Retenue à la source sur les dividendes de source française perçus par une société déficitaire non résidente
La CJUE tranche la question de la compatibilité de la retenue à la source appliquée aux dividendes versés à une société déficitaire résidente d’un autre État membre avec le droit communautaire.
La règle de droit français qui permet d’appliquer une retenue à la source sur les dividendes distribués par une société résidente à une société non-résidente déficitaire est contraire aux principes du droit communautaire. Cette récente mise au point de la CJUE intervient dans une affaire concernant trois sociétés de droit belge et résidentes de Belgique. Les société Sofina, Rebelco et Sidro ont perçu de 2008 à 2011 des dividendes de plusieurs sociétés françaises, dans lesquelles elles détenaient des participations n’ouvrant pas droit au bénéfice du régime des sociétés mères prévu par les articles 145 et 216 du Code général des impôts (CGI). En application des dispositions du 2 de l’article 119 bis du CGI, ces distributions ont fait l’objet de retenues à la source, au taux réduit de 15 % prévu par le paragraphe 2 de l’article 15 de la convention fiscale conclue le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique.
Par voie de réclamations adressées à l’administration fiscale, les sociétés Sofina, Rebelco et Sidro ont demandé la restitution des retenues ainsi prélevées, au motif qu’étant déficitaires et n’étant, par suite, redevables en Belgique d’aucune cotisation d’impôt sur leurs résultats, elles étaient – en violation de la liberté de circulation des capitaux protégée par l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris depuis le 1er décembre 2009 à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – moins favorablement traitées qu’une société française déficitaire, qui n’est effectivement imposée sur les dividendes de source française qu’elle perçoit que lorsque son résultat imposable redevient bénéficiaire. Elles indiquaient que leur résultat était négatif au cours des exercices en litige tant en application des règles belges qu’en application des règles françaises de calcul du résultat imposable. À la suite du rejet de ces réclamations par l’administration, les sociétés requérantes ont saisi le tribunal administratif de Montreuil qui, par des jugements des 20 septembre 2013 et 18 novembre 2014, a rejeté leurs demandes tendant à la restitution des retenues à la source prélevées (TA Montreuil, 20 sept. 2013 n° 1207775 et TA Montreuil, 18 nov. 2014, n° 1304902, société Sofina ; TA Montreuil, 20 sept. 2013, n° 1207745 et n° 1304900, société Rebelco ; TA Montreuil, 20 sept. 2013 et TA Montreuil, n° 1207776, 18 nov. 2014, n° 1304899, société Sidro). Les trois sociétés se pourvoient en cassation contre les arrêts du 10 décembre 2015 par lesquels la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté leurs appels contre ces jugements (CAA Versailles, 10 déc. 2015, n° 14VE00289 et n° 15VE00914, société Sofina ; CAA Versailles, 10 déc. 2015, n° 14VE00290 et n° 15VE00923, société Rebelco ; CAA Versailles, 10 déc. 2015, n° 14VE00291 et n° 15VE00928, société Sidro). Les pourvois présentant à juger les mêmes questions, le Conseil d’État les a joint pour statuer par une seule décision.
Des difficultés d’interprétation du droit de l’Union européenne
L’affaire présentant plusieurs difficultés sérieuses d’interprétation du droit de l’Union européenne, le Conseil d’État a sursis à statuer sur les pourvois des sociétés Sofina, Rebelco et Sidro, jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur plusieurs questions préjudicielles (CE, 20 sept. 2017, n°s 398662 et 398663). Les articles 56 et 58 du traité instituant la Communauté européenne, devenus 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens que le désavantage de trésorerie résultant de l’application d’une retenue à la source aux dividendes versés aux sociétés non-résidentes déficitaires, alors que les sociétés résidentes déficitaires ne sont imposées sur le montant des dividendes qu’elles perçoivent que lors de l’exercice au titre duquel elles redeviennent le cas échéant bénéficiaires, constitue par lui-même une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux ? L’éventuelle restriction à la liberté de circulation des capitaux mentionnée à la question précédente peut-elle être, au regard des exigences résultant des articles 56 et 58 du traité instituant la Communauté européenne, devenus 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, regardée comme justifiée par la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt, dès lors que les sociétés non-résidentes ne sont pas soumises au contrôle de l’administration fiscale française, ou encore par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres ? Dans l’hypothèse où l’application de la retenue à la source contestée peut dans son principe être admise au regard de la liberté de circulation des capitaux, ces stipulations s’opposent-elles à la perception d’une retenue à la source sur les dividendes versés par une société résidente à une société déficitaire non-résidente d’un autre État membre lorsque cette dernière cesse son activité sans redevenir bénéficiaire, alors qu’une société résidente placée dans cette situation n’est effectivement pas imposée sur le montant de ces dividendes ? Ces stipulations doivent-elles être interprétées en ce sens qu’en présence de règles d’imposition traitant différemment les dividendes selon qu’ils sont versés aux résidents ou aux non-résidents, il convient de comparer la charge fiscale effective supportée par chacun d’eux au titre de ces dividendes, si bien qu’une restriction apportée à la liberté de circulation des capitaux, résultant de ce que ces règles excluent pour les seuls non-résidents la déduction des frais qui sont directement liés à la perception, en elle-même, des dividendes, pourrait être regardée comme justifiée par l’écart de taux entre l’imposition de droit commun mise, au titre d’un exercice ultérieur, à la charge des résidents et la retenue à la source prélevée sur les dividendes versés aux non-résidents, lorsque cet écart compense, au regard du montant de l’impôt acquitté, la différence d’assiette de l’impôt ?
