Seine-Saint-Denis (93)

Renseignement fiscal : comment distinguer les aviseurs fiscaux des lanceurs d’alertes ?

Publié le 10/01/2023
Information, courrier, enveloppe
Andrey Popov/AdobeStock

Des précisions jurisprudentielles sont apportées par le tribunal administratif de Montreuil (93) au régime des aviseurs fiscaux. En parallèle, la protection des lanceurs d’alerte a été renforcée. Retour sur une distinction de régime.

Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, l’administration fiscale recourt à des informateurs : les aviseurs fiscaux. Ce dispositif a été initié dans la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016. Ce texte a été voté à la suite de révélations concernant plusieurs affaires de fraude fiscale internationale de grande ampleur afin notamment de lutter contre des situations de fausse domiciliation fiscale d’une entreprise exploitée en France, de transfert de bénéfices à l’étranger, de non-déclaration de comptes bancaires ou de contrats d’assurance-vie ouverts ou souscrits à l’étranger ou de trusts. Initialement prévu à titre expérimental pour deux ans, le dispositif a été prolongé en 2018, dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude (loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018). Le périmètre du dispositif des aviseurs fiscaux a été étendu dans la loi de finances pour 2020 à la TVA ainsi qu’à titre expérimental pour certains agissements, manquements ou manœuvres en infraction avec la législation fiscale, lorsque le montant estimé des droits éludés est supérieur à 100 000 euros. La loi de finances pour 2022 prévoit la prolongation de cette expérimentation de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2023.

Un mécanisme d’indemnisation

Le décret n° 2017-601 du 21 avril 2017 autorise l’administration fiscale à indemniser les aviseurs fiscaux. Et toute personne étrangère aux administrations publiques peut être indemnisée par l’administration fiscale, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement aux règles en matière de fiscalité internationale. La possibilité d’indemniser les aviseurs fiscaux ne constitue pas une spécificité française. Plusieurs grandes démocraties ont mis en place des dispositifs d’essence comparable, parfois très anciens. En France, l’indemnisation des aviseurs de l’administration fiscale a longtemps existé, mais reposait sur des bases juridiques peu assurées. La pratique était alors encadrée par des circulaires confidentielles et avait été partiellement codifiée. Le dispositif était principalement mis en œuvre par les directions déconcentrées, et les montants versés aux informateurs étaient faibles. Les résultats étaient donc limités et concernaient des dossiers de faible enjeu. Et cette possibilité d’indemniser les aviseurs avait été supprimée en 2014.

Le dispositif fonctionne bien

Deux rapports successifs coordonnés par Christine Pirès Beaune, députée socialiste et membre de la commission des finances ont permis de faire le point sur l’ampleur du phénomène (A.N. Rapport d’information n° 1991, du 5 juin 2019, A.N. Rapport d’information n ° 4489, du 22 septembre 2021). Le premier rapport a constaté que « les premiers résultats du dispositif témoignaient de son positionnement équilibré et de sa réelle efficacité ». Avec près d’une centaine de signalements reçus, les premiers redressements ont permis la mise en recouvrement de plus de 90 millions d’euros de droits et pénalités, et conduit à l’indemnisation de deux aviseurs. Le rapport de 2021 constate qu’au total six aviseurs fiscaux ont été indemnisés depuis l’entrée en application du texte. Au total, le montant des droits et des pénalités recouvrés s’établit à 110,32 millions d’euros, au 1er septembre 2021, tandis que celui des indemnités versées aux aviseurs ne représente qu’un coût global de 1,83 million d’euros. Le rendement budgétaire du dispositif s’avère donc particulièrement avantageux pour les finances publiques.

Quelle indemnisation ?

La décision d’attribution de l’indemnité est prise après examen par la DNEF du rôle de l’aviseur et de l’intérêt fiscal, pour l’État, des informations transmises. Aucun barème ne fixe son montant qui est fonction des montants estimés des impôts éludés. « L’indemnité est à la discrétion de l’administration fiscale. Son montant n’est ni forfaitaire, ni strictement proportionnel au montant des droits éludés. Il est cependant calculé par référence aux montants estimés des impôts éludés et après examen de l’intérêt fiscal pour l’État des informations communiquées et du rôle précis de l’aviseur. Il n’est donc arrêté qu’à l’issue des opérations de contrôle ayant permis de corroborer les renseignements fournis. Cependant, compte tenu des délais parfois longs de mise en recouvrement, l’indemnité peut donc être versée à l’aviseur avant que le contribuable ait réglé sa dette vis-à-vis de l’administration fiscale. Elle peut également être échelonnée au fur et à mesure des recouvrements lorsque la qualité des informations le justifie, notamment lorsque les premières affaires mises en contrôle ont conduit à un recouvrement substantiel. Si aucun texte législatif ou réglementaire ne fixe de plafond à cette indemnité, elle est en pratique limitée à un million d’euros par affaire, mais peut être portée jusqu’à 15 % des droits recouvrés dans le cas d’affaires de grande importance.

