Union européenne : de nouvelles règles anti-fraude à l’œuvre

Publié le 22/03/2019

Depuis le 1er janvier 2019, tous les États membres doivent appliquer de nouvelles mesures anti-abus juridiquement contraignantes qui visent les principales formes d’évasion fiscale pratiquées par les grandes multinationales.

Les nouvelles règles de l’Union européenne visant à éliminer les principales lacunes exploitées dans le cadre de l’évasion fiscale des entreprises sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019. Ces nouvelles règles connues sous le nom de directive ATAD (Anti Tax Avoidance Directive), et mises au point en juillet 2016, visent à éliminer les pratiques d’évasion fiscale les plus courantes. « La Commission se bat systématiquement et depuis longtemps contre la planification fiscale agressive. Nous n’avons pas encore gagné le combat, mais les nouvelles mesures marquent une étape très importante dans notre lutte contre ceux qui tentent d’exploiter les lacunes des systèmes fiscaux de nos États membres pour éluder des milliards d’euros d’impôt », a précisé à ce propos Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes. Les règles, qui s’appuient sur les normes mondiales élaborées par l’OCDE en 2015 en matière d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS), devraient contribuer à empêcher que des bénéfices quittent l’UE sans être taxés.

Règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées

Plus précisément, tous les États membres imposeront désormais les bénéfices transférés vers des pays à faible taux d’imposition où l’entreprise considérée n’exerce aucune véritable activité économique. Les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC) ont pour effet de réattribuer les revenus d’une filiale contrôlée soumise à une faible imposition à sa société mère. La société mère devient alors imposable sur les revenus qui lui ont été ainsi affectés dans l’État où elle a sa résidence fiscale. En fonction des priorités politiques de cet État, les règles relatives aux SEC peuvent viser une filiale entière soumise à une faible imposition, des catégories particulières de revenus ou se limiter aux revenus qui ont été artificiellement détournés vers la filiale. En particulier, afin de s’assurer que les règles relatives aux SEC constituent une réponse proportionnée aux préoccupations en matière d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices, il est indispensable que les États membres qui limitent l’application de leurs règles relatives aux SEC aux revenus qui ont été artificiellement détournés vers la filiale ciblent précisément les situations où la plupart des fonctions décisionnelles qui ont généré des revenus détournés au niveau de la filiale contrôlée sont exercées dans l’État membre du contribuable. Afin de limiter la charge administrative et les coûts de mise en conformité, ces États membres devraient pouvoir exempter certaines entités qui réalisent de faibles bénéfices ou dégagent une faible marge bénéficiaire et qui génèrent moins de risques d’évasion fiscale. En conséquence, il est nécessaire que les règles relatives aux SEC s’étendent aux bénéfices d’établissements stables où ces bénéfices ne sont pas imposables ou qui sont exonérés d’impôt dans l’État membre du contribuable. Toutefois, il n’y a pas lieu d’imposer, au titre des règles relatives aux SEC, les bénéfices d’établissements stables qui se voient refuser l’exonération fiscale en vertu de réglementations nationales parce que ces établissements stables sont traités comme s’ils étaient des sociétés étrangères contrôlées. Afin d’assurer un niveau de protection élevé, les États membres pourraient abaisser le seuil de contrôle ou utiliser un seuil plus élevé en comparant l’impôt réel sur les sociétés et l’impôt sur les sociétés qui aurait été prélevé dans l’État membre du contribuable. Lorsqu’ils transposent les règles relatives aux SEC dans leur droit national, les États membres pourraient, appliquer un seuil de taux d’imposition fractionnaire suffisamment élevé.

Règles de limitation des intérêts

Afin de dissuader les entreprises de recourir de manière excessive aux paiements d’intérêts pour réduire au minimum leur impôt, les États membres limiteront le montant des charges d’intérêts nettes qu’une entreprise peut déduire de son revenu imposable. Soucieux de réduire leur charge fiscale globale, des groupes d’entreprises ont de plus en plus recours à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices sous la forme de paiements d’intérêts excessifs. La règle de limitation des intérêts est nécessaire pour décourager de telles pratiques en limitant la déductibilité des surcoûts d’emprunt des contribuables. Il convient dès lors de déterminer un ratio de déductibilité qui tienne compte du résultat imposable avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA) du contribuable. Les États membres pourraient réduire ce ratio, fixer des délais ou restreindre les coûts d’emprunt non compensés qui peuvent faire l’objet d’une anticipation ou d’un report pour assurer un niveau de protection plus important. Étant donné que l’objectif est de fixer des normes minimales, les États membres devraient pouvoir adopter une mesure de substitution portant sur le bénéfice d’exploitation d’un contribuable et fixée d’une manière équivalente à celle du ratio calculé à partir de l’EBITDA. Outre la règle de limitation des intérêts prévue par la présente directive, les États membres pourraient également utiliser des règles ciblées pour lutter contre le financement de la dette intragroupe, en particulier des règles en matière de sous-capitalisation.

