obligatoire pour les ventes depuis novembre 2006 et les locations de logements depuis juillet 2007, le DPE permet d’obtenir une information sur la consommation d’énergie d’un bien immobilier et sur les émissions de gaz à effet de serre qui y sont liées grâce à un classement énergétique allant de A (meilleure performance énergétique) à G (plus mauvaise performance énergétique). Le DPE constitue un maillon central de la politique de rénovation énergétique des logements impulsée par l’Union européenne pour atteindre la neutralité carbone dans le secteur des bâtiments d’ici 2050. Cet objectif est soutenu par plusieurs dispositifs d’aides publics, tels que MaPrimeRénov, et d’accompagnement, pour lesquels le DPE joue le rôle de document de référence dans l’évaluation de la performance énergétique d’un logement. « Dans ce contexte, on compte aujourd’hui plus de 350 000 diagnostics réalisés par mois contre 120 000 en 2018 », souligne la Cour des comptes (Cour des comptes, La mise en œuvre du diagnostic de performance énergétique, 3 juin 2025). En réponse à cette hausse des demandes, le nombre de diagnostiqueurs immobiliers certifiés pour réaliser des DPE a lui-même augmenté de 46 % entre 2019 et 2023.

Une réforme récente du DPE

La récente réforme du DPE, dans le cadre de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite Elan, qui est entrée en vigueur au 1er juillet 2021, a eu pour objectif de permettre une évaluation plus lisible et représentative de la performance d’un bâtiment. La méthode dite des « consommations réelles », basée sur l’examen des factures a été supprimée au profit de la méthode qui consiste à apprécier les caractéristiques du bien : type de logement, d’isolation, de chauffage, etc. La réforme de 2021 a permis d’unifier et de consolider les modalités de calcul des DPE, pour en faire un indicateur des qualités thermiques intrinsèques des logements, indépendamment du comportement de leurs occupants. Cette objectivation de la performance énergétique rend désormais possible la comparaison des logements entre eux. L’étiquette du DPE est calculée automatiquement à partir d’une consommation théorique d’énergie d’un logement, déduite de la description des caractéristiques physiques du bâtiment réalisée par les diagnostiqueurs. En outre, l’étiquette finale attribuée est une synthèse de deux informations : la consommation énergétique et la quantité d’émission de gaz à effet de serre émise par le logement. Elle est fonction de la plus mauvaise performance, en énergie primaire ou en gaz à effet de serre (système des doubles seuils). Cette réforme est susceptible de provoquer des changements de classes énergétiques pour de nombreux biens.

Un calendrier progressif d’interdiction à la location

« Réformé en 2021, le DPE constitue un outil central de la politique de rénovation énergétique, avec une portée juridique renforcée : il est désormais obligatoire, opposable et conditionne les transactions immobilières et les locations », souligne la Cour des comptes. À la suite de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 dite Énergie et climat, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite Climat et Résilience, impose de nouvelles obligations aux propriétaires immobiliers. Ses dispositions sont destinées à inciter les propriétaires à réhabiliter leur bien et s’appuient sur les classifications utilisées dans le cadre du DPE. Depuis le 25 août 2021, les bailleurs ne peuvent plus augmenter les loyers des logements classés F et G à la relocation, ni le réviser en cours de bail. Depuis le 1er janvier 2023, la performance énergétique est prise en compte afin d’apprécier le caractère décent du logement. Les biens dont la consommation dépasse 450 kWh/m2/ an ne peuvent plus être loués. Depuis le 1er janvier 2025, les biens classés G ne peuvent plus être mis en location. En 2028, cette interdiction s’étendra aux biens classés F et en 2034 aux bien classés E. Or les propriétaires concernés ont peu entrepris d’opérations de rénovation énergétique.

