Taxe foncière : premier pas vers une réforme des valeurs locatives
Le collectif budgétaire lance la révision des bases cadastrales prévue pour une première imposition en 2026 ! Le point sur les enjeux d’une telle réforme.
Le calendrier de la réforme des valeurs locatives, qui constituent la base d’imposition du calcul de la taxe foncière ainsi que de la taxe d’habitation, jusqu’à ce que ce dernier cet impôt soit totalement supprimé en 2023, a été programmé dans la loi de finances pour 2020. Les valeurs locatives foncières qui servent de base aux impôts locaux deviennent déconnectées de la réalité du marché locatif et entraînent de ce fait des répartitions d’impôts entre les contribuables qui peuvent être inéquitables. Il apparaît donc nécessaire de revoir ces valeurs locatives pour qu’elles correspondent mieux aux loyers actuels, une réforme qui impactera à la hausse ou à la baisse le montant de la taxe foncière versé par des millions de propriétaires. Ce grand chantier débutera par une phase de collecte d’informations au premier au premier semestre 2023, afin d’obtenir un maximum de données sur les valeurs réelles du marché locatif pour évaluer au mieux ces valeurs, grâce un dispositif imposant aux propriétaires bailleurs de locaux d’habitation de déclarer à l’administration les loyers pratiqués. Ces données permettront de préparer avant le 1er septembre 2024, un rapport destiné à présenter la réforme aux contribuables et aux collectivités territoriales. Si la réforme est préparée à euro constant elle devrait cependant sérieusement remanier les cartes de l’impôt comme l’avait déjà montrée l’expérimentation menée en 2015 dans cinq départements, une phase de test à laquelle le législateur fait référence. Afin de tenir compte des éventuelles disparités de loyers entre les locaux d’un même immeuble, des mécanismes d’ajustement pourront être mis en place. En outre, des dispositifs d’accompagnement, comme des mécanismes de lissage pourront permettre d’atténuer les effets de la révision des valeurs locatives. En 2025, les nouveaux secteurs et tarifs devant servir de base aux nouvelles valeurs locatives devraient être choisis avant que la réforme ne devienne concrète pour le contribuable à partir du 1er janvier 2026.
La valeur locative cadastrale
Notion fondamentale de la fiscalité directe locale, la valeur locative cadastrale sert à calculer les bases d’imposition des taxes directes locales. Elle est fixée par les services du cadastre avec le concours de la commission communale des impôts directs. Lors de la révision générale de 1970, après une analyse des déclarations souscrites par chaque propriétaire, un zonage géographique de la collectivité organisé en zones locatives homogènes a été fixé et des valeurs de référence ou de comparaison ont été établies dans chaque zone, pour chaque type et catégorie de biens (bâti, non bâti, locaux commerciaux et industriels). Par la suite, les valeurs locatives cadastrales ont été régulièrement corrigées par des coefficients d’actualisation et de revalorisation nationaux, pour tenir compte de l’érosion monétaire et de l’évolution des loyers. La valeur locative cadastrale des locaux d’habitation correspond au loyer annuel normal de cet immeuble lorsqu’il est loué aux conditions du marché. Elle est calculée par unité d’évaluation, l’unité étant le local, c’est-à-dire une propriété ou fraction de propriété faisant l’objet d’une utilisation distincte. La révision de 1970 a permis de choisir pour chaque zone les locaux représentatifs de chaque catégorie de locaux présents sur le territoire communal, afin de constituer une nomenclature de classement et fixer, suivant le cas, des tarifs (des valeurs au mètre carré pondéré) ou des valeurs locatives de référence par catégorie de local. La valeur locative cadastrale résulte de l’application de neuf paramètres qui interviennent dans la fiche de calcul : la surface totale des pièces et annexes affectées à l’habitation, la catégorie du logement, l’importance du logement, la surface des dépendances, le degré d’entretien, la situation générale, la situation particulière, l’existence ou non d’un ascenseur, l’équipement et le confort mesurés en équivalences superficielles. Pour obtenir la valeur locative cadastrale du local, on applique donc un tarif d’évaluation à la surface pondérée totale. Initialement le législateur a prévu que les valeurs locatives cadastrales, fixées à la date de référence du 1er janvier 1970 pour les propriétés bâties ou du 1er janvier 1961 pour les propriétés non bâties seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année pour prendre en compte l’évolution des loyers. En réalité, cette actualisation n’a eu lieu qu’une seule fois en 1980 permettant de mettre en place un premier coefficient d’actualisation 1980 reflétant l’évolution du marché locatif au niveau départemental entre 1970 et 1980. Chaque année à partir de 1981, on y a ajouté un coefficient de revalorisation nationale fixé en loi de finances), correspondant à l’évolution des loyers constatée entre le 1er janvier 1978 et le 1er janvier de l’année d’imposition. C’est cette valeur locative actualisée et revalorisée qui sert pour le calcul des bases.
