Renseignement fiscal : peut mieux faire ?

La recherche de renseignement fiscal est stratégique pour Bercy. La Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) joue un rôle décisif à cet égard. La nouvelle cellule de renseignement fiscal créée au sein de la DNRED n’est pas encore pleinement opérationnelle, regrette la Cour des comptes.
La recherche de renseignements constitue un élément déterminant du contrôle fiscal. Il s’agit de détecter les mécanismes de fraude, collecter, centraliser et enrichir des renseignements extérieurs et les informations dispersées dans les services pour nourrir la programmation du contrôle fiscal et mieux lutter contre l’évasion fiscale en repérant les nouveaux schémas de fraude.
Le rôle des services de recherche
Premier maillon de la chaîne du contrôle fiscal, la recherche de renseignement est une activité dont le pilotage et le suivi sont essentiels pour la réalisation des objectifs du contrôle fiscal, notamment en matière de lutte contre la fraude. La recherche du renseignement repose sur la mobilisation et la fiscalisation de renseignements externes (police, gendarmerie, justice, affaires sociales, douane …). La mobilisation du renseignement interne et l’événementiel reposent, quant à eux, sur l’exploitation de faits constatés ou d’informations transmises par différents services, service de publicité foncière, pôle enregistrement, services comptables, ou vérificateurs. Il s’agit généralement d’un événement particulier survenant au regard du dossier d’un contribuable ou dans un circuit économique et de nature à justifier un contrôle. Au sein de l’administration fiscale, les services de recherche servent à collecter et à traiter des informations, dans le but de sélectionner des dossiers en vue d’un contrôle fiscal. Ces travaux sont principalement orientés vers les risques de fraude les plus graves comme par exemple les activités occultes et le travail illégal, la non-déclaration de recettes, les fraudes transfrontalières : fausses domiciliations, fraude à la TVA…
Quatre grandes procédures de collecte de l’information
Les services de recherche disposent principalement de quatre types de procédures de collecte d’informations strictement encadrées par la loi :
– le droit de communication : procédure qui permet l’obtention de documents auprès d’entreprises, d’administrations ou d’organismes divers et le relevé d’informations comptables ;
– le droit d’enquête : procédure de recherche dans les entreprises de manquements aux règles de facturation auxquelles sont soumis les assujettis à la TVA ;
– la procédure de visite et de saisie : sur autorisation du juge et en présence d’un officier de police judiciaire. Cette procédure exceptionnelle est utilisée, beaucoup plus rarement, pour mettre en évidence des schémas de fraude élaborés ou de grande envergure. Elle est mise en œuvre uniquement par les agents de la DNEF dans environ 200 opérations par an ;
– la flagrance fiscale : procédure qui permet, en cas de contestation de certains faits frauduleux entraînant un risque en matière de recouvrement de la créance fiscale pour les contribuables se livrant à une activité professionnelle, de dresser un procès-verbal avec possibilité de mesures conservatoires.
L’essor de l’analyse de données
Traditionnellement, la programmation du contrôle fiscal était assise sur trois types d’informations, l’analyse de risque, effectuée à partir d’applications cloisonnées, l’exploitation de signalements transmis par d’autres administrations et la mobilisation d’informations de la DGFiP, notamment des services de contrôle. Désormais celle-ci repose largement sur l’analyse de données. Le croisement des bases de données de la DGFiP vise à identifier par des requêtes informatiques des incohérences et des ruptures de comportement ou des indicateurs caractérisant des risques fiscaux. Ces indicateurs reposent sur des critères fournis par les équipes de contrôle ou par l’application de techniques d’apprentissage automatique. En matière d’analyse de données, les directions locales bénéficient du soutien des pôles de programmation mis en place en septembre 2016 dans les DIRCOFI et du bureau SJCF-1D. Ce bureau et les pôles prennent en charge les travaux informatiques les plus complexes et identifient, pour les généraliser au niveau national, les requêtes les plus pertinentes. L’exploitation des bases de données ou datamining optimisée grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle permet de mieux cibler les contrôles fiscaux. Dès 2021, près d’un contrôle sur deux a été diligenté suite à une analyse de datamining.
Le rôle stratégique de la DNEF
Au sein de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), dotée de 380 agents, est en charge de la collecte du renseignement sur l’ensemble de la fraude fiscale, de la détection des schémas de fraude intentionnelle les plus sophistiqués, notamment à l’international, et des relations avec la DNEF qui constitue l’échelon national d’action et de coordination du dispositif de recherche du renseignement fiscal mis en œuvre au niveau territorial de manière autonome par les brigades départementales de contrôle et de recherche (BCR) et les directions interrégionales du contrôle fiscal (Dircofi). Les services de la DNEF procèdent à la mise en œuvre de la procédure de visite et de saisie prévue à l’article L16 B du Livre des procédures fiscales (LPF). Enfin, cette direction nationale réalise des contrôles fiscaux externes dans les secteurs économiques à risques, plus spécifiquement dans le domaine de la TVA intracommunautaire et des carrousels TVA. Elle n’a pas vocation à recouvrer l’impôt mais à détecter les secteurs les plus susceptibles de favoriser les comportements de fraude fiscale ou les montages sophistiqués qui seront traités par d’autres services de l’administration fiscale. Enfin, la sanction de fraudes exemplaires peut avoir un caractère dissuasif allant bien au-delà des sommes recouvrées.