Trop peu de rénovations énergétiques

D’après un sondage effectué en septembre 2022 par la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) auprès de ses adhérents, gestionnaires locatifs et syndics, seuls 32 % des propriétaires concernés comptent entreprendre une rénovation énergétique. 31 % des bailleurs envisagent de relouer leurs biens en l’état et 6 % d’entre eux imaginent opter pour la location de courte durée. Environ 26 % des propriétaires concernés envisagent de vendre leurs biens plutôt que de mener les travaux de rénovations énergétiques nécessaires. La Fnaim y voit un risque fort de réduction du parc locatif privé, « au minimum 250 000 logements en moins à la location sur toute la France », résume Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim. Pour la Cour des comptes, « La mise en œuvre de la réforme de 2021, intervenue dans des délais contraints, n’a pas suffisamment anticipé les difficultés rencontrées par les particuliers pour s’y conformer, alors qu’elle a des conséquences majeures sur leur situation patrimoniale et le marché immobilier ».

Le marché de l’immobilier locatif se grippe progressivement

Selon plusieurs études récentes, l’étiquette énergétique peut faire varier la valeur d’un bien jusqu’à 28 %, soit plus de 1 000 €/m² dans certaines zones. Les conséquences de cette réforme au regard de l’état du parc de logements locatifs et de l’offre de logements ont sans doute été sous-estimées. L’offre de logements se raréfie dans le parc privé. Selon les chiffres de la plateforme SeLoger, au 1er janvier 2024, à Paris le stock d’annonces d’appartements à louer a été réduit de -74 % en trois ans. Entre 2023 et 2024, le phénomène est encore plus marqué : – 50 % d’offres de locations sur un an. Toujours selon les chiffres de la plateforme SeLoger, la réduction de l’offre locative observée actuellement est plus forte pour les passoires énergétiques, les biens classés F et G. Le stock de biens à louer a chuté de 22 % pour les logements classés A à D entre mi-2021 et mi-2023, et de 33 % pour les logements classés F et G. « Le lien entre les travaux de rénovation nécessaire et les effets sur l’offre de logements doit faire l’objet d’une attention renforcée », conclut la Cour des comptes. Sur les 32 millions de logements du parc privé sur lesquels a porté le contrôle de la Cour des comptes, 5,5 millions se révèlent être des passoires thermiques.

Réforme du dispositif MaPrimeRénov’

Le gouvernement a réformé depuis le 1er janvier 2024 le dispositif MaPrimeRénov’, qui permet aux propriétaires de financer les travaux d’isolation, de chauffage, de ventilation ou d’audit énergétique de leur bien. Le dispositif est recentré sur les opérations de rénovations globales. Les travaux réalisés doivent permettre de gagner au moins deux classes sur le DPE. Le taux de prise en charge des travaux peut atteindre 90 % pour les revenus les plus modestes. Le plafond de prise en charge des travaux est doublé, passant de 35 000 euros à 70 000 euros pour les rénovations les plus performantes permettant de gagner quatre classes au DPE. Le montant de l’aide à l’installation de pompes à chaleur air/eau géothermiques est multiplié par deux, passant de 1 000 à 2 000 euros pour les ménages aux revenus modestes et intermédiaires, à condition que le logement soit initialement classé entre A et E. L’accompagnement par Mon Accompagnateur Rénov’ est obligatoire dans tous les dossiers. Cette priorité donnée aux rénovations globales a fait flamber les coûts. La dynamique exceptionnelle des travaux : 38 000 rénovations d’ampleur engagées, soit trois fois plus qu’à la même période en 2024, a conduit à un engorgement des services instructeurs et une hausse des délais de traitement. En outre le gouvernement s’inquiète d’un nombre inquiétant de dossiers de faible qualité ou présentant des coûts très élevés, avec des suspicions de fraude sur plusieurs milliers de dossiers qui doivent être expertisés.

