Secret professionnel et perquisitions fiscales

Juger si les éléments obtenus par l’administration fiscale lors d’une procédure de visite et de saisie portent atteinte au secret professionnel et donc entachent la régularité de la procédure d’imposition relève de la seule compétence du premier président de la cour d’appel.
Le juge compétent pour se prononcer sur le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure d’imposition consécutive à l’illégalité d’opérations de saisie, est-il le premier président de la cour d’appel chargé des recours contre le déroulement des perquisitions fiscales, ou bien le juge de l’impôt, sollicité pour la décharge des impositions ? C’est cette question que vient de trancher le juge administratif (CE, 13 mars 2025, n° 469738, sté European Trust Services Luxembourg). Pour le Conseil d’État, la contestation, au regard du secret professionnel, d’une saisie de documents qui ont ensuite servi à fonder des redressements, intervenue lors d’une perquisition fiscale, relève de la compétence exclusive du juge judiciaire.
Des opérations de visites et saisies domiciliaires
Dans cette affaire, à l’issue d’une vérification de comptabilité, la société Eiffel Properties Luxembourg a été assujettie au prélèvement forfaitaire prévu par les dispositions de l’article 244 bis A du CGI, assorti de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du CGI et de la pénalité prévue au b de l’article 1729 du CGI, au titre de l’année 2008. La société European Trust Services Luxembourg, venant aux droits de la société Utility Corporate Services SARL, liquidateur de la société Eiffel Properties Luxembourg, s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du 21 septembre 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre le jugement du 25 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil rejetant la demande en décharge de cette imposition. Ce redressement était fondé sur des documents saisis lors d’opérations de perquisitions fiscales intervenues dans les locaux professionnels d’un avocat, d’un notaire et d’un expert-comptable. Le contribuable a contesté la régularité de la procédure d’imposition au motif que l’administration aurait porté atteinte au secret professionnel en fondant les rectifications sur des éléments couverts par le secret de la correspondance entre un avocat et son client protégé par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et par le secret de la correspondance entre un notaire ou un expert-comptable et leur client.
La notion de perquisitions fiscales
La procédure de visite et saisie domiciliaire, codifiée à l’article L16 B du Livre des procédures fiscales (LPF) constitue une procédure d’exception qui compte parmi les instruments les plus efficaces dont dispose l’administration fiscale pour lutter contre la fraude fiscale en matière de taxes sur le chiffre d’affaires, d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu. Les services fiscaux, pour effectuer une perquisition fiscale, doivent préalablement obtenir une ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) les autorisant à effectuer cet acte. Munis de ce document, les agents des impôts accompagnés d’un officier de police judiciaire (OPJ) peuvent perquisitionner les locaux de la société comme le siège social mais aussi les entrepôts, les établissements secondaires, etc., afin de saisir pièces et documents attestant la réalité des infractions fiscales présumées.
La notion de secret professionnel
Conformément aux dispositions de l’article L16 B du Livre des procédures fiscales (LPF) la perquisition fiscale peut s’opérer au domicile du contribuable, dans ses locaux professionnels mais également chez des tiers et notamment les locaux professionnels de l’avocat du contribuable, de son expert-comptable, de son notaire, la banque où il loue un coffre etc., lorsqu’il existe une présomption que ce contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement de ses impôts. Avec la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 sur la confiance dans l’institution judiciaire, le législateur a souhaité tout à la fois assurer la sécurité du secret professionnel et encadrer les conditions dans lequel il peut être porté atteinte à ce secret. Le juge des libertés et de la détention doit autoriser et motiver les visites domiciliaires concernant ces professionnels, en indiquant la nature des infractions poursuivies, les raisons et le but qui justifient la perquisition, et en démontrant la proportionnalité de la mesure de perquisition fiscale au regard des faits. En cas de contestation du bâtonnier ou de son délégué, il revient également au juge des libertés et de la détention de statuer sur les pièces saisies. La visite doit se faire en présence d’un officier de police judiciaire (OPJ). Il est chargé par le JLD qui a autorisé la visite et la saisie d’assister aux opérations et de le tenir informé de leur déroulement. Sa raison d’être est de garantir la légalité de la procédure. Il constitue le représentant sur place du juge des libertés et de la détention et est le point de saisine obligé de ce dernier pendant le déroulement de la visite domiciliaire.