Mise à jour des bases cadastrales
Les valeurs locatives sont mises à jour pour tenir compte des modifications qui concernent les biens. Cinq types de changements sont susceptibles de modifier la valeur locative. Pour les constructions nouvelles ou reconstructions, il s’agit de l’édification d’un bâtiment pour la première fois sur une parcelle non bâtie ou d’un bâtiment reconstruit sur l’emplacement d’un bâtiment démoli. Les changements de consistance occasionnent également une mise à jour des bases cadastrales.
S’agissant du bâti, ce sont les transformations apportées à la composition d’un local préexistant et ayant pour effet d’en modifier le volume ou la surface, comme les additions de construction, les démolitions totales ou partielles, la réunion ou la division de locaux. S’agissant du non bâti, ce sont les modifications de la superficie d’une parcelle non bâtie due à des phénomènes naturels ou à des travaux, comme l’endigage, l’érosion ou les alluvions. Il en est de même des changements d’affectation.
S’agissant du bâti, on peut citer le passage d’un groupe de locaux à un autre, par exemple un local commercial qui devient local d’habitation ou bien la perte ou l’obtention d’une exonération permanente, comme par exemple un bâtiment rural qui devient local d’habitation. S’agissant du non bâti, c’est le passage d’une parcelle d’un groupe de nature de culture à un autre groupe, comme les plantations de bois ou l’arrachage de vignes. Les changements de caractéristiques physiques nécessitent également une mise à jour des valeurs cadastrales. S’agissant du bâti, ce sont les travaux d’amélioration importants sans incidence sur la superficie ou le volume du local, comme les installations d’équipements nouveaux, les gros travaux de remise en état ou l’aménagement de combles en pièces habitables.
S’agissant du non bâti, ce sont les changements entraînant une amélioration ou une dépréciation durable, comme l’irrigation, le drainage ou l’arasement des talus. Il s’agit également des changements d’environnements. S’agissant du bâti, ce sont les phénomènes extérieurs affectant l’environnement immédiat de la construction et entraînant des avantages ou des inconvénients pour les occupants. Ce sont la réalisation d’opérations d’urbanisme ou d’équipements collectifs, l’implantation ou la suppression d’établissements générateurs de nuisances.
S’agissant du non bâti, ce sont les phénomènes extérieurs affectant l’environnement immédiat de la parcelle non bâtie comme la création de chemins. Les constructions nouvelles, les changements de consistance et les changements d’affectation doivent être déclarés par le propriétaire auprès du service des impôts fonciers (CDIF, SIP…) du lieu de situation des biens dans les 90 jours de la réalisation définitive du changement.
Selon la nature des changements, l’obligation déclarative se traduit par le dépôt d’une déclaration spécifique pour les constructions nouvelles, pour les changements de consistance et pour les changements d’affectation. En revanche, les changements de caractéristiques physiques et d’environnements ne sont pas soumis à obligation déclarative. Ils sont constatés d’office par le service au vu d’informations provenant de réclamations de propriétaires ou de locataires, de demandes de maires, de la commission communale des impôts directs ou de toute autre source.
