Vers un monde plus sûr sur les réseaux sociaux ?
La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 aborde de façon transversale les différentes problématiques pour réguler le secteur naissant de l’influence commerciale, angle mort de la loi jusqu’à aujourd’hui. Ce texte vise surtout à protéger les consommateurs et utilisateurs des réseaux sociaux, particulièrement les plus jeunes.
L. n° 2023-451, 9 juin 2023, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux : JO, 10 juin 2023
Selon les auteurs de la proposition de loi, Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, ce texte vise à répondre à une série d’enjeux liés au secteur de l’influence en ciblant ces multiples acteurs : les influenceurs, les agents d’influenceurs et les plateformes qui hébergent leurs contenus.
En effet, selon eux, les exemples de dérives s’accumulent dangereusement : promotion de « médicaments » contre le cancer, produits cosmétiques provoquant des pertes de cheveux ou plaques rouges sur le corps, promotion de produits vendus plusieurs dizaines d’euros que l’on retrouve pour quelques centimes sur des sites bien connus (arnaque qui abuse de la technique de vente directe mieux connue sous le nom de « dropshipping »), inscription à des formations médicales ou esthétiques au Mexique, abus du compte personnel de formation (CPF), abonnements à des pronostics sportifs bidons, produits achetés et payés mais qui ne sont jamais livrés…
Ainsi que le rappelle le ministère de l’Économie, cette loi « est le fruit d’un travail assuré à Bercy avec les professionnels du secteur de l’influence, puis avec le Parlement, auxquels ont participé près de 19 000 citoyens et 400 professionnels ».
Avec cette loi, la France est désormais le premier pays européen et un des premiers pays au monde à proposer un cadre complet de régulation du secteur de l’influence commerciale1.
Après avoir défini l’influenceur et l’agent d’influenceur (I), la loi prévoit un certain nombre d’interdictions (II) ainsi que des obligations d’information (III).
En outre, des contrats écrits entre l’influenceur et son agent sont également nécessaires au-delà d’un certain seuil (IV). La loi contient également des dispositions sur la responsabilité des influenceurs (V) et sur la régulation des contenus publiés (VI).
I – La définition de l’influenceur et de l’agent d’influenceur
Selon la loi, sont des influenceurs les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque.
L’article 3 de la loi étend à l’activité d’influenceur les dispositions législatives, réglementaires et prévues par des règlements européens, relatives à la diffusion par voie de services de communication au public en ligne de la publicité et de la promotion des biens et des services (loi Evin, par ex.).
À noter. Lorsque l’activité d’influenceur est réalisée par une personne âgée de moins de seize ans, l’employeur est soumis à la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020, visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.
L’activité d’agent d’influenceur, quant à elle, consiste à représenter, à titre onéreux, les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique avec des personnes physiques ou morales et, le cas échéant, leurs mandataires, dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque.
La loi précise que les agents d’influenceurs doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la défense des intérêts des personnes qu’ils représentent, pour éviter les situations de conflit d’intérêts et pour garantir la conformité de leur activité à la loi.
II – Les interdictions imposées aux influenceurs
La loi prévoit un certain nombre d’interdictions. Ainsi :
-
est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, des actes, des procédés, des techniques et des méthodes à visée esthétique ;
-
est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, de produits, d’actes, de procédés, de techniques et de méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques ;
-
est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, des produits considérés comme produits de nicotine pouvant être consommés et composés, même partiellement, de nicotine ;
-
est interdite toute promotion, directe ou indirecte, impliquant des animaux sauvages, sauf collaboration avec des parcs zoologiques ;
-
est interdite la promotion, directe ou indirecte, des produits et services financiers tels que les contrats financiers dans lesquels le risque maximal n’est pas connu au moment de la souscription, le risque de perte est supérieur au montant de l’apport financier initial, le risque de perte rapporté aux avantages éventuels n’est pas raisonnablement compréhensible au regard de la nature particulière du contrat financier proposé. Cela concerne également les offres de jetons ou encore les actifs numériques, notamment les cryptomonnaies2.