Des précisions jurisprudentielles sur le contenu des informations…

Le juge administratif commence à être saisi des premières contestations portant sur l’indemnisation des aviseurs fiscaux. Le tribunal administratif de Montreuil a dans ce cadre précisé que la décision administrative de refus d’indemniser un aviseur en matière de fraude fiscale pouvait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. La première décision de justice relative à ce nouveau dispositif a été rendue en 2020 (TA Montreuil, 5 mars 2020, n° 1808248). Dans cette affaire, l’administration refusait d’indemniser l’aviseur au motif que les renseignements transmis étaient présents dans des articles de presse antérieurs au courrier adressé par l’aviseur. Or, précise le juge administratif, les renseignements transmis étaient distincts des informations transmises par voie de presse et contenaient notamment une note détaillée de douze pages, accompagnées de pièces justificatives dont des organigrammes, un rapport de gestion et un acte de donation. Le tribunal administratif de Montreuil juge dans ce cadre qu’il n’est pas nécessaire que l’administration fiscale ait l’exclusivité de l’information transmise par l’aviseur, sous réserve qu’il lui apporte à l’administration fiscale des renseignements qu’elle n’a pas déjà en sa possession. L’aviseur peut également transmettre ses informations à la presse et au procureur de la République.

… et sur la date à laquelle celles-ci sont transmises

En juillet dernier, (TA Montreuil, 7 juill. 2022, n° 2101809), le juge administratif a jugé que l’administration fiscale ne pouvait subordonner l’indemnisation d’un informateur à la condition que les renseignements aient été fournis à l’administration après le 1er janvier 2017. Dans cette affaire, la requérante, salariée d’une entreprise avant d’en être licenciée en 2012, a saisi l’administration fiscale d’une demande d’indemnisation à raison des renseignements qu’elle soutient lui avoir transmis et visant à dénoncer des faits constitutifs de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage bancaire illicite, dont cette entreprise aurait été coupable. L’administration fiscale a rejeté cette demande par une décision du 23 décembre 2020, au seul motif que ces renseignements ont été transmis antérieurement au 1er janvier 2017, alors qu’un arrêté du 21 avril 2017 exige qu’ils le soient postérieurement à cette date pour pouvoir donner lieu à indemnisation. Le tribunal a jugé que le seul motif fondant ce refus est illégal. En effet, il a estimé que l’arrêté du 21 avril 2017 ne pouvait fixer comme unique condition la date des renseignements fournis en ne tenant pas compte de ce que ceux-ci sont encore exploités par l’administration. Or, à la date du refus en litige, l’administration fiscale ne conteste pas qu’elle exploitait toujours les renseignement fournis par l’informatrice. Le tribunal a ainsi constaté, par voie d’exception, l’illégalité sur ce point de l’arrêté du 21 avril 2017 et, en conséquence, a annulé le refus d’indemnisation opposé à celle-ci, sans toutefois juger, contrairement à ce qui a pu être indiqué, que celle-ci a droit à une telle indemnisation. La seule conséquence de ce refus réside dans l’obligation pour l’administration fiscale de procéder à un nouvel examen de la demande présentée par la requérante.

Aviseur ou informateur ?

Aviseurs fiscaux et lanceurs d’alerte renvoient à deux dispositifs bien différents. Le régime du lanceur d’alerte a été créé dans le cadre de la loi n° 2016-1991 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2. Le régime des lanceurs d’alerte a été renforcé dans le cadre de deux textes, la loi n° 2022-400 du 21 mars 2022 sur le Défenseur des droits et la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 sur les lanceurs d’alerte transposant la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, une réforme validée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 17 mars 2022, n° 2022-839 DC, loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte) et entrée en application au 1er septembre 2022. Le lanceur d’alerte est désormais défini comme « une personne physique qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation, d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ». Si comme l’aviseur, le lanceur d’alerte peut désormais conserver l’anonymat, conformément aux droits de l’Union européenne, le lanceur d’alerte ne peut se voir offrir aucune contrepartie financière directe pour les renseignements apportés, même s’il peut bénéficier de mesures de soutien financier, comme une provision pour frais de justice ou si sa situation financière s’est dégradée.

Le rôle du Défenseur des droits

Autre différence de taille, le deuxième rapport coordonné par Christine Pirès Beaune souligne que l’aviseur ne pouvait être confondu avec le lanceur d’alerte qui bénéficie d’un régime protecteur notamment à l’encontre de potentielles représailles professionnelles, comme un licenciement ou des sanctions, par exemple. La jurisprudence précédemment évoquée du 7 juillet 2022, vise une informatrice qui a fait état de représailles professionnelles. Le communiqué du Tribunal de Montreuil sur cette affaire, intitulé « aviseurs fiscaux, des règles à revoir », commence d’ailleurs par faire état du licenciement qu’a subi l’aviseur. Cette même informatrice vient récemment de se voir reconnaître la qualité de lanceuse d’alerte par le Défenseur des droits. Le Défenseur des droits accompagne les lanceurs d’alerte dans leurs démarches et veille à leurs droits et libertés. Il répond aux demandes d’informations sur les conditions de mise en œuvre des règles propres au lanceur d’alerte. Il oriente le lanceur d’alerte vers l’organisme compétent pour faire cesser les faits dénoncés. Il protège le lanceur d’alerte contre les représailles en lien avec ce signalement. En outre, il est désormais habilité à rendre un avis sur la qualité de lanceur d’alerte pour que la personne soit pleinement protégée quel que soit le régime applicable à l’auteur du signalement. Il s’agit d’une certification attestant de la qualité de lanceur d’alerte. C’est dans ce cadre qu’il a reconnu la qualité de lanceur d’alerte à l’informatrice sollicitant la rémunération prévue pour les aviseurs pour des informations transmises antérieurement au 1er janvier 2017. Doit-on en conclure qu’en matière fiscale, un rapprochement pourrait s’opérer entre ces deux notions ? L’avenir le dira…

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