La phase test de 2015
La révision des valeurs locatives des locaux d’habitation était déjà au programme de la loi de finances rectificative pour 2013 (L. n° 2013-1279, 29 déc. 2013, de finances rectificative pour 2013, art. 74). Elle a donnée lieu à une première une opération test initiée dans cinq départements dont le gouvernement a fixé la liste par arrêté (A. du 18 déc. 2014, JO 26 déc. 2014, p. 22284) : les départements de la Charente-Maritime (17), de l’Orne (61), de Paris (75), du Nord (59), et du Val-de-Marne (94). Pour que cette expérimentation soit représentative de la diversité de situation du marché selon les départements, il était nécessaire de choisir des zones très urbaines, des zones rurales, des départements comportant de nombreuses communes, des zones très touristiques… Ces critères ont présidé au choix des cinq départements retenus pour leur diversité. Le département de la Charente-Maritime, combine ruralité et caractéristiques touristiques. Le Nord est un département mixte, à la fois urbain et rural. L’Orne constitue un département fortement rural. Paris, présente une très forte densité de locaux, essentiellement des appartements. Enfin, le Val-de-Marne est un département périurbain.
Des gagnants et des perdants
Cette expérimentation avait pour objectif de faire le point sur les valeurs actuelles du marché locatif et de mesurer les écarts avec les valeurs locatives utilisées aujourd’hui, qui datent de 1970. Il a donné lieu à un rapport retraçant et évaluant les conséquences de cette révision pour les contribuables ainsi que pour les collectivités territoriales et l’État. Ce rapport a précisé les modalités de révision de ces bases à produit fiscal constant pour les collectivités locales et mesuré les potentiels transferts de fiscalité entre les contribuables. Les conclusions de cette première phase test ont été sans ambiguïté. Une révision des valeurs locatives des locaux d’habitation engendre des transferts de charge entre différents contribuables. Ces transferts dépendront in fine des paramètres précis qui seront retenus par le législateur, et en particulier des modalités de transition. Cependant, on observe assez systématiquement qu’au sein des sous-groupes maisons et appartements les tarifs des locaux de petites surfaces sont plus élevés que ceux des locaux de grandes surfaces. Ainsi, pour les appartements, les valeurs locatives issues du travail mené dans les cinq départements augmentent de 125 %, alors que pour les maisons d’habitation, elles augmentent de 185 %. Pour les petits appartements, l’augmentation serait de 223 %. Les écarts sont donc importants et il en va de même pour les maisons. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais cet effet tend à être renforcé pour les appartements tandis qu’il serait atténué pour les maisons. En moyenne les grandes maisons gagneraient à cette réforme tandis que les petits appartements y perdraient. En effet, la valeur du prix au mètre carré des petites surfaces est plus importante que la valeur au mètre carré des grandes surfaces d’habitation. Cependant, les locaux sont classés par catégorie de taille : pour chaque catégorie, il y aura un prix au mètre carré, ce qui devrait permettre de modérer cet effet.
La question du logement social devrait faire l’objet d’une attention particulière. Deux scénarii ont été systématiquement expérimentés. Dans le premier scénario les loyers des bailleurs sociaux sont exclus de la détermination des valeurs par secteurs et tarifs. Dans ce scénario, la valeur locative des logements sociaux est établie à partir des logements comparables du parc privé. Dans le deuxième scénario, ceux-ci participent à l’élaboration d’une sectorisation et d’une grille tarifaire spécifiques, différentes de celles établies sur la base des informations collectées auprès des seuls propriétaires. Le deuxième scénario apparaît bien plus favorable pour les logements sociaux, puisque les valeurs locatives sont établies sur la base des loyers constatés pour cette seule typologie de locaux. Les valeurs locatives des logements sociaux augmenteraient ainsi beaucoup moins que celles des logements du parc privé. Toutefois, il apparaît que cette deuxième méthode pose davantage de problèmes opérationnels et pose plus généralement la question de la juste contribution foncière pour les propriétaires du parc social, qui devra s’articuler avec la préservation des équilibres économiques du logement social. À l’issue de cette phase de test, le processus de révision a été mis en sommeil. Il est désormais relancé.