À noter. La méconnaissance de cette interdiction est passible d’une amende administrative dont le montant, en vertu des articles L. 222-16-1 et L. 222-16-2 du Code de la consommation, ne peut excéder 100 000 €.
Par ailleurs, est aussi interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, en faveur d’abonnements à des conseils ou à des pronostics sportifs.
La loi précise aussi que les communications commerciales par voie électronique relatives aux jeux d’argent et de hasard sont autorisées uniquement sur les plateformes en ligne offrant la possibilité technique d’exclure de l’audience dudit contenu tous les utilisateurs âgés de moins de 18 ans et si ce mécanisme d’exclusion est effectivement activé par lesdites personnes.
Ces communications commerciales doivent être accompagnées d’une mention signalant l’interdiction dudit contenu aux moins de 18 ans. Cette mention doit être claire, lisible et identifiable, sur l’image ou sur la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité de la promotion.
Est également interdite toute vente ou offre promotionnelle d’un produit ou toute rétribution en échange d’une inscription à des actions éligibles au CPF.
À noter. Le non-respect de ces interdictions est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. Est également encourue la peine d’interdiction, définitive ou provisoire, suivant les modalités prévues à l’article 131-27 du Code pénal, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ou l’activité d’influence commerciale par voie électronique.
III – Les obligations d’information des influenceurs
La loi précise que la promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque réalisée par les influenceurs doit être explicitement indiquée par la mention « Publicité » ou « Collaboration commerciale ».
Cette mention doit être claire, lisible et identifiable sur l’image ou sur la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité de la promotion. L’absence d’indication de la véritable intention commerciale d’une communication constitue une pratique commerciale trompeuse par omission.
À noter. La violation de ces dispositions est punie de 2 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende.
On rappellera également que les communications commerciales qui reposent sur des allégations fausses ou qui ne peuvent être justifiées constituent également des pratiques commerciales trompeuses.
En outre, précise la loi, les contenus communiqués comprenant des images ayant fait l’objet :
1 – d’une modification par tous procédés de traitement d’image visant à affiner ou à épaissir la silhouette ou à modifier l’apparence du visage doivent être accompagnés de la mention : « Images retouchées » ;
2 – d’une production par tous procédés d’intelligence artificielle visant à représenter un visage ou une silhouette doivent être accompagnés de la mention : « Images virtuelles ».
Les mentions précitées doivent être claires, lisibles et identifiables sur l’image ou sur la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité du visionnage.
Par ailleurs, lorsque la promotion porte sur l’inscription à une action de formation professionnelle financée sur des fonds publics ou mutualisés, la mention « Publicité » ou « Collaboration commerciale » précitée doit comporter les informations liées au financement, aux engagements et aux règles d’éligibilité associés, à l’identification du ou des prestataires responsables de cette action de formation ainsi que du prestataire référencé sur le service dématérialisé Mon compte formation.
Rappel. La plupart des plateformes proposent aujourd’hui une fonctionnalité pour préciser si un contenu est commercial ou publicitaire.
IV – Des contrats écrits nécessaires entre l’influenceur et son agent au-delà d’un certain seuil
Par ailleurs, les influenceurs, devront passer avec les agents ou les annonceurs des contrats écrits, sous un libre format, lorsque la rémunération de l’activité d’influence commerciale par voie électronique concernée ou la valeur totale cumulée de l’avantage en nature concédée en échange de celle-ci sera supérieure à un montant défini par décret en Conseil d’État.
Le contrat, sous peine de nullité, devra comporter notamment les mentions et les clauses suivantes :
1 – les informations relatives à l’identité des parties, à leurs coordonnées postales et électroniques ainsi qu’à leur pays de résidence fiscale ;
2 – la nature des missions confiées ;
3 – s’agissant de la contrepartie perçue par la personne exerçant l’activité d’influenceur, la rémunération en numéraire ou les modalités de sa détermination, le cas échéant la valeur de l’avantage en nature ainsi que les conditions et les modalités de son attribution ;
4 – les droits et les obligations qui incombent aux parties, le cas échéant, notamment en termes de droits de propriété intellectuelle ;
5 – la soumission du contrat au droit français, notamment au Code de la consommation, au Code de la propriété intellectuelle et à la présente loi, lorsque ledit contrat a pour objet ou pour effet de mettre en œuvre une activité d’influence commerciale par voie électronique visant notamment un public établi sur le territoire français.
