Taxation du capital : le bilan 5 ans après la réforme

Publié le 24/11/2023
Taxation du capital : le bilan 5 ans après la réforme
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France Stratégie publie un nouveau bilan des réformes de la fiscalité du patrimoine de 2018. Le rapport évalue les effets de la réforme sur les décisions d’investissement et l’expatriation d’entrepreneurs.

Cinq ans après son adoption en 2018, la réforme de la taxation du capital est encore sujette à controverse. Dans sa nouvelle évaluation, France Stratégie publie le bilan des effets de la mise en place de la triple réforme :

• mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) ou flat tax, sur les revenus de l’épargne (12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux),

• remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI),

• baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) au taux normal de 25 % à partir de 2022.

(France Stratégie, Comité d’évaluation, des réformes, de la fiscalité du capital, Rapport final, octobre 2023)

La réforme avait pour objectif de soutenir l’investissement privé et la croissance de l’économie française. Qu’en est-il ? Le rapport s’est précisément attaché à deux effets potentiels de la réforme : les décisions d’investissement et l’expatriation d’entrepreneurs après cinq années d’application (« Évaluation des réformes de la fiscalité du capital : Effets sur la création d’entreprises, l’expatriation et la circulation de l’épargne des réformes de la fiscalité du capital », Rapport de l’Institut des politiques publiques n° 47, octobre 2023).

Effet sur la distribution de dividendes

La mise en place de la flat tax responsable du niveau de distribution de dividendes aux actionnaires personnes physiques ? De 2013 à 2017, les distributions de dividendes se sont élevées en moyenne à 14 milliards d’euros par an. Pendant la période de 2018 à 2020, ce volume est passé à 23 milliards d’euros par an. « La forte progression des dividendes déclarés par les ménages est comparable par son ampleur à la chute enregistrée en 2013, au moment où les revenus mobiliers ont été intégrés au barème progressif de l’impôt sur le revenu , selon l’Institut d’études politiques (IPP) qui a mené l’évaluation. Ce sont surtout les entreprises non cotées, contrôlées par des personnes physiques, qui ont procédé à plus de distribution, sans doute car elles ont davantage le pouvoir d’adapter le montant de dividendes versés en fonction de leur fiscalité.

Un effet positif sur la création d’entreprise

Le rapport constate que la réforme à trois piliers (PFU, IFI et IS) a eu un effet positif sur la décision d’entreprendre en France, précisément sur le taux de création d’entreprises, dans les secteurs plus fortement affectés.

L’IPP a démontré que les taux de création d’entreprise et de départs à l’étranger de leurs fondateurs ont été positivement affectés par les réformes du PFU, de l’IS et de l’IFI. « Pour un point de baisse de taux d’imposition, la réforme du PFU conduit à une hausse de 1,25 point du taux de création d’entreprises entre 2016 et 2022, la réforme IS de 1,0 point, et la réforme de l’IFI de 0,3 point ». Ces effets mesurés séparément ne peuvent pas être simplement additionnés bien que les trois réformes soient fortement corrélées.

Les comportements de réinvestissement

Est-ce que l’augmentation des dividendes ou plus-values suite à l’augmentation de la rentabilité du capital après impôt engendrée par ces réformes, a entraîné un comportement de réinvestissement dans les entreprises ? Par vraiment selon L’IPP. Les ménages qui ont reçu un choc positif de liquidités (plus-values dividendes ou dividendes de plus de 100 000 euros) ne les ont pas réinvestis sous forme de participation significative (supérieure à 10 % du capital) dans une société non détenue préalablement. En revanche, l’IPP constate une légère augmentation du taux d’investissement dans les autres sociétés détenues par le foyer fiscal bénéficiaire de fortes plus-values.

Les expatriations ralentissent

Le second point étudié est l’effet des réformes sur l’expatriation des Français, notamment des dirigeants d’entreprise. Depuis 2018, la France compte plus de retours de contribuables soumis à l’IFI que de départs à l’étranger : 380 retours contre 260 départs en moyenne de 2018 à 2021. Le flux était inversé pour les contribuables soumis à l’ISF (370 retours contre 950 départs en moyenne de 2011 à 2016). Le rapport en conclut que les réformes ont eu un impact statistiquement significatif à la baisse pour les départs, et à la hausse pour les retours, notamment pour le cas de la réforme IFI.

Si ces effets sont certes mesurés, ils ont toutefois une portée plus relative en valeur absolue. Le taux de départ est initialement faible (0,2 %), et les effets des réformes conduisent à des effets de magnitude très faible également : une baisse d’un point du taux d’imposition à l’IS implique une réduction du taux de départs de 0,02 point, ou de 0,008 point pour la réforme IFI.

