Une nouvelle feuille de route pour lutter contre l’évasion fiscale

Publié le 24/03/2023
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La commission des finances de l’Assemblée nationale planche sur des pistes de réforme destinées à mieux contrer l’évasion fiscale.

L’évasion fiscale constitue un phénomène complexe à définir. L’Assemblée nationale dans un nouveau rapport spécial thématique (Rapport de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023, dédié à la lutte contre l’évasion fiscale, n° 292, Assemblée nationale, XVIe législature, octobre 2022), portant sur les crédits du programme 156 Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local de la mission Gestion des finances publiques consacrés au contrôle fiscal, recommande à cet égard de créer un groupe de travail composé d’experts nationaux et européens, de chercheurs et de parlementaires afin d’établir un lexique harmonisé pour clarifier des notions comme multiples et confuses. « L’évasion fiscale est une notion encore floue qui nécessite une définition claire, regroupant la fraude délibérée et toute pratique d’optimisation fiscale agressive dont l’objectif principal est d’échapper à l’impôt », résume la rapporteure spéciale.

Un effort nécessaire de clarification

En effet, si les concepts de fraude et d’optimisation fiscale renvoient à des définitions précises, ce n’est pas le cas de tous les termes employés en la matière. Le concept de fraude fiscale désigne le fait de se soustraire ou tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt, selon différentes modalités. Elle est caractérisée par une violation délibérée et consciente de la réglementation fiscale en vigueur. Elle constitue une infraction pénale passible d’une amende de 500 000 euros et d’une peine d’emprisonnement de cinq ans, conformément à l’article 1741 du Code général des impôts (CGI) fait de la fraude fiscale. Si elle n’est pas définie dans notre droit, la notion d’optimisation fiscale est également bien établie. Elle consiste pour un contribuable à exploiter les moyens légaux à sa disposition pour réduire ou éliminer sa charge fiscale. Elle est donc légale, et découle du droit du contribuable de choisir la voie la moins imposée, reconnue par le juge administratif (CE, 16 juin 1976, n° 95513), puis par le juge européen (CJUE, 21 févr. 2006, n° C.255/02, Halifax). La CJUE a, dans cette affaire, affirmé le droit pour le contribuable « de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale », conformément aux conclusions de l’avocat général, Poiares Maduro, qui affirmait « la liberté de choisir la voie la moins taxée pour exercer une activité afin de minimiser les coûts ».

Quelle harmonisation ?

D’autres termes employés dans le débat public recouvrent une réalité plus floue et méritent d’être clarifiés, souligne le rapport. Il s’agit notamment de la notion d’optimisation fiscale agressive, qui renvoie à des pratiques consistant à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre plusieurs systèmes fiscaux afin de réduire l’impôt à payer selon le ministère de l’Économie et des Finances. Le Parlement européen, préfère, quant à lui, parler de planification fiscale agressive. L’évasion fiscale est, quant à elle, couramment définie comme une zone grise entre la fraude et l’optimisation fiscale. Pour la cellule TRACFIN, il s’agit de l’ensemble des opérations destinées à réduire le montant des prélèvements dont le contribuable doit normalement s’acquitter et dont la régularité est incertaine. « Sa définition mouvante reflète la multitude des comportements mis en œuvre pour éluder l’impôt, parfois légaux en apparence », souligne le rapport.

Dans les instances et organisations internationales, comme l’OCDE, la terminologie anglaise employée est encore différente et peut poser des difficultés de traduction, souligne le rapport pour qui le terme de « tax avoidance » se rapproche davantage de la réalité que recouvre le terme français d’évasion fiscale que celui de « fiscal evasion ».

Un chiffrage difficile

La lutte contre la fraude fiscale suppose de pouvoir évaluer précisément les montants en jeu. Or la France est un des rares pays de l’OCDE à ne pas publier régulièrement une estimation globale et impôt par impôt du montant de la fraude fiscale, souligne le rapport. Les estimations du manque à gagner pour les finances publiques liées à la fraude fiscale sont très peu précises, allant de 50 à 120 milliards d’euros par an.

La Cour des comptes a ainsi été sollicitée en 2019, afin de dresser un état des lieux de la fraude fiscale et de son montant en proposant un chiffrage dont la méthode pourrait être reproduite dans l’avenir pour suivre l’évolution du phénomène dans le temps. La Cour des comptes a choisi pour ce faire de se référer à la notion d’écart fiscal (Tax gap). Ce concept utilisé par les économistes désigne la différence entre ce qui devrait être recouvré si la loi fiscale avait été parfaitement respectée et ce qui a été effectivement recouvré. L’écart fiscal va au-delà des seules irrégularités puisqu’il concerne aussi les sommes non recouvrées du fait de l’insolvabilité d’un contribuable ou des remises gracieuses qui lui auraient été accordées. Les sages de la rue Cambon ont dû renoncer à publier une évaluation précise de ce manque à gagner au regard de l’ampleur de la tâche, compte tenu du faible degré de préparation des administrations concernées. Parce que la mesure du phénomène d’évasion est inégalement complexe selon l’impôt dont il est question, la rapporteure spéciale recommande que la DGFiP présente annuellement un chiffrage de la fraude par impôt, assorti d’un indicateur de fiabilité de la mesure.

