Rétroactivité de l’Exit Tax et libertés communautaires

Le Conseil d’État précise l’application dans le temps de l’Exit Tax, un dispositif qui vise principalement les entrepreneurs qui seraient tentés de vendre leur entreprise une fois installés à l’étranger pour bénéficier de conditions fiscales plus favorables.
L’Exit Tax permet à Bercy d’imposer les candidats à l’exil sur l’impôt sur le revenu et de collecter les prélèvements sociaux sur leurs plus-values latentes. Le Conseil d’État vient d’en borner l’application dans le temps (CE, 5 février 2025, n° 476399).
L’objectif de l’Exit Tax
L’Exit Tax a été réintroduite en 2011 dans le cadre de l’article 48 de la première loi de finances rectificative pour 2011 (L. n° 2011-900 du 29 juillet 2011). La mise en application de la mesure a été fixée au 3 mars 2011, date de l’annonce du projet de réforme par le ministre de l’époque, François Barouin, en clôture d’un colloque sur la fiscalité du patrimoine. L’article 167 bis du Code général des impôts (CGI), qui régit ce dispositif prévoit que le transfert de domicile fiscal hors de France entraîne l’imposition immédiate à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux des plus-values latentes sur droits sociaux, valeurs, titres ou droits, sous condition tenant à l’importance des participations détenues, des créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix et de certaines plus-values en report d’imposition. L’Exit Tax vise principalement les entrepreneurs qui seraient tentés de vendre leur entreprise ou leurs participations une fois installés à l’étranger afin de bénéficier de conditions fiscales plus favorables.
Une idée ancienne
Le dispositif d’Exit Tax a été introduit pour la première fois en droit français en 1998. Le transfert de domicile fiscal hors de France donnait alors lieu à l’imposition des plus-values en report d’imposition et des plus-values latentes afférentes à des participations supérieures à 25 %. Cette mesure a été abrogée par la loi de finances pour 2005 en raison de son incompatibilité avec le droit communautaire. Le 11 mars 2004, la CJUE, dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’État, a en effet jugé que le principe communautaire de la liberté d’établissement s’opposait à ce qu’un État membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du CGI, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet État (CJUE, 11 mars 2004, n° C-9/02, Lasteyrie du Saillant).
Le périmètre du dispositif
Sont concernés les contribuables qui ont été résidents fiscaux français pendant au moins six ans au cours des dix années précédant le transfert de leur domicile à l’étranger et s’ils détiennent des droits sociaux, titres ou droits atteignant une valeur globale d’au moins 800 000 € ou représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société. Ce dispositif vise désormais les titres de sociétés à prépondérance immobilière soumises à l’impôt sur les sociétés au jour du transfert de domicile fiscal du contribuable. Dans le cadre de la loi de finances pour 2019 (L. n° 2018-1317 du 28 décembre 2018), ce dispositif a été largement remanié afin d’adresser un message plus positif aux entrepreneurs selon le souhait de l’actuel président de la République. Les contribuables transférant leur domicile hors de France peuvent bénéficier d’un sursis de paiement des impositions établies à ce titre. Ce sursis est soit automatique, soit accordé sur demande faite via le formulaire n° 2074 ETD accompagné d’une proposition de garantie. En outre, un dégrèvement est prévu dans certaines situations.
Sursis de paiement et dégrèvement
Le sursis sur demande qui concernait les contribuables transférant leur domicile dans un État tiers à l’Espace économique européen ne s’applique plus, depuis 2019, qu’à ceux transférant leur domicile dans un État considéré comme non coopératif (ETNC) ou dans un État ou territoire hors de l’Union européenne n’ayant pas conclu avec la France des conventions d’assistance à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et d’assistance au recouvrement (L. n° 2018-1317 du 28 décembre 2018). Le délai à l’expiration duquel les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de l’Exit Tax en sursis de paiement, sauf cession, rachat-annulation des titres ou liquidation de la société intervenant dans l’intervalle a été raccourci. Il est de deux ans pour les contribuables dont la valeur des titres dans le champ de l’Exit Tax est inférieure à 2 570 000 euros. Il est de cinq ans pour contribuables dont la valeur des titres dans le champ de l’Exit Tax est supérieure à 2 570 000 euros. À l’issue de ce délai, la fraction de l’Exit Tax portant sur les prélèvements sociaux reste due.
