TVA : réforme en suspens pour les auto-entrepreneurs

Bercy a annoncé la suspension jusqu’au 1er juin de la réforme des seuils applicables en matière de franchise de TVA. Une bonne nouvelle pour les auto-entreprises particulièrement inquiètes des conséquences d’une telle réforme.
La loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 a réformé le régime de franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en France, en créant un plafond unique à 25 000 euros de chiffre d’affaires.
Une mesure de simplification pour les entreprises
La franchise en base de TVA est un dispositif qui, toutes conditions remplies, dispense les entreprises de la déclaration et du paiement de la TVA sur les prestations ou ventes qu’elles réalisent. La franchise en base de TVA est destinée à alléger les obligations fiscales des petites entreprises. Ce dispositif fiscal régi par les articles 293-0 B à 293 F du Code général des impôts permet aux petites entreprises, quels que soient leur régime d’imposition et leur forme juridique, d’être exonérées du paiement de la TVA, à la condition que leur chiffre d’affaires annuel national ne dépasse pas des seuils fixés par Bercy. Les entreprises concernées ne sont pas redevables de la TVA et n’ont pas de déclaration de TVA à faire. En contrepartie, ils ne peuvent pas déduire la TVA qu’elles ont acquittée sur les achats réalisés pour les besoins de leur activité.
La franchise de TVA en pratique
Lorsque l’un des plafonds de chiffre d’affaires pour les opérations de l’année en cours est dépassé, la franchise cesse de s’appliquer pour les opérations intervenant à compter de la date de dépassement. Les entreprises qui relèvent de la franchise en base TVA et qui facturent en France, peuvent faire figurer sur la facture la mention « TVA non applicable – article 293 B du CGI ». Il est possible d’activer la soumission à la TVA même si l’activité respecte les seuils de chiffre d’affaires. En activant cette option, l’entreprise peut déduire la TVA sur vos achats. Elle prend effet dès le premier jour du mois au cours duquel elle est déclarée. Cette option doit être maintenue pendant deux années consécutives et est reconduite par tacite reconduction, sauf dénonciation auprès du service des impôts des entreprises (SIE). Si l’entreprise a bénéficié d’un crédit de TVA, l’option est obligatoirement reconduite pour une durée de deux ans (article 293 F du CGI). En cas de sortie du régime de la franchise en base de TVA les opérations effectuées sont soumises à la TVA dès le premier jour de dépassement et le droit à déduction de la TVA peut être exercé sur les dépenses intervenues dès que le professionnel devient redevable de la TVA.
La réforme de 2024
Afin d’harmoniser les règles applicables au sein de l’Union européenne, la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 avait déjà procédé à une refonte du régime de la franchise en base. Cette réforme a eu pour objectif de transposer en droit interne la directive UE/2020/285 du 18 février 2020, dont l’objet est d’harmoniser au sein de l’UE les règles applicables aux petites entreprises à compter de 2025. Le décret n° 2024-1195 du 21 décembre 2024 a donc défini de nouvelles règles pour le régime de franchise en base de TVA, tout en alignant ces dispositions sur la réglementation européenne. Ces nouveaux seuils de franchise en base applicables au 1er janvier 2025 sont fixés à :
- 85 000 € au lieu de 91 900 € pour les entreprises réalisant des activités de négoce ou des prestations d’hébergement ;
- 37 500 € au lieu de 36 800 € pour les entreprises réalisant des prestations de services autres que les ventes à consommer sur place et les prestations d’hébergement.
- 50 000 € au lieu de 47 500 € pour les activités spécifiques des avocats, auteurs et artistes-interprètes
- 35 000 € au lieu de 19 600 € pour les autres activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes
Les règles de franchissement de seuil ont également été réformées
Si ces seuils sont dépassés, la franchise en base continuera à s’appliquer l’année du dépassement à condition toutefois de ne pas dépasser certains seuils majorés.