Suspension de MaPrim’Renov’

Cela a incité le gouvernement à suspendre le dispositif MaPrimeRénov’ avant le 1er juillet. Un audit va être réalisé sur l’ensemble des dossiers et sur le process d’identification des fraudeurs pour les détecter plus en amont. Cet été, et de façon temporaire, les particuliers ne pourront plus déposer de nouveaux dossiers pour la rénovation globale individuelle ou pour des travaux individuels (monogestes), par exemple pour isoler un logement ou changer de système de chauffage. Les plateformes informatiques seront fermées. Les dossiers de rénovation des copropriétés (MaPrimeRénov’ copropriétés) ne sont pas concernés par cette annonce. La période estivale est généralement plus calme avec deux fois moins de dossiers déposés, ce qui a conduit à choisir cette période pour l’audit. L’instruction des dossiers déposés avant la date de fermeture se poursuit : un particulier qui a déposé son dossier n’est pas impacté. Si son dossier a été validé, il peut commencer les travaux. Le paiement des dossiers se poursuit. Contrairement à ce qui a pu être écrit dans la presse, tous les crédits n’ont pas été consommés. Le budget 2025 de MaPrimeRénov est sécurisé : 3,6Mds€ dont 1,3Mds€ est déjà consommé. Le dispositif devrait reprendre d’ici la fin du mois de septembre mais pas nécessairement dans les mêmes conditions. Les premiers résultats de l’audit seront intégrés pour limiter les effets de surfacturation des travaux.

Quelles pistes de réforme pour le DPE ?

Pour la Cour des comptes, « le dispositif devrait être mieux articulé avec d’autres réglementations s’imposant aux particuliers, notamment dans le champ de l’urbanisme et de la copropriété. Un pilotage global du DPE apparaît par ailleurs nécessaire pour mieux mesurer son impact sur les travaux effectivement réalisés pour améliorer les étiquettes énergétiques et ainsi évaluer l’emploi des subventions publiques correspondantes ». Il apparaît également nécessaire de fiabiliser davantage le DPE. Les conditions dans lesquelles les mesures ou observations sont faites peuvent entacher le résultat d’incertitudes : temps limité, pressions éventuellement exercées par les propriétaires, défaut de documents justificatifs et formation insuffisante des diagnostiqueurs. En réponse à ces difficultés, l’État a mis en œuvre plusieurs actions de fiabilisation du DPE, dont, depuis le 1er juillet 2024, un renforcement significatif des exigences de compétences des diagnostiqueurs, passant par une augmentation du volume des formations et du niveau requis aux examens. Un travail d’harmonisation des pratiques professionnelles est également en cours et devrait aboutir en 2026. « S’il est trop tôt pour évaluer l’impact de ces mesures, elles devraient permettre de renforcer la confiance des particuliers dans le dispositif », souligne la Cour des comptes.

Des lacunes dans le contrôle de la filière

Le rapport met en lumière les lacunes qui demeurent en matière de fiabilité du DPE, quelques années après la refonte de son calcul, et l’importance d’un encadrement rigoureux des professionnels. Le plan d’action présenté par Valérie Létard, ministre chargée du Logement, lancé dès le 19 mars dernier pour restaurer la confiance dans le DPE anticipe les recommandations de la Cour des comptes en prévoyant des mesures telles que la détection automatique des DPE frauduleux, le renforcement des contrôles et des sanctions, ainsi qu’une surveillance accrue des organismes de certification. La Cour des comptes plaide également pour un meilleur encadrement de la profession, en écho aux deux missions confiées par la ministre à Henry Buzy-Cazaux sur la formation initiale des diagnostiqueurs et au député Daniel Labaronne sur la création d’un ordre des diagnostiqueurs. Les conclusions de ces missions seront remises avant l’été. « Le rapport de la Cour des comptes va dans le bon sens et confirme les orientations du plan d’action que j’ai annoncé. Les engagements que j’avais pris de mettre en œuvre les mesures qu’il contient au 1er juillet seront tenus, pour rapidement restaurer la crédibilité dans le DPE », conclut la ministre.

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