Sécuriser un legs avec charges

Publié le 27/02/2025
Sécuriser un legs avec charges
Nadezhda/AdobeStock

Pour donner du sens à sa succession, il est possible de transmettre son patrimoine à un organisme à but non lucratif (OSBL). Ce geste généreux prend la forme d’un legs, une technique juridique très encadrée.

Bien qu’il n’existe pas de recensement centralisé des legs, d’après les chiffres de l’Association française de fundraising (AFF) on estime que le montant total annuel des legs au profit d’organismes d’utilité publique atteindrait 1 milliard d’euros. À titre de comparaison, le montant des dons ouvrant droit à des réductions fiscales se monte à environ à 2,4 milliards d’euros par an. Pour les organismes bénéficiaires de ces dons, les organismes sans but lucratifs ou OSBL c’est un enjeu important car les legs portent souvent sur des sommes plus élevées qu’un don classique et leur permettent de sécuriser des financements pour organiser des actions dans la durée.

Anticiper le legs

Les legs sont réalisés après le décès du donateur et sont consentis par testament. Ce testament peut être olographe ou notarié. Pour sécuriser ce document, il est préconisé de le faire relire au service Legs de l’OBSL choisi afin de s’assurer de sa validité. Une clause de legs mal rédigée peut en effet être annulée. Pour être efficace, la clause de legs doit comporter plusieurs précisions. La désignation de l’OBSL gratifié doit être précise, avec son nom et son adresse. Dans le cas où plusieurs donataires coexistent, la répartition des différents legs doit être précisée.

Une fiscalité avantageuse

Les legs transmis aux OBSL bénéficient d’une fiscalité avantageuse. Les legs effectués à des OSBL entrant dans les critères de l’article 795 du Code général des impôts sont exonérés de ces droits de mutation à titre gratuit. En outre, le législateur a prévu un abattement des droits de mutations à titre gratuit dus par tout héritier, donateur ou légataire, à hauteur de la valeur des biens, évalués au jour du décès, qui sont reçus par legs à une fondation reconnue d’utilité publique. Cet abattement s’applique sous deux conditions. Le legs à l’OSBL doit être effectué à titre définitif et en pleine propriété dans les six mois suivant le décès. Et des pièces justificatives attestant du montant et de la date de la libéralité ainsi que de l’identité des bénéficiaires doivent être jointes à la déclaration de succession. Précisons que l’abattement n’est pas cumulable avec le bénéfice de la réduction d’impôt sur le revenu liée au mécénat.

Vérifier la capacité de l’OSBL à recevoir ce legs

La capacité patrimoniale des organismes à but non lucratif est restreinte par rapport à celle des entités commerciales. Et si la loi relative à l’économie sociale et solidaire (EES) du 31 juillet 2014 a élargi le champ des OSBL auxquels il est possible de faire un legs, tous les organismes continuent à ne pas avoir la capacité de recevoir des legs. Ainsi, les fondations d’entreprises ne peuvent recevoir de legs. En revanche, les associations peuvent en recevoir à la condition d’être déclarées en préfecture depuis une durée d’au moins trois ans et que leurs activités entrent dans le champ de l’article 200 du CGI qui liste les OSBL éligible à la réduction d’impôt sur le revenu pour don, c’est-à-dire les associations d’intérêt général. Les fonds de dotation peuvent également recevoir des legs. Il en est de même pour les associations et fondations reconnues publiques. Conformément à l’article 910 du Code civil et au décret n° 2007-807 du 11 mai 2007, les associations doivent déclarer les legs reçus auprès du préfet territorialement compétent. Le préfet dispose d’un droit d’opposition dans les quatre mois de la déclaration si l’association ne satisfait pas aux conditions légales pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités (CE, 31 mai 2024, n° 466731) ou si elle n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire (CE, 17 juin 2024, n° 471531). Le Conseil d’État vient de se prononcer sur la nature des activités d’intérêt général, et plus particulièrement la notion de caractère philanthropique, (CE, 31 mai 2024, n° 466731).