Une performance difficile à mesurer
Elle dispose pour ce faire de moyens humains, juridiques, voire technologiques qui ont été renforcés au cours des douze dernières années. Elle analyse de très nombreuses d’informations venues du réseau territorial du contrôle fiscal, d’autres administrations (les douanes, Tracfin, les services d’enquête judiciaire, les tribunaux, les administrations fiscales étrangères, etc.), et parfois de dénonciations par le biais des aviseurs fiscaux. Elle seule est autorisée à réaliser des saisies dans les locaux des personnes soupçonnées de fraude fiscale. « Bien qu’elle se soit adaptée, sur la dernière décennie, aux mutations économiques (émergence du commerce électronique et des cryptomonnaies, etc.) et à la montée en puissance de l’autorité judiciaire et à celle du renseignement, la performance de son activité de recherche reste difficile à mesurer », souligne la Cour des comptes dans un rapport publié à l’automne 2024.
Une task force dédiée au renseignement fiscal
Fin 2019, une task force opérationnelle dédiée au renseignement fiscal (TFRF) a été mise en place. Elle associe un service d’enquêtes fiscales spécialisé, la Direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin. Cette task force exploite des renseignements d’ordre fiscal qu’elle met en commun et partage toute information qui peut se révéler utile à l’identification de schémas complexes de fraude fiscale. Bercy entend donner la priorité aux partages opérationnels de renseignements et à la définition de stratégies communes d’actions entre administrations partenaires. En 2023, cette task force a mis à jour un schéma de fraude fiscale et douanière internationale dans l’e-commerce. Pour la Cour des comptes la pérennité de cette task force dépend en grande partie de l’évolution de la nouvelle cellule de renseignement créée au sein de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. La DNRED est un service à compétence nationale, rattaché à la Direction nationale des douanes et droits indirects (DGDDI) et chargé de mettre en œuvre la politique du renseignement, des contrôles et de lutte contre la fraude.
Une cellule de renseignement créée aux enquêtes douanières
La création d’une cellule dédiée au renseignement en matière de fraude fiscale grave et complexe et de blanchiment de fraude fiscale a été annoncée dans le cadre du plan de lutte contre les fraudes de mai 2023. Cette nouvelle entité a été créée au sein de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), par un arrêté au Journal officiel du 10 mars 2024. Cette nouvelle entité a pour objectif de s’attaquer aux situations dans lesquelles les outils actuels du contrôle fiscal ne sont pas assez efficaces, notamment la dissimulation d’avoirs à l’étranger dans les paradis fiscaux et les entités opaques comme les trusts, le recours à des cabinets de défiscalisation et l’optimisation abusive des grandes multinationales. Elle a vocation à accueillir une centaine d’agents expérimentés. qui mobiliseront les techniques de renseignement prévues par le Code de sécurité intérieure comme la mise en place d’écoutes, la captation de données, la pose de balises… Chargée du recueil, du traitement et de la diffusion du renseignement en matière de fraude fiscale grave et complexe pour le compte de la Direction générale des finances publiques, la cellule vient en complément de Tracfin, chargé du renseignement financier, qui ne peut recourir aux techniques de renseignement pour les affaires de fraude fiscale sauf en matière de criminalité.
Une vaste marge de progression pour l’UFR
Pour la Cour des comptes, l’unité du renseignement fiscal (URF), dix-huit mois après l’annonce de sa création, n’est toujours pas opérationnelle. À ce jour seules trois fiches de postes ont été établies et aucun recrutement n’est intervenu, soulignent les sages de la rue Cambon. « De plus, la stratégie de cette future entité et ses rapports avec les autres services de renseignement, notamment le service du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers (Tracfin), et la Direction générale des finances publiques (DGFiP), en particulier la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) restent à définir », précise la Cour des comptes. Cette dernière s’interroge également sur le choix de placer l’URF au sein de la DNRED — et non à la DGFiP —, qui a été fait car celle-ci, en tant que service spécialisé de renseignement, est habilitée à recourir aux techniques de renseignement en application de loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Or les motifs de recours aux techniques de renseignement sont limitativement énumérés à l’article L. 811-3 du Code de la sécurité intérieure et ne comprend pas expressément la lutte contre la fraude fiscale grave et complexe et le blanchiment. Dès lors, sauf à modifier la loi sur le renseignement pour élargir les motifs de recours, les demandes d’utilisation de techniques de renseignement pour lutter contre une fraude fiscale ou des opérations de blanchiment présentées à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) devront justifier que les renseignements recherchés visent à combattre la criminalité ou la délinquance organisées.
Les premiers recrutements
D’après les indications de Bercy, les travaux lancés dès l’annonce de la création de l’URF ont porté sur la révision de l’arrêté du 29 octobre 2007 relatif à la création de la DNRED, ainsi que sur l’élaboration d’une convention de délégation de gestion entre la DGDDI et la Direction générale des finances publiques (DGFiP), et d’un protocole spécifique entre la DNRED, la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) et le service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN). La campagne de recrutement au printemps 2024 a intéressé 60 candidats aux profils variés. Les 10 candidats retenus ont ensuite fait l’objet du processus d’habilitation « très secret » et devraient pouvoir prendre leur poste au début de l’année 2025. S’agissant des motifs de recours aux techniques de renseignement, il est d’ores et déjà convenu entre la DNRED et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement que les techniques de renseignement ne seront sollicitées qu’au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.
Référence : AJU016z2
