TVA sur marge : suite et fin ?
Le feuilleton de la TVA sur marge applicable à une cession de terrains à bâtir issus d’une division parcellaire de terrains bâtis connaît un nouvel épisode. Retour sur une règle controversée.
Les ventes d’immeubles soumises à TVA relèvent d’une TVA qui peut être calculée soit sur le prix de cession, soit sur la marge, conformément aux règles issues de la réforme de la TVA immobilière de 2010. L’article 268 du Code général des impôts (CGI) prévoit un régime de TVA sur la marge réalisée par le cédant lorsque l’acquisition initiale réalisée par ce dernier n’a pas ouvert droit à déduction de TVA, applicable de plein droit pour les cessions de terrains à bâtir et sur option sur les cessions d’immeubles achevés depuis plus de 5 ans. La règle nationale correspond à la transposition en droit interne de l’article 392 de la directive communautaire du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, qui prévoit que les États membres peuvent choisir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat, ce qui a été le cas de la France.
Ainsi, pour la livraison d’un terrain à bâtir, si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix exprimé avec les charges qui s’y ajoutent et soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain, soit la valeur nominale des actions ou parts qu’il a reçues en contrepartie des apports en nature effectués.
Cependant le champ d’application de ce régime dérogatoire de la TVA sur marge comporte un certain nombre d’incertitudes. Et les cessions de terrains à bâtir concentrent un grand nombre de ces difficultés. Ce sujet a donné lieu ces dernières années un grand nombre de prises de position divergentes. Le Conseil d’État (CE, 3e et 8e ch. réun., 11 oct. 2022, n° 464561) vient de confirmer que le régime de la TVA sur marge n’était pas applicable à une cession de terrains à bâtir issus de la division parcellaire de terrains bâtis.
La doctrine de Bercy
Le législateur, pour déterminer le périmètre afférent à chacun de ces deux modes de calcul, a opté pour un critère unique, relatif au régime fiscal appliqué lors de l’acquisition initiale des biens. L’administration fiscale, a, quant à elle, ajouté une condition pour l’application du régime de la TVA sur marge, en exigeant que la qualification juridique et physique des biens ne soit pas modifiée entre leur acquisition et leur revente. Elle a donc affirmé à de nombreuses reprises que lorsque des parcelles bâties sont transformées, après démolition, en terrains à bâtir, la cession de ces terrains relève de la TVA établie sur le prix total de vente. (Rep. Min. L. de La Raudière, JOAN. du 30 août 2016, n° 94061 ; Rep. Min. O. Carré, JOAN. du 30 août 2016, n° 91143 ; Rep. Min. D. Bussereau, JOAN du 20 septembre 2016, n° 96679 ; Rep. Min. G. Savary, JOAN du 20 septembre 2016, n° 94538). Dans la mesure où la TVA sur marge est dérogatoire, l’administration fiscale a dans ce cadre précisé que le bien revendu doit être identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique. Bercy a cependant assoupli sa position dans une réponse ministérielle de 2018 (Rep. Min. Vogel, JO Sénat du 17 mai 2018, n° 04171) en admettant par tolérance l’application du régime de la marge à la revente d’un bien acquis sans ouvrir droit à déduction par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente en plusieurs lots. Seul subsistait le critère d’identité juridique du bien. En 2019 (Rep. Min. O. Folarni, JOAN du 24 septembre 2019, n° 01835), l’administration physique a précisé que dans ce cadre, la transformation d’un terrain bâti en terrain à bâtir, rend impossible l’application du régime d’exception de la TVA sur marge.
La jurisprudence du Conseil d’État
Le juge administratif rappelle dans cette nouvelle jurisprudence que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée prévues par l’article 268 du CHI, lues à la lumière de celles de la directive2006/112/CE du 28 novembre 2006, dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l’objet d’une division parcellaire en vue d’en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d’assiette du bâtiment.
