Une nouvelle autorité européenne pour lutter contre le blanchiment d’argent

Publié le 18/06/2025
Une nouvelle autorité européenne pour lutter contre le blanchiment d’argent
Frank Wagner/AdobeStock

Au 1er juillet 2025, une nouvelle autorité LCB-FT dotée de pouvoirs de surveillance et d’enquête, contribuera à la lutte contre les réseaux de blanchiment et de financement du terrorisme.

L’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC ou AMLA pour Anti-Money Laundering Authority) entrera en fonction le 1er juillet 2025. Cette nouvelle autorité européenne disposera de pouvoirs de surveillance directe et indirecte sur les entités assujetties à haut risque du secteur financier. Son siège a été fixé à Francfort par le Parlement européen et le Conseil, aux côtés de la Banque centrale européenne, ce qui devrait faciliter les synergies et renforcer la coopération entre les principales institutions financières de l’Union européenne. Pour les co-rapporteurs Emil Radev (PPE, BG) et Eva Maria Poptcheva (Renew, ES) cette nouvelle autorité « changera la donne en matière de lutte contre l’argent sale dans l’UE. Elle surveillera les entités financières les plus risquées, supervisera le secteur non financier et jouera un rôle crucial en empêchant les fraudeurs de contourner les sanctions financières ciblées ».

Le paquet LCB-FT

Le règlement ALBC fait partie d’un ensemble plus large de lois visant à réformer le cadre européen de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme adopté en juin 2024. Si la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme est traditionnellement gérée au niveau national, ce corpus de règles hétérogènes ne permet pas aux États de lutter efficacement ensemble au sein du marché unique. Dans le cadre de la stratégie de l’UE pour l’union de la sécurité pour 2020-2025, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme contribuant également à protéger les Européens contre le terrorisme et la criminalité organisée, quatre textes ont été adoptés : trois propositions de règlement et une proposition de directive :

– une proposition de règlement relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, qui définit des règles directement applicables, notamment en ce qui concerne la vigilance à l’égard de la clientèle et les bénéficiaires effectifs ;

– une proposition de règlement créant une nouvelle autorité européenne dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC) ;

– une proposition de sixième directive, remplaçant la directive 2015/849/UE modifiée par la cinquième directive sur la LBC, qui définit des règles relatives aux autorités nationales de surveillance et aux cellules de renseignement financier des États membres ;

– une révision du règlement 2015/84/UE sur les transferts de fonds afin de garantir la traçabilité des transferts de crypto-actifs.

Ces textes ont pour but de permettre de mieux détecter les transactions et activités suspectes et de combler les failles dont profitent les criminels pour blanchir le produit d’activités illicites ou financer des activités terroristes par l’intermédiaire du système financier. Les mesures proposées renforcent et harmonisent le cadre existant et prennent en particulier en compte l’émergence de nouveaux défis liés à l’innovation technologique, comme les monnaies virtuelles ou les plateformes de financement participatif, la plus grande intégration des flux financiers dans le marché unique et le caractère international des organisations terroristes. Elles relèvent du pilier 2 du plan d’action de la Commission, intitulé : « Mettre en place un corpus de règles LBC/FT unique à l’échelle européenne ».

Quatre missions pour la nouvelle agence

La nouvelle agence européenne, dotée de la personnalité morale, est chargée de quatre grandes missions en lien avec les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC/FT) auxquels est exposé le marché intérieur :

– la mise en place d’un suivi des risques de blanchiment et de financement du terrorisme auxquels le marché intérieur est exposé ;

– la surveillance directe des établissements ou groupes d’établissement de crédit ou d’établissements financiers sélectionnés, assujettis aux règles européennes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;

– la surveillance indirecte des autres entités assujetties, relevant tant du secteur financier que du secteur non financier, par le contrôle des superviseurs nationaux ou des organismes d’autorégulation ;

– la mise en place et le pilotage d’un mécanisme de coordination et de soutien aux cellules de renseignement financier (CRF) des États membres.

Pour la co-rapporteure Eva Maria Poptcheva (Renew, Espagne) cette agence « changera les règles du jeu pour sévir contre l’argent sale dans l’UE. Elle supervisera les 40 entités financières les plus risquées et elle surveillera le secteur non financier pour éviter des cas comme les Pandora Papers ». « Pour la première fois, l’AMLA supervisera directement les entreprises les plus risquées du secteur financier, ainsi que les fournisseurs de cryptomonnaies qui opèrent dans plusieurs États membres », ajoute le co-rapporteur Emil Radev (PPE, Bulgarie).

