Une fraude fiscale sur trois générations
Dans l’affaire des héritiers Wildenstein, jugés pour fraude fiscale, la cour d’appel de Paris a conclu à la nécessité de déclarer en France des actifs placés dans des trusts et transmis dans le cadre d’une succession. Les peines prononcées à l’encontre des membres de la famille Wildenstein et de leurs conseils sont sévères.
Les héritiers Wildenstein viennent d’être condamnés en appel pour fraude fiscale. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, le 5 mars dernier, concerne le volet pénal d’une affaire présenté par le Parquet national financier comme la « fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la Ve République ! ». Ce procès pour fraude fiscale qui s’est déroulé du 18 septembre au 4 octobre 2023 est intervenu après une décision de relaxe de 2017, du tribunal correctionnel de Paris (TC Paris, 12 janvier 2017, Wildenstein), confirmée en juin 2018 par cette même cour d’appel de Paris (CA Paris, 29 juin 2018, n° 17/02758). La Cour de cassation ayant cassé cette décision de relaxe (Cass. crim., 6 janv. 2021, n° 18-8457), les héritiers Wildenstein se sont retrouvés à nouveau devant la cour d’appel de Paris.
Une fraude fiscale de grande ampleur
La succession du marchand d’art, Daniel Wildenstein, qui s’est ouverte en 2001, suivie en 2008 du décès d’Alec, son fils aîné, est à l’origine de cette bataille juridique. Les querelles familiales ont permis de démontrer qu’une grande partie du patrimoine familial (œuvres d’art prestigieuses, propriétés immobilières, écuries de course, jets privés…) avait été dissimulée dans des trusts situés dans des paradis fiscaux. Pour Bercy, les héritiers auraient dû faire figurer les biens détenus par ces trusts dans les déclarations de succession qui ont été souscrites. Le redressement fiscal qui porte sur un actif net de trois cent un millions d’euros, pour cent millions d’euros dus, majorations et intérêts de retard inclus, a également fait l’objet d’une contestation devant le juge de l’impôt. Après avis conforme de la commission des infractions fiscales, l’administration fiscale a déposé deux plaintes, les 22 juillet 2011 et 20 décembre 2012, visant des minorations dans les déclarations des deux successions par dissimulation de nombreux actifs détenus au sein de trusts étrangers. Les héritiers ont été mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, avec trois de leurs conseils ainsi que deux établissements bancaires, pour leur participation à l’élaboration de la fraude fiscale présumée. « Depuis au moins trois générations, des membres de la famille Wildenstein ont pris soin de dissimuler derrière des constructions juridiques inconnues du droit français un patrimoine considérable qui échappait en grande partie à l’impôt », avec une « claire intention d’évasion patrimoniale et fiscale », ont précisé les juges au cours de cette longue procédure.
Sept trusts mis au point par la famille Wildenstein
Au total pas moins de sept trusts ont été constitués par Daniel et Alec Wildenstein, Daniel Trust, Sons Trust, David Trust, Sylvia Trust, AW Trust, Drawdale Trust, Louve Trust. Ces trusts détiennent le plus souvent par le biais de sociétés constituées ad hoc des biens très divers : un ranch au Kenya, des immeubles à New York, une île dans les Caraïbes, et de très nombreux tableaux liés à l’activité de marchand d’art de la famille Wildenstein. Or la notion de trust est mal appréhendée par le droit français qui n’a commencé à l’encadrer qu’à partir de 2011, les faits reprochés aux héritiers Wildenstein étant, quant à eux, intervenus entre 2001 et 2008. Jusqu’en 2011, les trusts, institutions très répandues en droit anglo-saxons, n’avaient pas d’existence légale en France.
La lente appréhension des trusts en France
Les trusts sont définis au niveau international par l’article 2 de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Selon cet article, le terme de trust vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant – par acte entre vifs ou à cause de mort – lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Cependant, si la France a signé la Convention de La Haye, elle ne l’a pas ratifiée et ne l’a donc pas intégrée dans son droit. En l’absence de règle d’imposition précise en droit français, il était possible de recourir à des trusts irrévocables et discrétionnaires à des fins d’évasion fiscale. Des constituants ou des bénéficiaires pourraient conserver, en pratique, la maîtrise des actifs du trust au travers de montages complexes ou de lettres confidentielles autorisées par certains États tout en paraissant avoir aliéné leur patrimoine du point de vue des autorités françaises.
Les règles en matière de trust
La première loi de finances rectificative pour 2011 est venue remédier à cette lacune. Bercy a précisé le champ des obligations déclaratives pesant sur les administrateurs de trusts (CGI, art. 1649 AB). L’administrateur d’un trust doit déposer une déclaration relative à la constitution, à la modification ou l’extinction ainsi qu’aux termes du trust et procéder tous les ans à une déclaration de la valeur vénale des biens, droits et produits placés dans le trust au 1er janvier. Le champ du prélèvement sui generis sur les trusts a été également précisé (CGI, art. 990 J). Doivent ainsi être déclarés, lorsque le constituant du trust ou l’un au moins des bénéficiaires réside fiscalement en France, tous les biens et droits du trust situés en France et hors de France, et cela même s’ils sont exonérés d’ISF. Lorsque le constituant du trust et l’ensemble des bénéficiaires sont tous non-résidents, les biens et droits du trust situé en France doivent être déclarés, y compris ceux exonérés d’ISF, à l’exception des placements financiers au sens de l’article 885 L du CGI.