Dans cette affaire, le Conseil d’État conclut qu’en se fondant, pour juger que les terrains à bâtir objets des cessions en litige avaient été acquis en cette même qualité par la société auprès de leurs anciens propriétaires, sur la seule circonstance que la division parcellaire dont ces terrains procédaient avait été autorisée de façon suffisamment précise et détaillée préalablement à cette acquisition, sans rechercher s’il ressortait des actes de vente que ces terrains avaient été acquis par la société comme terrains à bâtir, distinctement des terrains supportant des constructions, la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 7 avril 2022, n° 20BX00181) a commis une erreur de droit. Le juge d’appel avait en effet prononcé la décharge de ces rappels d’impositions, faisant droit aux demandes de la société qui exerçant une activité de marchand de biens, a procédé au cours des années 2012, 2013 et 2014 à des cessions de terrains à bâtir issus de la division parcellaire de terrains bâtis qu’elle a placées, pour leur assujettissement à la TVA, sous le régime de la marge. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration, estimant que ces terrains n’avaient pas été acquis par l’intéressée en qualité de terrains à bâtir, a remis en cause l’application de ce régime et a mis à la charge de la société des rappels de TVA.
Une application de la jurisprudence Promialp
Le Conseil d’État fait application dans cette affaire de la jurisprudence Promialp, relative aux opérations de densification réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs. Avec cet arrêt, la haute juridiction s’est prononcée en faveur d’une condition d’identité entre l’acquisition et la revente du bien, confirmant ainsi la position de l’administration fiscale (CE, 27 mars 2020, n° 428234). Cet arrêt a d’autant plus surpris les commentateurs qu’en première instance et en appel, le juge administratif avait jugé à plusieurs reprises que l’appréciation du mode de calcul de la TVA doit dépendre de la seule condition fixée par la loi, indépendamment de tout changement potentiel de caractéristique du bien entre la date d’achat et celle de la revente. Dans cette affaire, le juge d’appel avait validé l’application de la TVA sur la marge à la revente, considérant que la modification des caractéristiques physiques et de la qualification juridique du bien entre l’acquisition et la revente était sans incidence (CAA Lyon, 20 décembre 2018, n° 17LY03359). Pour le Conseil d’État, il résulte des dispositions de droit interne, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur. Depuis, le Conseil d’État a plusieurs fois réaffirmé cette solution (v. par exemple, CE, 1er juillet 2020, n° 431641, SARL RGMB et CE, 1er juillet 2020, n° 435463, EURL Immoxine).
L’exigence d’identité juridique confirmée par la jurisprudence communautaire
En outre, cet arrêt est conforme à la jurisprudence de la CJUE (CJUE, 30 septembre 2021, Icade Promotion SAS, aff. C-299/20) qui a conclu à la nécessité d’une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu pour que le régime de la TVA sur la marge puisse être appliqué.
Le juge communautaire s’est prononcé dans le cadre d’une question préjudicielle destinée à sécuriser l’interprétation du régime de la TVA sur marge applicable terrains, acquis non bâtis, ayant fait l’objet avant leur revente d’une division parcellaire et de travaux de viabilisation (CE, 25 juin 2020, n° 416727, Icade Promotion Logement). Interrogé sur la condition tenant à l’identité entre le bien revendu et celui qui avait été acquis, le juge communautaire a précisé que l’article 392 de la directive communautaire du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA exclut du régime de la marge « des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains bâtis, mais n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots ou la réalisation de travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l’instar, notamment, des réseaux de gaz et d’électricité ».
La Conseil d’État (CE, 12 mai 2022, n° 41672, Icade Promotion) s’est conformé à cette solution pour juger dans cette affaire que les dispositions combinées des 6° et 7° de l’article 257 et de l’article 268 du Code général des impôts sont incompatibles avec les dispositions de l’article 392 de la directive 2006/112/CE en tant qu’elles soumettent au régime de la TVA sur la marge les cessions de terrains à bâtir réalisées par des revendeurs assujettis, au profit des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles que ces personnes affectent à un usage d’habitation, lorsque l’acquisition initiale du terrain à bâtir par le revendeur n’a pas été soumise à la TVA, soit qu’elle se trouve en dehors de son champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée, et que le prix auquel le revendeur a acquis ces biens n’incorpore pas un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.
Référence : AJU007e7