Clause anti-abus générale

Les États membres seront en mesure de lutter contre les mécanismes d’évasion fiscale dans les cas où d’autres dispositions anti-abus ne peuvent être appliquées. Des clauses anti-abus générales sont prévues dans les systèmes fiscaux pour lutter contre les pratiques fiscales abusives qui n’ont pas encore été traitées par des dispositions spécifiques. Les clauses anti-abus générales servent donc à combler des lacunes ; elles ne devraient pas avoir d’incidence sur l’applicabilité des clauses anti-abus spécifiques. Au sein de l’Union, il convient que des clauses anti-abus générales soient appliquées aux montages non authentiques ; dans le cas contraire, le contribuable devrait avoir le droit de choisir la structure la plus avantageuse sur le plan fiscal pour ses affaires commerciales. Il est en outre important de s’assurer que les clauses anti-abus générales s’appliquent de manière uniforme à des situations nationales, au sein de l’Union et à l’égard des pays tiers, de sorte que leur champ d’application et les résultats de leur application à des situations nationales et transfrontières soient identiques. Il convient de ne pas empêcher les États membres d’appliquer des sanctions lorsque les clauses anti-abus générales sont applicables. Lorsqu’il s’agit d’apprécier s’il y a lieu de considérer un montage comme non authentique, il pourrait être possible, pour les États membres, de prendre en considération tous les motifs économiques valables, y compris les activités financières.

Encadrer les dispositifs hybrides

Les dispositifs hybrides sont la conséquence de différences dans la qualification juridique des paiements ou des entités et ces différences apparaissent lors de l’interaction entre les systèmes juridiques de deux juridictions. Ces dispositifs se traduisent souvent par une double déduction ou par une déduction des revenus dans un État sans qu’ils soient pris en compte dans la base d’imposition de l’autre. Pour neutraliser les effets des dispositifs hybrides, il est nécessaire d’établir des règles en vertu desquelles l’une des deux juridictions intervenant dans un dispositif devrait refuser la déduction d’un paiement conduisant à ce type de résultat. Dans ce contexte, les mesures prévues par la présente directive en vue de lutter contre les dispositifs hybrides visent les situations où ces dispositifs hybrides sont imputables aux différences existant dans la qualification juridique d’un instrument financier ou d’une entité et qu’elles ne sont pas destinées à porter atteinte aux caractéristiques générales du système fiscal d’un État membre. Bien que les États membres aient approuvé, dans le cadre du groupe « Code de conduite fiscalité des entreprises », des lignes directrices sur le traitement fiscal des entités hybrides et des établissements stables hybrides au sein de l’Union ainsi que sur le traitement fiscal des entités hybrides dans les relations avec des pays tiers, il demeure nécessaire d’adopter des règles contraignantes.

Règles d’imposition à la sortie

Ces règles relatives aux dispositifs hybrides visant à empêcher les entreprises d’exploiter les asymétries entre les législations fiscales de deux pays de l’UE pour échapper à l’impôt, ainsi que des mesures destinées à faire en sorte que les plus-values réalisées sur des actifs, comme la propriété intellectuelle, qui ont été transférés en dehors du territoire d’un État membre soient imposables dans cet État membre (règles d’imposition à la sortie), entreront en vigueur à compter du 1er janvier 2020. L’imposition à la sortie permet de garantir que lorsqu’un contribuable transfère des actifs ou sa résidence fiscale hors de la juridiction fiscale d’un État, ce dernier impose la valeur économique de toute plus-value générée sur son territoire même si cette plus-value est encore latente au moment de la sortie. Il est dès lors nécessaire de préciser les cas dans lesquels les contribuables sont soumis aux règles sur l’imposition à la sortie et imposés sur les plus-values latentes qui ont été intégrées dans leurs actifs transférés. Il est également utile de préciser que les transferts d’actifs, y compris d’espèces, entre une société mère et ses filiales, ne relèvent pas du champ d’application de la règle envisagée en matière d’imposition à la sortie. Pour calculer l’assiette d’imposition applicable, il est primordial de fixer une valeur de marché pour les actifs transférés à la date de sortie des actifs sur la base du principe de pleine concurrence.

ATAD 1 et 2

Proposées pour la première fois par la Commission en 2016, ces règles juridiquement contraignantes, ont été rapidement adoptées en vue de donner un nouvel élan aux efforts déployés au niveau mondial pour lutter contre la planification fiscale agressive. Cet accord faisait suite à l’accord intervenu entre les pays de l’OCDE sur les recommandations visant à limiter l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (« plan d’action BEPS »), et a fait de l’Union Européenne un acteur mondial de premier plan en ce qui concerne l’approche politique et économique en matière de fiscalité des entreprises. La Commission Juncker est à la pointe des efforts déployés au niveau international pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. De nouvelles règles en matière de transparence sont progressivement entrées en vigueur afin que les États membres disposent des informations dont ils ont besoin pour sévir contre les sociétés qui ne paient pas leur juste part de l’impôt. L’Union européenne prend également des mesures pour que ses partenaires internationaux mettent en œuvre les normes mondiales de lutte contre l’évasion fiscale, grâce à ses travaux en cours sur la liste des juridictions fiscales non coopératives. Enfin, la Commission a également proposé d’ambitieuses réformes de l’impôt sur les sociétés, qui reverraient la manière dont les entreprises multinationales sont imposées dans l’Union européenne tout en garantissant un environnement économique qui facilite la vie des entreprises exerçant des activités transnationales. En février 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté de nouvelles règles visant à mettre fin aux « déséquilibres hybrides » avec les systèmes fiscaux des pays tiers. Ces règles complètent et modifient la directive ATAD 1, qui est limitée aux dispositifs hybrides issus de l’interaction entre les régimes d’impôt sur les sociétés des États membres, afin de prévoir des règles qui soient cohérentes avec les règles recommandées dans le rapport sur l’action 2 du projet BEPS de l’OCDE. Les États membres ont jusqu’au 31 décembre 2019 pour transposer la directive ATAD 2 dans la législation nationale pour une application au 1er janvier 2020.

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