À noter. L’annonceur et l’influenceur sont solidairement responsables des dommages causés aux tiers dans l’exécution du contrat d’influence commerciale qui les lie.
V – La responsabilité des influenceurs
La loi précise que les influenceurs dont l’activité est limitée à la seule commercialisation de produits et qui ne prennent pas en charge la livraison de ces produits, celle-ci étant réalisée par le fournisseur, sont responsables de plein droit à l’égard de l’acheteur.
Les influenceurs doivent communiquer à l’acheteur les informations prévues à l’article L. 221-5 du Code de la consommation ainsi que l’identité du fournisseur et s’assurent de la disponibilité des produits et de leur licéité, notamment du fait qu’il ne s’agit pas de produits contrefaisants.
Par ailleurs, l’influenceur qui est établi en dehors de l’Union européenne (comme à Dubaï) ou de la Suisse, est tenu de souscrire, auprès d’un assureur établi dans l’Union européenne, une assurance civile garantissant les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle dès lors que son activité vise, même accessoirement, un public établi sur le territoire français.
À noter. Les influenceurs qui ne sont pas établis sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne doivent désigner par écrit une personne morale ou physique pour assurer une forme de représentation légale sur le territoire de l’Union européenne.
La personne désignée pour assurer une forme de représentation légale est chargée de garantir la conformité des contrats ayant pour objet ou pour effet la mise en œuvre d’une activité d’influence commerciale par voie électronique visant notamment un public établi sur le territoire français. Cette personne est également chargée de répondre, en sus ou à la place des influenceurs, à toutes les demandes émanant des autorités administratives ou judiciaires compétentes visant à la mise en conformité avec la loi.
Les influenceurs doivent donner à la personne ainsi désignée les pouvoirs nécessaires et les ressources suffisantes pour garantir une coopération efficace avec les autorités compétentes pour se conformer à la loi.
Ils doivent aussi communiquer, sur demande, aux autorités administratives compétentes le nom, l’adresse postale, l’adresse de courrier électronique et le numéro de téléphone de la personne désignée.
VI – La régulation des contenus publiés par les personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique et des actions de sensibilisation des jeunes publics
Enfin, la loi prévoit que les fournisseurs de services d’hébergement doivent mettre en place des mécanismes permettant à toute entité ou à tout particulier de leur signaler la présence au sein de leur service d’éléments d’information spécifiques que le particulier ou l’entité considère comme du contenu illicite.
En outre, les fournisseurs de services intermédiaires doivent mettre à la disposition du public des rapports sur leurs éventuelles activités de modération des contenus.
De plus, précise la loi, les fournisseurs de plateformes en ligne doivent prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les notifications soumises par des signaleurs de confiance soient traitées prioritairement, dans les conditions prévues à l’article 22 du règlement n° 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).
Le coordinateur pour les services numériques compétent doit attribuer le statut de signaleur de confiance aux entités qui remplissent les conditions fixées au même article 22 et qui agissent notamment contre la violation des dispositions de cette loi n° 2023-451 du 9 juin 2023, du Code de la consommation, du Code de la santé publique ou du Code de la propriété intellectuelle.
La loi précise également que les fournisseurs de services intermédiaires doivent prendre les mesures nécessaires pour donner suite, dans les meilleurs délais, aux injonctions d’agir émises par les autorités judiciaires ou administratives nationales compétentes.
Ces dernières doivent mettre à la disposition des fournisseurs de services intermédiaires, au moins tous les six mois, la liste des sites internet faisant la promotion de biens ou de services considérés comme illicites.