L’impact des expatriations sur les entreprises

Par ailleurs, l’IPP s’est penché sur les conséquences de l’expatriation des actionnaires de référence sur le développement des entreprises. Il constatait que ces départs entraînent en moyenne une baisse du bilan et du chiffre d’affaires de 15 %, une baisse de la masse salariale de 25 % et une baisse de la valeur ajoutée de 20 %. Là encore, l’effet agrégé des expatriations d’actionnaires de référence reste faible. Avec un taux de départ de l’ordre de 0,2 %, les effets sur la perte de valeur ajoutée ne représentent que 0,04 % de la valeur ajoutée produite par les entreprises contrôlées par des personnes physiques. « Si on prend les estimations de l’impact des réformes sur la réduction des départs et l’ampleur de ces effets, on obtient un impact positif des réformes fiscales sur le tissu productif de l’ordre de 0,01 %, soit un effet agrégé dont la magnitude reste très faible », relativise l’IPP.

La réforme de l’ISF sur les entreprises

En raison du mécanisme de plafonnement, l’ISF taxait peu les plus fortunés. Aussi, alors que le taux marginal de l’ISF s’établissait facialement en 2017 à 1,5 %, le taux d’imposition effectif pour les 0,001 % plus fortunés était seulement de 0,1 %, par rapport à l’ensemble de leur patrimoine du fait du plafonnement. D’ailleurs, le plafonnement profitait surtout aux plus fortunés : 84 % de ceux déclarant un patrimoine taxable de 100 à 200 millions d’euros étaient plafonnés, déclarant des revenus ne représentant que 0,2 % de leur patrimoine. À l’opposé, moins de 3 % des assujettis déclarant moins de 3 millions de patrimoine étaient plafonnés. Selon l’IPP, le dispositif aurait eu un coût budgétaire de l’ordre de 2 milliards d’euros, soit le double du coût statique estimé par la DGFIP.

Sur les entreprises, la réforme de l’ISF ne semble pas avoir d’effets. Alors qu’il était reproché à l’ancien impôt de susciter une politique de distribution pour permettre aux actionnaires qui ne bénéficient pas de l’exonération des biens professionnels de s’acquitter de leur cotisation. Des versements susceptibles d’affecter en retour l’investissement et la performance des entreprises. L’IPP a mesuré que l’ISF représentait en moyenne 1 % du revenu des actionnaires, cette part étant élevée pour 10 % des ETI, dans lesquelles l’ISF représentait plus de 15 % du revenu fiscal de référence des actionnaires. À la lumière des estimations réalisées par l’IPP, il semble difficile de mettre en évidence un effet sur la distribution de dividendes.

Le remplacement de l’ISF par l’IFI

La suppression de l’ISF n’a pas bénéficié spécifiquement aux plus fortunés. En effet, les deux tiers des foyers assujettis à l’ISF en 2017 n’étaient pas assujettis à l’IFI en 2018. La réforme a également eu un effet sur le montant des cotisations. Sur l’ensemble des contribuables ISF le montant d’impôt sur la fortune a baissé de 6 500 euros environ (1 600 euros en 2018 contre 8 000 euros en 2017), soit 3,5 % de leur RFR. Les contribuables restés à l’IFI ont vu leur impôt sur la fortune passer de 10 000 euros à 5 000 euros en moyenne, soit une baisse de 1,6 % de leur RFR. Les sortants de l’IFI sont passés de 7 000 euros à 0 euro (baisse de 5 % de leur RFR). Aujourd’hui, le plafonnement continue aujourd’hui à bénéficier à environ 2 000 foyers fiscaux, 1,5 % des assujettis à l’IFI, mais à environ 50 % de ceux déclarant plus de 20 millions d’euros de patrimoine immobilier net taxable.

Autrement enseignement : sur les foyers anciennement assujettis à l’ISF, l’étude ne constate pas de réorientation de leur patrimoine en défaveur de l’immobilier contrairement à l’un objectif de la réforme.

Enfin, le coût budgétaire du remplacement de l’ISF par l’IFI serait, en 2022, vraisemblablement supérieur à 4 milliards d’euros. Sous l’effet de l’augmentation des prix de l’immobilier, les recettes d’IFI ne cessent de croître, de 1,29 milliard d’euros en 2018, à 1,83 milliard en 2022 soit une progression de 42 % en quatre ans. Plus d’assujettis (+ 23 %, de 133 000 à 164 000), et un impôt moyen en hausse (+ 15 %, de 9 700 à 11 200 euros). En l’absence de réforme, les recettes de l’ISF auraient été égales à 6,3 milliards d’euros en 2022, un solde négatif de 4,5 milliards d’euros avec l’IFI.

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