Ces seuils majorés ont, quant à eux, été fixés à :
- 93 500 € au lieu de 101 000 € pour les entreprises réalisant des activités de négoce ou des prestations d’hébergement ;
- 41 250 € au lieu de 39 100 € pour les entreprises réalisant des prestations de services autres que les ventes à consommer sur place et les prestations d’hébergement.
- 55 000 € au lieu de 58 600 € pour les activités spécifiques des avocats, auteurs et artistes-interprètes
- 38 500 € au lieu de 23 700 € pour les autres activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes
Les règles de dépassement de seuils ont également été réformées. Ainsi le dépassement du seuil majoré entraîne désormais l’assujettissement à la TVA dès la date de dépassement. Les assujettis concernés deviennent redevables de la TVA pour les opérations effectuées à compter de la date du dépassement. De même, le dépassement du seuil de base entraîne l’assujettissement à la TVA à compter du 1er janvier de l’année suivante. Le mécanisme de maintien de la franchise l’année suivant celle du dépassement, au titre des deux premières années de franchissement de la limite ordinaire, à condition que le chiffre d’affaires n’excède pas la limite majorée, a été supprimé. En outre, le mécanisme d’actualisation triennale des seuils de la franchise a également été supprimé et les seuils fixés sont donc fixes.
Les règles à l’international
Avec la réforme les règles en matière de franchise de TVA s’appliquent sur un territoire plus étendu. Jusqu’alors, les entreprises françaises ne bénéficiaient de la franchise en base de TVA que pour leurs opérations réalisées en France. Si elles réalisaient des opérations entrant dans le champ d’application de la TVA d’un autre État membre, elles devaient donc s’identifier à la TVA dans cet État et facturer cette TVA à leurs clients. Et, elles ne pouvaient pas bénéficier de la franchise en base que cet État étranger a pu prévoir pour les entreprises résidentes. Depuis le 1er janvier 2025, les entreprises françaises peuvent bénéficier du régime de la franchise en France, ainsi que dans les autres États membres de l’Union européenne à condition de ne pas dépasser les seuils fixés par la France pour les opérations réalisées en France et un plafond global de recettes dans l’Union européenne de 100 000 € HT par an (CGI, art. 293 B bis, I-1°). À cet effet, l’entreprise doit solliciter un numéro de TVA intracommunautaire à son service des impôts des entreprises, remplir les formalités prévues par l’article 293 B ter du CGI et déclarer, pour chaque trimestre civil, le montant des ventes de biens ou de services réalisées dans les autres États membres de l’Union européenne (CGI, art. 293 B ter nouveau).
Pourquoi une nouvelle réforme ?
Afin de réduire les distorsions de concurrence entre professionnels qui exercent en franchise de TVA et ceux qui y sont soumis pour une même prestation de services ou de travaux, le législateur a mis en place une nouvelle réforme dans le cadre de la loi de finances pour 2025. Bercy précise par ailleurs qu’une telle réforme était rendue indispensable en raison d’une évolution importante des règles européennes en matière de TVA qui s’applique depuis le 1er janvier 2025. L’article 10 du projet de loi de finances pour 2025 prévoyait, en effet d’unifier et d’abaisser ces différents seuils et de les fixer à :
- 25 000 € pour le seuil de base ;
- 27 500 € pour le seuil majoré.
Ces nouveaux plafonds devaient s’appliquer à l’ensemble des secteurs d’activité (ventes, prestations de services, etc.) et ce, dès le 1er mars 2025.