Restrictions aux mouvements de capitaux
Pour la jurisprudence du Conseil d’État, (CE, 9 mai 2012, nos 342221 et 342222, Société GBL Energy) la retenue à la source appliquée aux dividendes perçus par une société déficitaire non résidente s’avère compatible avec les principes du droit communautaire dans la mesure où les dividendes perçus par une société résidente déficitaire ne sont pas exonérés d’impôt mais imposés au titre de l’exercice où la société redevient bénéficiaire. Ce raisonnement ne convainc pas la CJUE pour qui cet avantage constitue une véritable entrave au principe de liberté de circulation des capitaux.
En l’espèce, les dividendes perçus par les requérantes ont fait l’objet d’une retenue à la source de 15 % en application de la convention franco-belge. En revanche, les dividendes versés à une société résidente sont intégrés dans son assiette imposable et soumis au régime d’imposition de droit commun, à savoir l’impôt sur les sociétés à hauteur de 33,33 %, conformément à l’article 38 du CGI. En cas de résultat déficitaire à l’issue de l’exercice fiscal concerné, l’article 209, paragraphe 1, troisième alinéa, du CGI, dans sa version applicable aux faits au principal, prévoyait un report de cette imposition sur un exercice bénéficiaire ultérieur, les pertes enregistrées reportables sur l’exercice suivant étant imputées à concurrence du montant des dividendes perçus. Il en résulte que, alors que les dividendes distribués à une société non-résidente font l’objet d’une imposition immédiate et définitive, l’imposition que subissent les dividendes distribués à une société résidente dépend du résultat net bénéficiaire ou déficitaire de celle-ci. Ainsi, lorsque ce résultat est déficitaire, l’imposition de ces dividendes est non seulement reportée sur un exercice ultérieur bénéficiaire, procurant ainsi un avantage de trésorerie à la société résidente, mais revêt en outre de ce fait un caractère incertain, dès lors que cette imposition n’interviendra pas si la société résidente cesse ses activités avant de devenir bénéficiaire.
Or l’exclusion d’un avantage de trésorerie dans une situation transfrontalière alors qu’il est octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. Et l’appréciation de l’existence d’un éventuel traitement désavantageux des dividendes versés aux sociétés non-résidentes doit être effectuée pour chaque exercice fiscal, pris individuellement. Les dividendes perçus par une société non-résidente étant imposés lors de leur distribution, il y a lieu de tenir compte de l’exercice fiscal de distribution des dividendes pour comparer la charge fiscale grevant de tels dividendes et celle grevant des dividendes distribués à une société résidente. Or il convient de constater qu’une telle charge est nulle lorsque la société résidente clôture un tel exercice par un résultat déficitaire. Un tel report de l’imposition revêtira le caractère d’une exonération définitive des dividendes distribués à une société résidente si cette dernière ne présente plus de résultat bénéficiaire avant de cesser ses activités. Par conséquent, la réglementation nationale en cause au principal est susceptible de procurer un avantage aux sociétés résidentes en situation déficitaire, dès lors qu’il en résulte à tout le moins un avantage de trésorerie, voire une exonération en cas de cessation d’activités, alors que les sociétés non-résidentes subissent une imposition immédiate et définitive indépendamment de leur résultat.
