Solidarité fiscale des ex-époux : un nouveau cas de remise gracieuse

Publié le 31/07/2024
Couple, divorce, séparation, dispute, argent
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La loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille a instauré un nouveau cas de remise gracieuse pour l’ex-conjoint ou ex-partenaire de pacs qui se serait vu refuser une demande de décharge de responsabilité fiscale, à condition d’être effectivement séparé et d’être à jour de ses propres obligations déclaratives.

Deux ans après la loi de finances pour 2022 qui a amélioré le cadre de la décharge de solidarité fiscale entre ex-époux et des ex-partenaires de pacte civil de solidarité (pacs), la loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (JORF n° 126 du 1er juin 2024) apporte sa pierre à l’édifice. Son objectif est de mieux encadrer les conséquences patrimoniales de la séparation de couple en cas de violences conjugales en protégeant l’intégrité patrimoniale des victimes de ces violences. Parmi ses mesures, la loi améliore les conditions d’octroi de décharge de solidarité fiscale par l’instauration d’une nouvelle procédure de demande de remise gracieuse.

La solidarité fiscale pendant l’union

Parce qu’elles sont soumises à la déclaration commune d’impôt sur le revenu, les personnes unies par le mariage ou par un pacs forment ensemble un foyer fiscal. Il en va de même au regard de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), s’y ajoutent les couples vivant en concubinage notoire. Ces impôts sont considérés comme des dettes fiscales communes, comme la taxe d’habitation si le couple vit sous le même toit. Comme il s’agit de dettes communes, les conjoints et les partenaires de pacs sont tenus solidairement responsables de leur paiement de l’impôt sur le revenu (CGI, art. 1691 bis) et de l’IFI (CGI, art. 1723 ter-00 B). Jusqu’à présent, cette solidarité est en principe indéfinie : l’administration fiscale peut se tourner vers un seul époux pour lui réclamer l’intégralité de la dette fiscale, au-delà de la part issue de ses propres revenus ou de la fraction de son patrimoine pour l’IFI.

La solidarité après le divorce ou la rupture de pacs

La solidarité fiscale ne prend pas automatiquement fin avec la séparation du couple. Le couple reste solidairement responsable des dettes fiscales communes pendant l’instance de divorce, même après le divorce ou la rupture du pacs. Elle peut perdurer longtemps après que la vie commune a pris fin.

Toutefois, les contribuables divorcés ou dépacsés peuvent solliciter une décharge de paiement de l’impôt commun auprès de l’administration fiscale à condition de répondre à une des situations prévues par la loi à la date de la demande de décharge (CGI, art. 1691 bis).

• Le jugement de divorce ou de séparation de corps a été prononcé ou la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats a été déposée au rang des minutes d’un notaire ;

• la déclaration conjointe de dissolution du pacte civil de solidarité établie par les partenaires ou la signification de la décision unilatérale de dissolution du pacte civil de solidarité de l’un des partenaires a été enregistrée au greffe du tribunal judiciaire ;

• les intéressés ont été autorisés à avoir des résidences séparées ;

• l’un ou l’autre des époux ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité a abandonné le domicile conjugal ou la résidence commune.

Les conditions à la demande en décharge

S’il est dans une de ces situations, le contribuable est recevable à demander la décharge. Elle n’est cependant pas automatique. Trois conditions cumulatives doivent être remplies : rupture de la vie commune, respect des obligations fiscales du demandeur et disproportion entre la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur. Cette dernière condition correspond à une « disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur ». La situation financière et patrimoniale nette de charges du demandeur renvoie à sa capacité de remboursement au regard de ses ressources à la date de la demande. Depuis 2022, cette situation financière et patrimoniale est évaluée par l’administration fiscale sur une période limitée à trois ans, contre dix ans auparavant. Quant aux charges prises en compte, elles intègrent les impôts et taxes de l’année courante, le montant du loyer ou les mensualités de remboursement, les pensions alimentaires, les factures d’énergie, les frais de garde et de scolarité des enfants et, de façon générale, toutes les charges de vie courante.

L’examen de la demande de décharge

L’administration peut recevoir ou rejeter la demande de décharge. En cas de rejet, ou en cas d’absence de réponse des services fiscaux dans le délai de six mois, le contribuable demandeur peut former un recours hiérarchique auprès de l’administration fiscale, et ce, sans condition de délai. Il peut également contester le rejet ou la décision prise sur la demande en décharge en formant un recours contentieux dans le délai de deux mois, à compter de la date d’expiration du délai de réponse de six mois ou de la date à laquelle lui a été notifiée la décision insatisfaisante.