Une levée de boucliers
Le texte est donc susceptible de s’appliquer à quelque 2,5 millions d’entrepreneurs mais aussi à de petites associations, etc. Pour Bercy cette réforme « ne remet en aucune façon en cause le régime des micro-entrepreneurs et les avantages fiscaux et sociaux associés. Le gouvernement souhaite préserver ce régime essentiel au dynamisme de l’entrepreneuriat de notre pays, avec 2,4 millions d’entreprises bénéficiaires », précise à cet égard le ministère. La réforme a été présentée le 1er décembre 2024 à l’initiative du gouvernement Barnier et a été adoptée au Sénat, puis par la commission mixte paritaire. « Si cette mesure avait pu être discutée ces précédents mois, notamment dans le cadre des réflexions engagées lors des assises de la simplification en 2023, elle n’a pas donné lieu à une concertation formelle avec l’ensemble des parties prenantes », a concédé Bercy face à la levée de boucliers à laquelle à dû faire face ce projet de réforme. L’UNAPL, l’organisation professionnelle représentant les professions libérales, a appelé à un moratoire et une concertation d’urgence. L’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) a, quant à elle, regretté « une mesure désastreuse pour les micro-entrepreneurs et la dynamique entrepreneuriale en France ».
L’exemple des écrivains
Nombre de secteurs regrettaient qu’une telle uniformisation ne reflète pas leurs particularités. Ainsi, le Conseil Permanent des Écrivains (CPE), faisait valoir que les auteurs bénéficient depuis longtemps de seuils spécifiques correspondant à l’économie de leur secteur. La réforme risquait de mettre en péril leurs activités. En effet « l’ajout de la TVA aux factures des auteurs ayant des activités proposées par des diffuseurs qui ne récupèrent pas la TVA risquerait d’alourdir de façon sensible le coût de leurs interventions, au point de remettre celles-ci en cause ; ou de provoquer une diminution de leur rémunération dans un contexte de précarité déjà importante ». Le CPE s’alarmait également des modalités d’application d’une telle réforme, soulignant qu’un revenu de 25 000 euros est trop faible pour envisager la gestion administrative de la TVA par un expert-comptable, services auxquels peuvent avoir recours les auteurs dont les revenus dépassent 50 000 euros. « Ce seuil unique de 25 000 euros, qui ne tient pas compte des spécificités propres à l’activité artistique, représenterait ainsi une charge difficilement supportable pour les auteurs et les autrices et risquerait de freiner considérablement la création », concluait-il.
Recul du gouvernement et phase de concertation
Quelques heures après l’adoption de la nouvelle loi de finances, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard, a annoncé la suspension de cette réforme le temps d’une phase de concertation. Celle-ci a été organisée sous l’égide de la ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l’Économie sociale et solidaire, Véronique Louwagie, entre le 7 février et le 28 février. Dans le cadre de cette grande concertation « les fédérations professionnelles et les parlementaires ont pu exprimer leurs préoccupations, attentes et suggestions. Cette consultation, désormais achevée, a permis de réunir plus d’une cinquantaine de fédérations professionnelles. Toutes les fédérations qui en ont fait la demande ont été entendues », précise Bercy dans un communiqué de presse, daté du 28 février 2025.
La réforme est suspendue jusqu’au 1er juin 2025
Les positions exprimées par les différents acteurs au cours de ces consultations sont très variées et souvent nuancées. Certaines fédérations soulignent en particulier que leurs acteurs représentés ne sont pas en capacité de répercuter la TVA. Toutefois, la majorité des fédérations se déclare neutre ou favorable à la réforme, considérant qu’elle permet de corriger les iniquités de concurrence que la situation antérieure générait. Certaines fédérations ont mentionné de possibles pistes d’amélioration ou demandé la mise en place de mesures d’accompagnement afin de remédier aux inquiétudes exprimées. Pour tenir compte de la diversité des positions exprimées, le gouvernement proposera dans les prochains jours des adaptations de la mesure prise en loi de finances 2025. En attendant cette adaptation, le gouvernement a décidé de suspendre la réforme jusqu’au 1er juin afin de travailler avec les acteurs et les parlementaires à des réponses adaptées aux préoccupations exprimées lors de cette concertation. Durant cette période, les entreprises et autres organismes concernés par cette réforme ne sont pas tenus d’effectuer les nouvelles démarches déclaratives en matière de TVA.
Référence : AJU017d0