Cartographier les départs
Les formalités déclaratives mises en place par l’Exit Tax facilitent la tâche de l’administration fiscale pour évaluer les départs à l’étranger. Les plus-values et créances soumises à l’Exit Tax doivent en effet être déclarées sur la déclaration d’ensemble des revenus n° 2042 et sur le formulaire spécial n° 2074 ETD afin de déclarer les plus-values latentes, les créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix ainsi que les plus-values en report d’imposition qu’il détient à la date du transfert de son domicile fiscal hors de France. Au titre des années suivant celle du transfert du domicile fiscal hors de France, il doit souscrire la déclaration n° 2074-ETS qui permet d’assurer le suivi de ses impositions. À cette déclaration correspondent plusieurs imprimés en fonction de la date à laquelle le contribuable a transféré son domicile fiscal hors de France. Lorsque le départ se fait pour l’Espace économique européen, le schéma est semblable à celui de l’impôt sur le revenu classique, avec une déclaration au courant de l’année suivante. Lorsqu’il s’effectue hors de l’Espace économique européen, le contribuable doit remplir des déclarations spécifiques avant le départ, avec la possibilité d’acquitter l’impôt dû au titre de l’Exit Tax ou d’en obtenir le sursis sous réserve de produire des garanties. En outre, le contribuable doit reporter à la case 8TN de la déclaration 2042C le montant global des droits en sursis de paiement. Si, une fois établi à l’étranger, le contribuable transfère de nouveau son domicile fiscal dans un pays différent, ce nouveau transfert peut avoir des conséquences sur l’imposition. Aussi, dans les deux mois qui suivent ce changement de domicile fiscal, il est nécessaire d’en informer sur papier libre le service des impôts des particuliers non-résidents, rattaché à la Direction des impôts des non-résidents (DINR). L’administration dispose donc d’une liste de contribuables concernés par l’Exit Tax, grâce à laquelle elle peut faire des statistiques à partir des éléments déclarés et en tirer des profils d’âge et de situation de famille ou professionnelle. Quatre ans après la mise en place de l’Exit Tax, le nombre de départs s’est stabilisé autour de 400. En quatre ans, l’administration fiscale totalisait près de 1 400 départs, dont de très nombreux chefs d’entreprise. 70 % d’entre eux se caractérisaient par un revenu fiscal supérieur à 100 000 €.
Un texte rétroactif
Le caractère rétroactif du dispositif de l’Exit Tax au 3 mars 2011 pouvait le rendre sujet à la critique. Pourtant le Conseil constitutionnel a validé intégralement ses dispositions, interdisant de remettre en question sa date d’entrée en vigueur par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 28 juillet 2011, n° 2011-638 DC). En France, les mesures d’application immédiate sont généralement annoncées comme telle lors de la présentation du projet de loi en conseil des ministres. Lorsqu’elles sont introduites par voie amendement, elles entrent en vigueur à la date où l’amendement est adopté par la commission des finances. En l’espèce, le 3 mars aucune mention d’une éventuelle rétroactivité de ce mécanisme n’avait été évoqué. En revanche, le 11 mai 2011, lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative en conseil des ministres, il a été précisé que cet impôt serait applicable à tous les départs intervenus depuis le 3 mars 2011.
Un long combat
Un contribuable patient et combatif parti en avril 2011 en Belgique, quelque mois avant le vote de la loi vient d’obtenir gain de cause devant le Conseil d’État. C’est la première fois en 14 ans que ce dernier a gain de cause puisqu’en première instance, puis en appel les juges ont rejeté ses recours (TA Montreuil, 1er décembre 2020, n° 1800411 ; CAA Paris, 5 avril 2023, n° 21PA00433). À l’appui de sa cause, il a invoqué le droit communautaire, et plus précisément le principe de confiance légitime reconnu par le droit européen. Pour la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 26 avril 2005, aff. 376/02, plén., Stichting « Goed Wonen »), les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, à titre exceptionnel et afin d’éviter que soient utilisés à grande échelle, pendant le processus législatif, des montages destinés à minimiser la charge fiscale contre lesquels une loi de modification vise précisément à lutter, donne à cette loi un effet rétroactif, lorsque les contribuables effectuant des actes tels que ceux visés par la loi ont été avertis de la prochaine adoption de cette loi et de l’effet rétroactif envisagé de manière telle qu’ils soient en mesure de comprendre les conséquences de la modification législative envisagée sur les actes qu’ils pratiquent ou qu’ils projettent. Pour la Cour de justice de l’Union européenne une mesure destinée à entrer en vigueur avant le vote effectif de la loi pour éviter les effets d’aubaine peut donc être rétroactive à condition d’être annoncée à ses destinataires avec une publicité suffisante et conforme à l’usage dans l’État membre concerné (CJUE, 12 décembre 2013, aff. C-362/12, Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation).
Pas d’annonce réelle
Le Conseil d’État précise que le ministre a exposé les scénarios de réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune envisagés par le gouvernement en vue de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative avant l’été 2011. Dans ce cadre, le ministre a fait brièvement état, à la fin de son propos, d’une autre réflexion en cours relative à la manière d’ « appréhender le revenu du contribuable qui s’expatrie non pour des raisons professionnelles mais seulement le temps d’échapper à la taxation de sa plus-value et a conclu son intervention en rappelant qu’aucune décision n’avait encore été prise et que le projet de loi à venir serait le fruit d’un travail de concertation et de réflexion ». « De tels propos, eu égard à leur caractère prospectif, ne peuvent être regardés comme annonçant le rétablissement d’une imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal hors de France. Par suite, dans les circonstances de l’espèce, l’application des dispositions de l’article 167 bis du Code général des impôts aux transferts du domicile fiscal dans un autre État membre de l’Union, réalisés à compter du 3 mars 2011 jusqu’au 11 mai 2011, date à laquelle les contribuables ont eu connaissance du dispositif tel qu’adopté par le conseil des ministres et soumis à la discussion parlementaire, doit être regardée comme portant atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique », conclut le Conseil d’État.
Référence : AJU017h4