Par ailleurs, toute injonction peut être assortie d’une astreinte journalière ne pouvant excéder un montant de 3 000 €. Mais le total des sommes demandées au titre de la liquidation de l’astreinte ne peut excéder 300 000 €.
Lorsque l’infraction constatée est passible d’une amende d’au moins 75 000 €, l’astreinte prononcée peut être déterminée en fonction du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos de la personne morale contrôlée, sans pouvoir excéder 0,1 % de celui-ci.
Le total des sommes demandées au titre de la liquidation de l’astreinte ne peut excéder 5 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos. Si l’injonction est adressée à une personne morale dont les comptes ont été consolidés ou combinés en application des dispositions applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de la personne morale consolidante ou combinante.
L’injonction doit préciser le montant de l’astreinte journalière encourue. L’astreinte journalière court à compter du jour suivant l’expiration du délai imparti au professionnel pour déférer à l’injonction.
En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut procéder à la liquidation de l’astreinte. Elle doit tenir compte, pour déterminer le montant total de l’astreinte liquidée, des circonstances de l’espèce.
En cas d’inexécution par le professionnel de la mesure de publicité dans le délai imparti, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peut le mettre en demeure de publier la décision sous peine d’une astreinte journalière de 150 € à compter de la notification de la mise en demeure et jusqu’à publication effective.
L’autorité administrative chargée de la concurrence peut procéder à la liquidation de l’astreinte dans les mêmes conditions et suivant les mêmes modalités que celles définies à l’article L. 521-1 du Code de la consommation.
Le montant total des sommes demandées au titre de la liquidation de l’astreinte ne peut excéder 50 000 €. Lorsque l’injonction mentionnée au même article L. 521-1 est assortie d’une astreinte, elle peut faire l’objet, en cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive, d’une mesure de publicité, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
Dans ce cas, le professionnel doit être informé, lors de la procédure contradictoire préalable au prononcé de l’injonction, de la nature et des modalités de la mesure de publicité encourue. La publicité est effectuée aux frais du professionnel qui fait l’objet de l’injonction.
Par ailleurs, les opérateurs de plateforme en ligne doivent adopter un protocole d’engagements visant à favoriser la collaboration entre l’État et lesdits opérateurs dans le secteur de l’influence commerciale, qui a notamment pour objet :
1 – de favoriser la mise à la disposition du public, en lien avec les autorités publiques et les organismes d’autorégulation, de toute information utile portant sur les droits et les devoirs des personnes exerçant les activités définies aux articles 1er et 7 et visant à prévenir tout manquement aux dispositions de la présente loi ;
2 – de favoriser la mise à la disposition du public, en lien avec les autorités publiques et les organismes d’autorégulation, de toute formation utile à destination des personnes exerçant les activités définies aux articles 1er et 7 et visant à prévenir tout manquement aux dispositions de loi ;
3 – de favoriser auprès de leurs utilisateurs le signalement de tout manquement aux règles sectorielles commis par les influenceurs.
Par ailleurs, l’article 16 complète le contenu de la formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques dans les écoles et les établissements d’enseignement par des ajouts à l’article L. 312-9 du Code de l’éducation relatifs à la sensibilisation à l’image des femmes, contre la manipulation d’ordre commercial et les risques d’escroquerie en ligne, à l’usage des dispositifs de signalement des contenus illicites mis à disposition par les plateformes.
Enfin, la loi prévoit que, dans un délai de deux ans à compter de sa promulgation, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport d’évaluation comportant notamment des éléments relatifs à l’évolution :
1 – de l’application de la présente loi ;
2 – des compétences et des moyens financiers et humains des autorités administratives contribuant à la régulation de l’influence commerciale, en particulier de la DGCCRF, de l’Autorité des marchés financiers, de l’Autorité nationale des jeux et de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ;
3 – du périmètre du régime d’interdiction de la promotion et de la publicité de certains biens et services prévus à l’article 4 ;
4 – du périmètre du régime d’encadrement spécifique de la promotion et de la publicité de certains biens et services prévus à l’article 5.
Référence : AJU009o0