Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur

Publié le 27/10/2021

R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, 242 p., 23 €.

Malgré un parcours remarquable, marqué par une grande diversité de fonctions (diplomate, plusieurs fois ministre et parlementaire et bien sûr une longue carrière au sein de la Cour de cassation, qu’il a présidée de 1829 à 1852), « l’œuvre et la pensée de Joseph-Marie Portalis demeurent amplement méconnus »1. Une telle situation s’explique aisément par le caractère imposant de la figure paternelle, Jean-Étienne-Marie Portalis étant communément considéré à la fois comme le père du Code civil et l’artisan du Concordat. Dès lors, nulle surprise à ce que la figure de Portalis « le jeune » ait été escamotée. Cela n’en constitue pas moins une réelle injustice, tant elle est digne d’intérêt. Et c’est précisément l’objet du présent ouvrage que de la réparer, à travers une série de contributions stimulantes, dans le sillage de la divulgation de nouveaux documents, à la suite d’une vente publique effectuée en 2012 à Marseille.

C’est par un propos sur « la constance d’une lignée »2 que s’ouvre la première contribution, sous la plume de Joël-Benoît d’Onorio. Cela offre l’occasion de rappeler notamment l’influence du père sur le fils, celui-ci ayant celui-là pour précepteur, avant de l’assister, dès son adolescence, la vue défaillante de Jean-Étienne-Marie nécessitant une présence constante à ses côtés pour traiter les dossiers. La tourmente révolutionnaire va conduire Joseph-Marie à aider sa famille, qu’il suit dans son exil, jusqu’en 1799. Au retour en France, les faveurs accordées au père s’étendent au fils, qui entame une carrière diplomatique. Très vite, ses propres mérites lui valent d’être nommé à des postes importants, où il jouit de la confiance du souverain, jusqu’à ce qu’en 1811, Napoléon ne lui inflige une terrible disgrâce, Joseph-Marie n’ayant pas dénoncé son cousin, le chanoine Paul d’Astros, vicaire capitulaire de Paris et à ce titre très impliqué dans la résistance pontificale à la nomination, voulue par l’Empereur, du cardinal Maury au siège archiépiscopal de Paris3. Disgrâce provisoire puisqu’il obtient en décembre 1813 la présidence de la Cour impériale d’Angers, avant que la Restauration fasse de lui le président de la chambre criminelle, puis le premier président de la Cour de cassation, fonctions qu’il exerce tout en poursuivant une carrière politique, notamment parlementaire. On le voit donc, bien que très liée, à son commencement, à celle de son père, ce qui n’a rien d’original, en particulier à cette époque, la carrière de Joseph-Marie Portalis a très vite suivi un cours autonome et fort riche.

Cette richesse se manifeste tout particulièrement au sein de la Cour de cassation dont il a été le premier président à une époque où celle-ci a connu un véritable tournant. Certes, Xavier Prétot nous rappelle que ce qui pourrait nous paraître étrange, au regard de nos critères contemporains, dans cet épisode de la vie de Portalis (longévité de ses fonctions, cumul avec une activité clairement politique), constitue finalement, pour l’époque, « une carrière bien classique »4. Celle-ci intervient toutefois à un moment crucial pour la Cour de cassation qui affermit à la fois son caractère juridictionnel et son autonomie vis-à-vis du pouvoir politique. Il n’est pas aisé de mesurer la part prise par Portalis dans ce mouvement aux causes et aux manifestations multiples. Pour autant, on ne peut que partager l’opinion de Xavier Prétot lorsqu’il affirme qu’« eu égard à son ascendance familiale, à sa carrière antérieure, à ses études et à ses travaux, on peut gager toutefois qu’elle ne fut pas symbolique »5.

Et en effet, son passé avait montré de grandes capacités comme le volontarisme et l’habileté de Portalis.

C’est le cas dans ses fonctions de président de chambre criminelle, au sein desquelles il a su « se distinguer à la fois comme magistrat de cassation et comme homme de l’institution »6. Sur le premier plan, il imprègne le travail de la chambre par sa méthode, qui « conjugue rigueur et haute technicité du droit »7. Sur le second, il marque toujours une grande attention à respecter l’institution, dans la limite toutefois de sa parfaite loyauté à l’égard du roi et de sa prudence naturelle, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer si la Cour de cassation doit être amenée à trancher les litiges au fond.

Joseph-Marie Portalis a aussi eu l’occasion de se distinguer, cette fois en tant que parlementaire, au sujet de la loi dite « du milliard des émigrés », dont il fut rapporteur. Plutôt que d’en faire un nouvel épisode de la querelle ouverte par la Révolution, il choisit de poser le débat sur un plan moins éruptif, affirmant : « ce n’est pas de l’émigration qu’il s’agit ici, c’est de la propriété, c’est de la famille, c’est de la constitution même de l’État »8. Ce choix, manière de sortir d’un affrontement politique très violent entre Ultras et Libéraux, nous dit aussi beaucoup sur les conceptions de Portalis, qui révèle ainsi le régime qui lui semble le plus souhaitable : une monarchie constitutionnelle, respectueuse des libertés publiques et, bien sûr, garante de l’ordre social. Dans cette perspective, pour lui, ce projet doit « œuvrer pour une véritable et durable réconciliation nationale »9.