Les contours de la décharge

Selon la nature de l’impôt en jeu, la loi fixe les contours de l’étendue de la décharge que l’administration peut accorder. En matière d’impôt sur le revenu, la décharge est égale à la différence entre le montant de la cotisation d’impôt sur le revenu établie pour la période d’imposition commune et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacs. Les revenus des enfants mineurs du demandeur non issus de son mariage avec le conjoint ou de son union avec le partenaire de pacs sont ajoutés aux revenus personnels du demandeur ; la moitié des revenus des enfants mineurs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacs est ajoutée à la moitié des revenus communs. Les revenus des enfants majeurs qui ont demandé leur rattachement au foyer fiscal des époux ou des partenaires liés par un pacs ainsi que ceux des enfants infirmes sont pris en compte dans les mêmes conditions.

En matière d’IFI, la décharge est égale à la différence entre le montant de la cotisation dû par les époux et les partenaires de pacs et la fraction de cette cotisation correspondant à l’actif net du patrimoine imposable propre du demandeur et à la moitié de l’actif net du patrimoine imposable commun du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacs. Le patrimoine imposable des enfants mineurs du demandeur non issus de son mariage avec le conjoint ou de son union avec le partenaire de pacs est ajouté au patrimoine imposable propre du demandeur ; la moitié du patrimoine imposable des enfants mineurs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité est ajoutée à la moitié du patrimoine imposable commun.

Un nouveau cas de remise gracieuse

La loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille a créé une nouvelle procédure de décharge. Ce dispositif ne prend pas place dans l’article consacré à la décharge de l’article 1691 bis du CGI, mais sous l’article L247du Livre des procédures fiscales. Ce texte est dédié aux remises gracieuses, et aux contribuables ayant fait l’objet d’amendes fiscales, de majorations d’impôts ou d’intérêts de retard de demande, même lorsque leur solvabilité n’est pas en cause remise ou une modération des pénalités, remise totale ou partielle des frais de poursuites et des intérêts moratoires, ou encore une transaction portant atténuation des pénalités susvisées, lorsque celles-ci et, le cas échéant, les impositions principales ne sont pas définitives. Désormais, « l’administration peut également décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d’impositions dues par un tiers. Peut être considérée comme une personne tenue au paiement d’impositions dues par un tiers la personne remplissant les conditions fixées aux 1 et 3 du II de l’article 1691 bis du même code », c’est-à-dire être effectivement séparés et être à jour de ses obligations déclaratives.

Ce dispositif permet au demandeur d’être déchargé d’impôt déjà payé, en l’absence de disproportion marquée entre la dette fiscale dont il est solidairement responsable et sa situation financière et patrimoniale, et donc même s’il s’est vu refuser l’octroi d’une demande en décharge solidaire. S’agissant d’une demande gracieuse fondée sur une situation individuelle, son appréciation est laissée à la libre appréciation de l’administration fiscale.

Sur ce point, au cours des débats parlementaires, le ministre délégué chargé des Comptes publics d’alors, Thomas Cazenave, a indiqué que les commentaires de l’administration fiscale seront publiés avant le mois d’octobre. Il s’est également engagé à ce que les biens issus d’un héritage ne soient plus recherchés par l’administration fiscale lors de la phase de recouvrement de la dette fiscale. Aussi, il a indiqué que les nouvelles demandent seront traitées en lien étroit avec l’administration centrale de la Direction générale des finances publiques pour s’assurer de l’harmonisation des réponses et de la bonne application du nouveau dispositif.

Concernant les intérêts de retard et pénalités consécutifs à la rectification d’un bénéfice ou revenu propre au conjoint ou au partenaire de pacs du demandeur, la loi du 31 mai 2024 prévoit que lorsqu’elle est prononcée, ce nouveau cas de remise gracieuse peut emporter décharge totale de l’obligation de paiement des intérêts de retard et pénalités d’assiette dus par le conjoint. En revanche, lorsque les pénalités et intérêts portent sur la taxe d’habitation sur la résidence secondaire et l’IFI, une proportion peut rester à la charge du demandeur.

Entrée en vigueur de la nouvelle mesure

Ce nouveau cas de remise gracieuse s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, soit le 2 juin 2024, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée.

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