Si les dividendes ont en l’espèce été soumis à un taux de 15 % plus avantageux que celui de 33, 33 % applicable aux dividendes versés à une société résidente les dividendes versés à une société non-résidente en sus de leur prélèvement à la source de 15 % en France peuvent également être imposés par la Belgique conformément à la convention franco-belge. En outre, un tel avantage ne saurait effacer le traitement moins favorable que subissent les dividendes versés à une société non-résidente. Et le le taux d’imposition moins favorable en ce qui concerne les dividendes versés à une société résidente n’est en tout état de cause pas pertinent, dès lors que ces dividendes font l’objet d’une exonération de l’impôt dû lorsque la société résidente cesse ses activités sans avoir été bénéficiaire à la suite de la perception desdits dividendes. Une telle différence de traitement fiscal des dividendes en fonction du lieu de résidence des sociétés qui en bénéficient est susceptible de dissuader, d’une part, les sociétés non-résidentes de procéder à des investissements dans des sociétés établies en France et, d’autre part, les investisseurs résidant en France d’acquérir des participations dans des sociétés non-résidentes. Il s’ensuit que la réglementation nationale en cause au principal constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. Il convient, toutefois, d’examiner si cette restriction est susceptible d’être justifiée par la nécessité de garantir le recouvrement de l’impôt et correspond à la répartition de la compétence fiscale entre l’État membre de résidence et l’État membre de la source.
Une différence de traitement légitime ?
Conformément à la jurisprudence de la Cour, une différence de traitement ne peut être légitime que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En l’espèce, la réglementation nationale en cause ne se limite pas à prévoir des modalités de perception de l’impôt différentes en fonction du lieu de résidence du bénéficiaire des dividendes d’origine nationale, mais est susceptible d’entraîner un report de l’imposition du revenu des dividendes sur un exercice ultérieur en cas de résultat déficitaire de la société résidente, voire une exonération en cas de cessation de ses activités en l’absence d’un retour à un résultat bénéficiaire. Dans la mesure où la règle de droit nationale procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire qui n’est pas accordé aux sociétés non-résidentes déficitaires, on ne peut soutenir que la différence de traitement dans l’imposition des dividendes, selon qu’ils sont perçus par une société résidente ou par une société non-résidente, se limite aux modalités de perception de l’impôt. La différence de traitement n’est donc pas justifiée par une différence de situation objective. Le gouvernement français a également fait valoir que la retenue à la source à laquelle ne sont soumis que les dividendes perçus par une société non-résidente est la seule technique permettant à l’État français d’imposer ces revenus sans réduire ses recettes fiscales en raison d’un résultat déficitaire né dans un autre État membre. Or le gouvernement français ne saurait alléguer que la perte de recettes fiscales liées à l’imposition des dividendes perçus par les sociétés non-résidentes en cas de cessation de leurs activités est de nature à justifier une retenue à la source sur ces revenus en ce qui concerne ces seules sociétés, alors que l’État français consent à de telles pertes lorsque les sociétés résidentes cessent leurs activités sans être redevenues bénéficiaires. Autre argument présenté par la France : le fait que la taxation des dividendes versés à une société non-résidente à une retenue à la source est un moyen légitime et approprié d’assurer le traitement fiscal des revenus d’une personne établie en dehors de l’État d’imposition et d’éviter que ces revenus échappent à l’impôt dans l’État de la source car permettant d’alléger les formalités administratives qu’entraînerait l’obligation, pour ces sociétés, de procéder à une déclaration de revenus en fin d’exercice fiscal, à destination de l’administration fiscale française. Pourtant, conclut la CJUE, la reconnaissance du bénéfice de ce report aux sociétés non-résidentes, tout en éliminant nécessairement cette restriction, ne remettrait pas en cause la réalisation de l’objectif lié au recouvrement efficace de l’impôt dû par ces sociétés lorsqu’elles perçoivent des dividendes d’une société résidente. Par conséquent, la reconnaissance de l’avantage lié au report de l’imposition de dividendes distribués également aux sociétés non-résidentes en situation déficitaire aurait pour effet d’éliminer toute restriction à la libre circulation des capitaux sans pour autant faire obstacle à la réalisation de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal. Dans ces conditions, la justification de la réglementation nationale en cause au principal tirée de l’efficacité du recouvrement de l’impôt ne saurait être retenue. La législation en cause est donc contraire aux articles 63 et 65 TFUE, conclut la CJUE.