La notion d’intérêt général

Dans cette affaire, la Ligue française contre la vivisection et l’expérimentation sur l’homme et l’animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives (LFCV), association créée en 1956, a bénéficié d’un legs, qu’elle a accepté en 2019. Le préfet de Paris s’est opposé à la réception de ce legs au motif que la LFCV n’entrait pas dans la catégorie des associations d’intérêt général, privant ainsi d’effet la libéralité consentie au profit de cette association. L’association a donc effectué un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation de la décision d’opposition du préfet. Le litige né de cette affaire a été successivement porté devant la cour administrative d’appel de Paris et le Conseil d’État, appelé à juger si l’activité d’une association dont l’objet est la protection animale revêt un caractère philanthropique, afin de décider si la LFCV exerce une activité d’intérêt général et peut recevoir des libéralités. Pour la cour administrative d’appel ses actions « présentent de par leur objet qui est de mettre fin aux souffrances résultant des expérimentations menées sur les animaux, en sensibilisant le public à ces souffrances et en encourageant la recherche scientifique à développer des méthodes de recherches substitutives permettant l’abandon de l’expérimentation sur l’animal, un caractère philanthropique et d’intérêt général ». Pour le ministère les activités de protection des animaux ne peuvent être assimilées à des activités philanthropiques, lesquelles ne peuvent concerner que les humains conformément à la racine grecque du mot philanthropie, anthropos qui signifie humain. Contre l’avis du rapporteur public, le Conseil d’État adopte cette conception restrictive et conclut que la philanthropie étant réservée aux seuls êtres humains, à l’exclusion des animaux, les activités de l’association principalement consacrées à la lutte contre la vivisection animale ne peuvent être regardées comme ayant un objet à caractère philanthropique au sens du b du 1° de l’article 200 du CGI. En l’absence d’activités propres d’enseignement ou de recherche scientifique, les activités de l’association ne présentaient pas non plus de caractère éducatif ou scientifique. La décision du préfet de Paris de s’opposer à la reconnaissance de l’association LFCV dans la catégorie des associations d’intérêt général pour l’application de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 est donc fondée, conclut le Conseil d’État.

Un legs avec charge

Dans le cas spécifique des legs avec charges, le préfet peut également s’opposer à l’acceptation d’une libéralité dans certains cas. C’est ce que vient préciser le Conseil d’État dans un arrêt du 17 juin 2024 (CE, 10e – 9e ch. réun., 17 juin 2024, n° 471531). Dans le cadre d’un legs, il est en effet possible de prévoir un certain nombre de charges relatives à l’utilisation des biens, à la gestion d’un patrimoine ou à toute autre obligation définie par le testateur dans son testament qui pèseront sur l’OSBL. Le respect de ces charges est une obligation pour accepter le legs. Il convient donc que le testateur veille à ne pas rédiger une charge qui limitera la liberté d’action et l’application de celle-ci réduisant ainsi l’efficacité de l’action de l’OSBL choisi. Si la charge ne peut être exécutée, l’OSBL peut renoncer au legs. l’OSBL peut également exercer une action judiciaire en interprétation du testament afin d’adapter la charge prévue ou une action judiciaire en révision de la condition la charge si elle est impossible à réaliser. Si les charges ne sont pas exécutées, le legs peut également être révoqué. Cette action peut être exercée par les héritiers du testateur pendant une période de 30 ans à partir du jour où ils ont connaissance de l’inexécution de la charge. Dans cette affaire, un legs a été consenti à l’association Fraternité française, une association déclarée en préfecture en 2007 ayant pour objet des actions de bienfaisance a des personnes déshéritées ou dans le besoin. Il s’agit d’un legs universel comprenant des biens meubles et immeubles consentis dans le cadre d’un testament authentique. Avec un legs universel, la personne décédée fait don de la totalité de son patrimoine disponible à un bénéficiaire. Ce legs s’accompagnait de charges : l’association devait donner la jouissance exclusive sans indication de limite de temps, à titre gratuit, de ses quatre biens immobiliers à un parti politique. Cependant la jouissance d’une partie de ces biens était réservée à la nièce de la personne ayant effectué ce legs.

Des charges difficiles à exécuter

En l’espèce, l’association a la capacité juridique à recevoir un tel legs. En effet, au jour du décès de la testatrice, elle a plus de trois ans d’existence et exerce des activités d’intérêt général. Pour le Conseil d’État, le préfet peut s’opposer à la réception du legs si les charges prévues font obstacle à ce que l’association en retire un avantage économique suffisant ; ou si l’association n’est pas en mesure d’exécuter ces charges ou si ces charges sont incompatibles avec l’objet statutaire de l’association. En l’espèce, les charges prévues imposent à l’association de mettre les biens reçus à disposition d’une autre personne morale ce qui paraît incompatible avec le but de bienfaisance de l’association et de mettre à disposition ces biens immobiliers sur un temps long, ne permettant pas à l’association d’en retirer un avantage économique suffisant. La circonstance que le parti politique bénéficiaire de la mise à disposition a donné son accord pour un rachat de son droit de jouissance permettant à l’association de retirer un avantage économique suffisant du legs a été écarté par les juges du fond au motif que ce rachat n’était pas conforme à la volonté de la testatrice. La circonstance que l’association ait obtenue de l’administration fiscale un rescrit mécénat positif ne change pas cette solution, le Conseil d’État considérant que cette prise de position « ne présume en aucune manière de la capacité de l’association à recevoir une libéralité dans les conditions posées par l’article 910 du Code civil ».

Plan