Une double voie de recours
Depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) qui a réformé la procédure de visite et de saisie domiciliaire, à la suite de l’arrêt Ravon1 rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui a jugé la procédure des perquisitions fiscales contraire à l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les facultés de recours effectif du contribuable, en appel et en cassation, ont été étendues. Le contribuable dispose d’une double voie de recours, afférente à l’ordonnance autorisant la visite domiciliaire et au déroulement des opérations de visite et de saisie, consistant en un appel non suspensif puis un pourvoi en cassation, dans un délai de 15 jours et selon les règles prévues par le Code de procédure civile. Ces délais de contestation sont très courts et courent à compter de la remise ou de la signification de l’ordonnance et des procès-verbaux de visite et les contestations doivent être portées devant le premier président de la cour d’appel territorialement compétente. En faisant appel de l’ordonnance d’autorisation, le contribuable s’assure d’obtenir la copie des pièces présentées par l’administration au JLD à l’appui de sa requête de demande de mise en œuvre des visites domiciliaire et la requête elle-même. En dehors de ce cadre procédural, l’administration n’a pas l’obligation de les communiquer et d’ailleurs elle ne le fait pas. Si à l’examen des pièces ainsi obtenues, les chances de succès de l’appel apparaissent nulles, l’appelant a la possibilité de se désister de l’instance à tout moment avant l’audience. En revanche, dans l’hypothèse où l’ordonnance est annulée, c’est l’ensemble de l’opération qui tombe et l’administration a l’interdiction d’exploiter les pièces saisies de quelque manière que ce soit.
Compétence exclusive du juge judiciaire
Le Conseil d’État a affirmé la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de perquisitions fiscales. Pour le juge administratif, l’appréciation de la régularité d’une visite domiciliaire et d’une saisie faite au cours de cette visite relève de la compétence exclusive du juge judiciaire, y compris pour les tiers à l’objet de la visite. Il ressort des termes mêmes de l’article 164 de la loi du 4 août 2008 que la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l’article L16 B du LPF peut être contestée non devant le juge de l’impôt mais devant le premier président de la cour d’appel. La contestation de la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l’article L16 B du LPF peut également être formée par des tiers à l’objet de la visite, dès lors que des impositions ont été établies, ou des rectifications effectuées, à leur encontre, à partir d’éléments obtenus par l’administration dans le cadre d’une telle opération.
Annulation de pièces saisies et redressement fiscal
Le Conseil d’État a précisé que l’administration fiscale ne peut se prévaloir, pour fonder une imposition de pièces recueillies au cours d’une visite domiciliaire conduite dans des conditions déclarées ultérieurement illégales, que cette opération ait été conduite à l’égard du contribuable lui-même ou d’un tiers. Une annulation de saisie de pièces opérée dans le cadre d’une perquisition fiscale qui a servi à fonder une procédure d’imposition à l’égard de la société dont les locaux ont été perquisitionnés, qui a pour effet d’interdire à l’administration fiscale de les utiliser, affecte la régularité de la procédure d’imposition dans la mesure où elle résulte de l’exploitation de ces informations. En revanche, cette annulation est sans conséquences sur la régularité de la décision d’imposition si celle-ci résulte d’autres éléments. Sur l’articulation entre secret professionnel et visite domiciliaire, la Cour de cassation a précisé que si la saisie des pièces couvertes par le secret professionnel est annulée, il n’a pas lieu en revanche d’invalider l’ensemble de la procédure de visite domiciliaire (Cass. com., 4 mars 2020, n° 18-19.632). Dans les faits, ce cas de figure est fréquent qu’il s’agisse de pièces couvertes par le secret professionnel de l’avocat ou de pièces couvertes par le secret professionnel de l’expert-comptable ou par le secret professionnel du notaire.
Incompétence de la juridiction administrative
La cour administrative d’appel a statué sur le bien-fondé de l’argumentation de la société requérante tirée de l’atteinte portée, d’une part, au secret de la correspondance entre un avocat et son client protégé par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et, d’autre part, au secret de la correspondance entre un notaire ou un expert-comptable et leur client, du fait de l’utilisation par l’administration fiscale de pièces qu’elle a saisies au cours d’une opération de visite et de saisie autorisée sur le fondement de l’article L16 B du LPF. Après avoir examiné les arguments développés par le contribuable, le juge d’appel a considéré qu’en l’espèce les secrets n’étaient pas méconnus. Ce faisant, la cour administrative d’appel de Paris a méconnu le champ d’application de la loi et la compétence de la juridiction administrative, conclut le Conseil d’État qui casse cet arrêt.
Compétence exclusive du juge judiciaire
Le Conseil d’État rappelle que le contrôle de la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées en application des dispositions de l’article L16 B du LPF relève non de la compétence du juge de l’impôt saisi d’une contestation des impositions établies sur la base des éléments obtenus lors de ces opérations mais de celle du premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure. C’est notamment le cas du contrôle de la régularité des opérations les atteintes qui pourraient être portées, à l’occasion de celles-ci, au respect du secret professionnel. Lorsque les éléments en cause ont été obtenus par l’administration fiscale au moyen d’une procédure de visite et de saisie diligentée pour les besoins du contrôle, la contestation, par le contribuable, de la régularité de la procédure d’imposition au motif que l’administration aurait porté atteinte au secret professionnel en fondant les rectifications sur des éléments couverts par ce secret, n’est pas dissociable de celle qu’il incombe au seul premier président de la cour d’appel de porter sur la régularité des opérations de visite et de saisie. Elle échappe, par suite, à la compétence du juge de l’impôt. Les contribuables ont donc intérêt à contester systématiquement les opérations de saisies pour demander l’exclusion des pièces concernées par le secret professionnel avant toute contestation devant le juge de l’impôt.
Référence : AJU017h1