Deux décisions de relaxe
La succession a fait l’objet de deux déclarations, l’une en 2002 et l’autre en 2008. Les poursuites pénales ont, quant à elles, été engagées en 2011. Il n’existait donc au moment où les déclarations de succession ont été souscrites aucune disposition législative spécifique relative à l’imposition des biens détenus dans des trusts. C’est en ce fondant sur cette lacune que les héritiers ont obtenu une première décision de relaxe du tribunal correctionnel de Paris (TC Paris, 12 janvier 2017, n° PI1203092066), confirmée en 2018 par la cour d’appel de Paris (CA Paris, 29 juin 2018, n° 17/02758) au grand dam du Parquet national financier qui en avait fait un de ses dossiers phares. Le tribunal correctionnel a considéré qu’il n’existait pas d’élément légal de l’infraction de fraude fiscale poursuivie ce, « malgré une claire intention d’évasion patrimoniale et fiscale ». La cour d’appel de Paris a, quant à elle, jugé que l’infraction de fraude fiscale commise dans la déclaration de succession de Daniel Wildenstein était prescrite. Pour le juge d’appel, la seconde déclaration de succession qui a été réalisée le 31 décembre 2008, à la suite de l’annulation par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 avril 2005, statuant au civil d’une première déclaration de succession du 23 avril 2002, était conservatoire et les faits de fraude fiscale reprochés avaient été commis dès la première déclaration de succession établie en 2002. Or, en application de la loi alors en vigueur, ces faits se prescrivaient le 31 décembre 2005. La plainte de l’administration fiscale et le réquisitoire introductif ayant eu lieu respectivement en juillet et août 2011, les faits poursuivis étaient prescrits. Dans la mesure où l’infraction de fraude fiscale est une infraction instantanée, le juge d’appel a rejeté l’argument selon lequel l’infraction de fraude fiscale a été, en l’espèce, réitérée dans la seconde déclaration de succession de 2008 qui ne pouvait alors encourir le reproche de la prescription. En outre, il a jugé, concernant la fraude fiscale commise dans la déclaration de succession d’Alec Senior Wildenstein qu’on ne pouvait affirmer qu’il existait, avant la loi du 29 juillet 2011 une obligation suffisamment claire et certaine portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust.
Retour devant la cour d’appel de Paris
La Cour de cassation, considérant qu’il existait une obligation, avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011, de déclarer à la succession les biens placés en trust ayant cassé cette décision de relaxe, les héritiers Wildenstein se sont retrouvé à nouveau devant la cour d’appel de Paris. Le juge d’appel s’est s’attaché aux effets concrets des trusts concernés. En l’absence de dessaisissement du constituant d’un trust, les biens qui y sont logés sont considérés comme étant restés la propriété du constituant, ce quelle que soit la qualification donnée au trust, discrétionnaire ou irrévocable. En l’espèce, souligne la cour d’appel de Paris, le constituant avait conservé la capacité à s’accaparer les actifs d’un des trusts et disposait librement des biens d’un autre de ces trusts. Ces biens devaient donc rentrer dans la succession. Le juge d’appel a donc déclaré les héritiers coupables d’avoir dissimulé, à l’occasion des successions de Daniel Wildenstein et d’Alec Senior un patrimoine considérable estimé à plusieurs d’euros dans ces trusts.
Des peines particulièrement sévères
Le marchand d’art Guy Wildenstein, 78 ans, le fils cadet de Daniel Wildenstein s’est vu infliger quatre ans d’emprisonnement dont deux ans ferme sous bracelet électronique ainsi qu’un million d’euros d’amende et la confiscation de la somme de 3 462 588, 29 euros. Le parquet avait initialement requis quatre ans de prison, dont un an ferme, ainsi que 250 millions d’euros d’amende. Le marchand d’art n’a pas mis en place les trusts, mais « pleinement bénéficié et a « sciemment minoré la déclaration de succession », a souligné la cour d’appel, pour qui Guy Wildenstein « a systématiquement choisi l’opacité ». Son neveu, Alec Junior, 43 ans, a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 37 500 euros d’amende. Le parquet avait requis six mois d’emprisonnement avec sursis pour fraude fiscale. La veuve d’Alec Senior, Liouba Stoupakova, 50 ans a, été condamnée pour complicité de blanchiment à trois mois de prison avec sursis. Le parquet avait requis un an de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende pour complicité de blanchiment. Les conseils des Wildenstein, deux avocats et un notaire se sont vus, infliger des peines allant d’un an de prison avec sursis à 18 mois ferme et des amendes variant entre 37 500 et 100 000 euros. Le parquet général avait requis des peines allant de deux ans d’emprisonnement avec sursis à trois ans dont un an ferme, ainsi que des amendes allant de 40 000 à un million d’euros. L’accusation a requis 187 000 euros, l’amende maximale, contre les sociétés Northern Trust Fiduciary Services (NTFS) et Royal Bank of Canada Trust Company (RBCTC). L’un des deux gestionnaires de fortune a été condamné à une amende de 187 500 euros. L’autre, qui doit s’acquitter d’une amende de 5 000 euros. Les deux établissements financiers sont en outre, condamnés à payer solidairement avec Guy et Alec Junior Wildenstein l’impôt éludé, les frais de retard et les majorations.
Référence : AJU012w8