Fonctionnement de l’AMLA

Avec un effectif initial de 400 agents et un budget annuel de 40 millions d’euros, l’AMLA est appelée à jouer un rôle central dans la protection de l’intégrité du système financier européen. Bruna Szego qui a dirigé l’unité de surveillance et de réglementation de la lutte contre le blanchiment de capitaux à la Banque d’Italie a été nommée à la présidence de l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux par le Conseil, après approbation par le Parlement européen. Son rôle consiste à préparer les travaux des instances délibératives, établir l’ordre du jour de leurs réunions et les présider. Les deux instances délibératives comprennent un conseil général, qui réunit les dirigeants des autorités de surveillance des entités assujetties, dans sa composition « surveillance », et les dirigeants des cellules de renseignements financiers (CRFF) dans sa composition « CRF » et un conseil exécutif réunissant cinq personnes à temps plein, désignées pour cinq ans par le conseil général, auxquelles le président assigne des domaines de responsabilité spécifiques. Un directeur exécutif, choisi par le conseil exécutif assure la gestion quotidienne de l’AMLA. Il élabore le projet de budget, financé par une contribution de budget de l’UE et des redevances versées par les entités assujetties et validé par le conseil exécutif, ainsi que le programme de travail annuel. Il prépare en outre un projet unique de programmation, un rapport annuel, un plan d’action donnant suite aux conclusions des rapports d’audit et évaluations internes ou externes ainsi que des enquêtes de l’OLAF. Une commission administrative de réexamen, nommée par le conseil général dans sa composition « surveillance », est par ailleurs chargée de vérifier la conformité formelle et matérielle des décisions de surveillance, de sanctions et d’astreintes de l’Autorité, lorsqu’une demande motivée a été présentée par une personne physique ou morale directement et individuellement concernée par l’une de ces décisions.

Une mission de surveillance

La nouvelle autorité évalue les menaces, vulnérabilités et risques liés aux activités BC/FT dans l’Union européenne et suit les évolutions de pays tiers et évalue les menaces, vulnérabilités et risques liés à leurs systèmes LBC/FT. Elle recueille des informations sur les faiblesses identifiées dans l’application des règles LBC/FT par les entités assujetties, leur exposition au risque, les sanctions infligées et les mesures correctives appliquées aux activités BC/FT et met en place une base centrale de données à partir des informations recueillies auprès des superviseurs et des autorités de surveillance, analyse les informations ainsi recueillies et partage, en tant que de besoin, ses analyses avec les superviseurs et les autorités de surveillance. Les entités établissements de crédit ou établissements financiers sous surveillance seront sélectionnées, après évaluation par l’Autorité, à compter du 1er juillet 2025, au vu de leur profil de risque intrinsèque élevé (risques clients, produits et services, et zones géographiques). Une coopération sera mise en place au sein du système de surveillance LBC/FT et les entités concernées feront l’objet d’une surveillance directe par des équipes communes de surveillance composées, pour chaque entité assujettie, d’agents de l’Autorité et d’agents des superviseurs financiers chargés de la surveillance de l’entité au niveau national. L’Autorité est en droit d’obtenir toutes les informations nécessaires auprès de ces entités, des personnes physiques ou morales qui en font partie ainsi que des tiers auprès desquels celles-ci ont externalisé des fonctions ou activités opérationnelles. Elle peut conduire toutes les enquêtes nécessaires et procéder à des inspections sur place, le cas échéant après autorisation judiciaire si le droit national l’exige, avec l’assistance des agents du superviseur financier de l’État membre concerné. En cas de manquements des entités assujetties à leurs obligations, l’Autorité peut leur imposer, le cas échéant sous astreintes, de prendre des mesures, limiter leur activité économique, leurs opérations ou leur réseau. Pour l’exécution de ces mesures, elle peut donner des instructions aux autorités de surveillance pour qu’elles fassent usage de leurs pouvoirs. Le règlement prévoit en outre que l’Autorité peut infliger des sanctions pécuniaires administratives, qui sont rendues publiques, notamment en cas de violation substantielle d’exigences en matière de vigilance ou de contrôle interne. Ces sanctions peuvent être contestées devant la CJUE.

Accompagner les superviseurs financiers

L’Autorité contrôle régulièrement les moyens dont disposent ces superviseurs financiers en matière de LBC/FT, évalue leurs stratégies, contribue à la convergence des pratiques de surveillance, coordonne les échanges de personnels et d’informations entre les intéressés et peut, sur demande, leur prêter assistance, y compris en cas de désaccord entre eux sur les mesures à prendre à l’égard d’une entité assujettie. Sans préjudice des pouvoirs et des compétences des superviseurs financiers définies par la directive anti-blanchiment, l’Autorité veille à l’établissement de collèges de surveillance LBC, apporte son aide en matière d’organisation de plans de surveillance et d’examens communs, partage les informations pertinentes avec les superviseurs financiers en vue de faciliter les travaux de ces collèges. Les superviseurs financiers doivent signaler à l’Autorité toute dégradation rapide de la situation d’une entité non sélectionnée. Celle-ci peut alors enquêter sur de possibles violations substantielles et demander au superviseur financier de prendre des mesures, y compris d’imposer la cessation d’une pratique. Si le superviseur ne donne pas suite à ces demandes, l’Autorité peut demander à la Commission de lui transférer la surveillance directe de l’entité. L’Autorité réalise régulièrement des examens par les pairs de tout ou partie des activités de ces superviseurs en matière de LBC/FT, pour lesquels elle définit des méthodes d’évaluation et de comparaison objectives. Elle établit à cet effet des comités ad hoc d’examen, composés de certains de ses agents et de membres des superviseurs non financiers. L’Autorité peut par ailleurs ouvrir une enquête sur un superviseur non financier, à la demande d’une autre autorité de surveillance, du Parlement européen, de la Commission ou de sa propre initiative, en cas de prétendue violation ou de non-application du droit de l’UE. Elle peut ensuite adresser au superviseur une recommandation sur les mesures de mise en conformité qui doivent être prises. Si le superviseur ne prend pas les mesures nécessaires, la Commission, informée par l’Autorité ou de sa propre initiative, peut émettre un avis formel lui imposant de telles mesures.

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