Moins de moyens humains et financiers consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale

Les effectifs du contrôle fiscal ont diminué de plus de 4 000 personnes depuis 2010, dont 1 600 depuis 2017, souligne ce rapport, ajoutant que le budget 2023 planifie de nouvelles baisses d’effectifs au sein de la Direction générale des finances publiques. « Ces baisses ont un réel effet sur l’efficacité du contrôle fiscal dont le rendement chute sur longue période avec moins de 16 milliards récupérés chaque année depuis 2019 », analyse la rapporteure spéciale. Tous les services d’enquêtes et de contrôle qui ont été auditionnés (le SEJF, la BNRDF, TRACFIN, les syndicats représentatifs de la DGFiP, le PNF…) ont d’ailleurs fait part d’un manque de moyens matériels et humains. Dans un contexte où l’évolution en volume des crédits budgétaires est à la baisse, la lutte contre l’évasion fiscale ne peut que décliner. Pour la rapporteure spéciale, les effectifs insuffisants au sein de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et dans d’autres organes comme le Parquet national financier (PNF) ou la cellule TRACFIN, la diminution du nombre de contrôles sur place ou encore la tendance à la baisse, depuis dix ans, des sommes encaissées à la suite des contrôles fiscaux témoignent d’un insuffisant effort en matière de lutte contre l’évasion fiscale. « Le recours accru aux nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, présenté par la DGFiP comme l’avenir du contrôle fiscal, ne produit pour l’instant pas de résultats satisfaisants – et ne pourra en tout état de cause jamais remplacer le travail humain », conclut le rapport. La mission recommande un moratoire sur les suppressions de poste dans le contrôle fiscal et la planification de l’embauche de 4 000 agents d’ici à 2027, ainsi que la conduite d’une évaluation quantitative et qualitative des besoins humains de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, du service d’enquêtes judiciaires des finances, de la cellule TRACFIN ainsi que du Parquet national financier.

Compliance à la française ?

Le rapport aborde également la nouvelle conception des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables incarnée par la nouvelle relation de confiance portée par la loi dite « ESSOC » du 10 août 2018. « Quelle appréciation porter sur l’évolution de la philosophie du contrôle fiscal voulue par le gouvernement ? », s’interroge le rapport. Pour Bercy, ce type de nouveau dispositif d’accompagnement s’appuie sur le constat que les entreprises expriment le besoin d’une nouvelle relation avec l’administration fiscale leur offrant une plus grande sécurité juridique fondée sur un dialogue en amont, notamment au regard de la conduite de leurs opérations ou de leurs échéances déclaratives. « Si le développement d’une logique préventive, permettant aux contribuables d’être mieux informés en amont sur les schémas de fraude, par exemple, et l’aide apportée aux contribuables de bonne foi sont louables, cette « nouvelle relation de confiance » a conduit à transformer le contrôle fiscal en une forme de compliance à la française. Les garanties excessives données aux entreprises, les possibilités de régularisation en cours de procédure et les contraintes accrues pesant sur le travail des agents du contrôle fiscal tendent à faire primer aujourd’hui l’accompagnement du fraudeur sur un contrôle répressif », conclut la rapporteure spéciale. La mission préconise donc d’évaluer les effets de la loi ESSOC sur la dimension dissuasive du contrôle fiscal et sur le travail des agents du contrôle fiscal.

La pénalisation de la fraude : CJIP et consentement à l’impôt

Le rapport s’attarde également sur les suites pénales qui peuvent être données à un contrôle fiscal. Si la rapporteure spéciale reconnaît que « des progrès ont été faits en matière de pénalisation de la fraude (avec par exemple la suppression du « verrou de Bercy »), ceux-ci sont obérés par le recours croissant aux modes alternatifs de règlement des conflits, en particulier la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) ». Afin de mettre en place une réponse pénale plus efficiente, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), dite de plaider coupable, et la CJIP, ont été étendus à la fraude fiscale, permettant le règlement rapide de nombre de dossiers. Cette justice transactionnelle permet à l’autorité publique de concilier deux objectifs : sanctionner sévèrement et rapidement les entreprises tout en permettant la poursuite de leur activité. Ce dispositif permet aujourd’hui aux grandes entreprises faisant l’objet d’une enquête pour fraude fiscale de transiger avec le parquet – et d’échapper, moyennant le paiement d’une amende, à une condamnation pénale. « Si la CJIP a le mérite d’assurer une rentrée d’argent pour les finances publiques, elle permet peu ou prou aux grandes multinationales de payer en échange d’une impunité pénale et d’une réputation sauvegardée. Un tel dispositif ne saurait perdurer en l’état, alors que le consentement à l’impôt des citoyens continue de s’éroder », analyse avec sévérité le présent rapport. Il conclut à la nécessité d’un débat parlementaire sur les objectifs de la lutte contre l’évasion fiscale pour arbitrer entre la nécessité de collecter des recettes fiscales pour les caisses de l’État et celle de punir les fraudeurs pour renforcer le consentement à l’impôt. Le rapport conseille également de lancer une nouvelle évaluation ministérielle dédiée aux effets des CJIP. En outre, le rapport appelle à dresser une feuille de route ambitieuse pour mieux lutter contre l’évasion fiscale notamment en harmonisant les règles de taxation entre pays et en limitant les opportunités d’évasion fiscale internationale. Il recommande également d’instaurer un impôt commun au niveau communautaire via une coopération renforcée ou un mécanisme de taxation différentielle en France, de proposer des critères de définition pertinents des paradis fiscaux et de modifier la liste noire française. Autres recommandations : la création d’un cadastre financier, ou la mise en place d’un fichier national des donations anticipées.

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