Succession démembrée : la Cour de cassation précise la répartition du passif successoral

Publié le 07/07/2025
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Dans un arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation pose le principe de la ventilation du passif successoral entre le nu-propriétaire et l’usufruitier dans les proportions de chacun, déterminées par le barème légal de l’article 669 du Code général des impôts.

En présence de droits démembrés, y a-t-il lieu, pour déterminer la part nette revenant à chaque ayant droit afin d’asseoir les droits de mutation dus par chacun, de déduire le passif successoral de la seule part du nu-propriétaire ou de l’actif brut successoral ? C’est à cette question que la Cour de cassation vient de répondre, donnant raison à l’administration fiscale : le passif successoral doit être réparti entre les héritiers selon le barème de l’article 669 du Code général des impôts (CGI) (Cass. com., 2 avril 2025, n° 23-22.537).

Les diverses interprétations

À la suite du décès de Monsieur X, son épouse a opté pour l’usufruit de la totalité de la succession de son époux comme lui permet l’article 757 du Code civil, le fils unique de Monsieur X (commun au couple) recueillant la nue-propriété. Dans la déclaration de succession déposée en septembre 2014, la totalité du passif de la succession a été imputée sur la part du fils nu-propriétaire, tenu au paiement de droits à hauteur de 7 185 euros.

En 2017, l’administration fiscale a contesté cette répartition, estimant que le passif de la succession aurait dû être réparti entre les deux héritiers universels. Elle s’appuie sur l’article 870 du Code civil : « les cohéritiers contribuent entre eux au paiement des dettes et charges de la succession, chacun dans la proportion de ce qu’il y prend ». Les services fiscaux ont donc notifié au nu-propriétaire une proposition de rectification portant sur les droits d’enregistrement pour un montant de 3 409 euros, outre intérêts de retard pour un montant de 504 euros. La conjointe survivante étant exonérée de droits de succession, cette interprétation est sans effet sur sa situation.

Le nu-propriétaire a contesté le redressement, l’administration fiscale a rejeté ses observations et maintenu la rectification, délivrant un avis de mise en recouvrement en mars 2018 et une mise en demeure en 17 avril 2018. Le nu-propriétaire s’est acquitté des droits d’enregistrement tout en formant une réclamation contentieuse, laquelle a été également rejetée.

Le 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de Dijon a jugé que la totalité du passif de la succession du défunt est imputable sur la part de l’héritier nu-propriétaire. L’administration fiscale a fait appel. La cour de Dijon a une autre lecture des textes. Elle a considéré que seul le nu-propriétaire doit supporter le passif successoral et que l’usufruitière n’est pas tenue au passif successoral mais seulement aux intérêts générés par ce passif en application de l’article 612 du Code civil (CA Dijon, 5 sept. 2023, n° 21/00745).

L’articulation des textes civils et fiscaux

La Cour de cassation fait une autre interprétation de l’articulation des textes civils et fiscaux en jeu. Côté fiscal : les articles 777 et 669 du CGI. Pour mémoire, l’article 777 du CGI prévoit le tarif et le barème des droits de mutation à titre gratuit pour la part nette revenant à chaque ayant droit. L’article 669 du CGI prévoit, quant à lui, le barème qui détermine la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit en quotité de la valeur de la pleine propriété, en fonction de l’âge de l’usufruitier.

Côté civil, les textes en question sont les articles 612 et 870 du Code civil.

L’article 612 du Code civil, non modifié depuis 1804, porte sur les obligations de l’usufruitier : « L’usufruitier, ou universel, ou à titre universel, doit contribuer avec le propriétaire au paiement des dettes ainsi qu’il suit :

  • On estime la valeur du fonds sujet à usufruit ; on fixe ensuite la contribution aux dettes à raison de cette valeur.
  • Si l’usufruitier veut avancer la somme pour laquelle le fonds doit contribuer, le capital lui en est restitué à la fin de l’usufruit, sans aucun intérêt.
  • Si l’usufruitier ne veut pas faire cette avance, le propriétaire a le choix, ou de payer cette somme, et, dans ce cas, l’usufruitier lui tient compte des intérêts pendant la durée de l’usufruit, ou de faire vendre jusqu’à due concurrence une portion des biens soumis à l’usufruit ».

Quant à l’article 870 du Code civil, il prévoit que « les cohéritiers contribuent entre eux au paiement des dettes et charges de la succession, chacun dans la proportion de ce qu’il y prend ».

De la combinaison de ces textes, la Cour de cassation déduit « qu’en l’absence de partage pur et simple et lorsque l’actif de la succession, grevée d’une dette, a fait l’objet d’un démembrement des droits de propriété, la part nette revenant à l’usufruitier et au nu-propriétaire doit être fixée en répartissant cette dette selon les proportions prévues par l’article 669 du Code général des impôts, lequel institue une règle fiscale spéciale de détermination de la valeur des parts successorales de l’usufruitier et du nu-propriétaire, en vue de leur imposition aux droits de mutation à titre gratuit ».

Elle considère que la cour d’appel de Dijon a violé, par refus d’application, l’article 669 du CGI et, par fausse application, l’article 612 du Code civil, et conclut que l’administration fiscale a fait une juste application de la règle de détermination de la part nette.

La solution dégagée par la Cour de cassation rejoint la pratique notariale, qu’elle a le mérite de sécuriser. La dette doit être répartie entre le nu-propriétaire et l’usufruitier dans les proportions de chacun, déterminées par le barème légal de l’article 669 du CGI. Toutefois, elle opère une distinction entre les obligations civiles de l’usufruitier et ses obligations fiscales. Sur le plan civil, l’article 612 du Code civil met les dettes en capital à la charge exclusive du nu-propriétaire, sans effet sur le plan fiscal, le passif successoral devant être réparti entre les titulaires des droits démembrés.

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