Évidemment, cette carrière, à la forte dimension juridique, conduit tout naturellement à s’interroger sur « Joseph-Marie Portalis, législateur et théoricien de la science des lois »10, ce à quoi s’attelle Sylvain Bloquet. Ce faisant, il nous montre qu’en la matière, il développe « un véritable sens de la conservation du droit et un attachement incontestable aux institutions »11 et que « prétendant aborder l’esprit des lois sans esprit spéculatif [il incarne] un esprit pratique qui semble alors peut-être connaître ses dernières heures de gloire face à une montée en puissance constante du positivisme juridique »12. On découvre donc un homme qui pense que « les institutions ne sont stables (que) lorsqu’elles ont jeté des racines dans les mœurs et les habitudes d’un peuple, lorsque de nombreuses générations se sont succédées à leur ombre »13, rejetant de ce fait les approches constructivistes du droit et soucieux de préserver les autorités légitimes, ce à quoi il s’emploiera dans toutes les fonctions qui lui seront confiées durant sa longue carrière.

On retrouve ces conceptions et ces traits de caractère tout au long de sa carrière diplomatique. Plus praticien que théoricien, Portalis agit, de manière souvent habile, bien plus qu’il ne conceptualise, même s’il a produit quelques textes théoriques14. De ses quelques écrits comme de son action, à la fois comme diplomate et comme ministre des Affaires étrangères, ressort surtout une profonde hostilité à la guerre. En définitive, « sa pensée des relations internationales, à cette époque, n’apparaît pas très originale et correspond à sa pensée politique de conservateur modéré, influencé par les lumières écossaises et l’école historique du droit de Göttinguen »15.

Et c’est également ce conservatisme prudent mêlé au respect des autorités légitimes de son pays qui guide Portalis dans son rapport aux cultes, sujet pourtant potentiellement ouvert aux passions et aux positions tranchées. Il a eu l’occasion de jouer, en ce domaine, un rôle important, puisqu’il a été étroitement mêlé aux travaux et négociations des débuts de la Restauration afin de revenir sur le Concordat de 1801, qui ne satisfaisait, au plan pratique comme symbolique, ni le trône de France ni celui de Saint-Pierre. Finalement, cela n’a pas abouti mais a montré que Portalis « possédant de solides connaissances juridiques (…) se montre très fin négociateur politique (…) tout au long de cette affaire (…) il est constamment animé par le désir de servir le roi »16.

Au terme de ces contributions qui le révèlent, Joseph-Marie Portalis nous apparaît comme un de ces hommes habiles et subtils qui, s’ils ne révolutionnent pas le droit de leur époque, n’en constituent pas moins, par leur capacité à le mettre en œuvre et à le faire doucement évoluer, des acteurs essentiels de notre vie juridique, politique et, finalement, de notre société. À ce titre, il mérite amplement d’être (re)découvert.

Notes de bas de pages

  • 1.
    R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 11.
  • 2.
    J.-B. d’Onorio, « D’un Portalis à l’autre : la constance d’une lignée », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 15.
  • 3.
    Sur ce point, voir la contribution de Thierry Lentz, que nous n’évoquerons pas ici : « 4 janvier 1811, Portalis est chassé du Conseil d’État », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 23.
  • 4.
    X. Prétot, « Jospeh-Marie Portalis, premier président de la Cour de cassation », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 39.
  • 5.
    X. Prétot, « Jospeh-Marie Portalis, premier président de la Cour de cassation », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 52.
  • 6.
    C. Bouglé-Leroux, « Joseph-Marie Portalis à la chambre criminelle : les audaces d’une présidence (1824-1828) », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 56.
  • 7.
    C. Bouglé-Leroux, « Joseph-Marie Portalis à la chambre criminelle : les audaces d’une présidence (1824-1828) », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 61.
  • 8.
    AP, série 2, t. XLIV, p.441.
  • 9.
    M. Narran-Finkelstein, « Joseph-Marie Portalis et le milliard des émigrés », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 75.
  • 10.
    S. Bloquet, « Joseph-Marie Portalis, législateur et théoricien de la science des lois », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 87.
  • 11.
    S. Bloquet, « Joseph-Marie Portalis, législateur et théoricien de la science des lois », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 87.
  • 12.
    S. Bloquet, « Joseph-Marie Portalis, législateur et théoricien de la science des lois », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 87.
  • 13.
    J.-M. Portalis, Discours pour la défense du projet de loi relatif aux élections, séance du 26 juin 1820, Paris, Imprimerie nationale, p. 4.
  • 14.
    On pourra notamment consulter son essai, De la guerre, considérée dans ses rapports avec le genre humain, les droits des nations et la nature humaine, Paris, 1856.
  • 15.
    R. Cahen, « Joseph-Marie Portalis, acteur et penseur de la diplomatie napoléonienne », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 141.
  • 16.
    B. Basdevant-Gaudemet et D. Rodde, « Portalis accompagne l’échec du Concordat de 1817 », in R. Cahen et N. Laurent-Bonne (dir.), Joseph-Marie Portalis, diplomate, magistrat et législateur, 2020, PUAM, p. 202.
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