L’hommage funèbre trop amical rendu par l’arbitre au conseil d’une partie peut provoquer un doute raisonnable sur son indépendance et son impartialité

Publié le 24/03/2023
Impartialité, inégalité, balance
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L’hommage funèbre qui révèle l’existence des liens amicaux étroits entre le conseil d’une partie et l’arbitre est de nature à provoquer un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur l’indépendance et l’impartialité de ce dernier. Ainsi, faute pour l’arbitre d’avoir révélé ces faits avant l’acceptation de sa mission ou pendant la procédure d’arbitrage, les parties sont fondées à contester la régularité de constitution du tribunal.

CA Paris, CCI, 5-16, 10 janv. 2023, no 20/18330

La chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris poursuit sa jurisprudence relative à l’obligation pour les arbitres de révéler les circonstances susceptibles de générer un doute dans l’esprit des parties quant à leur indépendance et leur impartialité. Le litige à l’origine de la sentence arbitrale contestée est survenu dans le cadre de l’exécution de la convention de concession conclue entre le Port Autonome de Douala (PAD) et la société Douala International Terminal (DIT) en vue de la gestion et de l’exploitation, par cette dernière, d’un terminal à conteneurs modernisés. Un désaccord s’est élevé entre les parties concernant la répartition des revenus tirés du stationnement de conteneurs et de marchandises sur le domaine concédé. C’est ainsi que la société DIT a mis en œuvre une procédure d’arbitrage sous l’égide de la CCI.

Saisi de plusieurs demandes, le tribunal arbitral a rendu la sentence partielle qui a fait l’objet d’un recours en annulation devant la cour d’appel de Paris, à l’initiative du PAD. Celui-ci invoque la constitution irrégulière du tribunal arbitral au motif que le président du tribunal arbitral n’a pas révélé les liens qui l’unissaient au conseil de la société DIT. En effet, c’est en cours d’instance que le PAD a eu connaissance de l’hommage funèbre rendu par le président du tribunal arbitral au conseil de la société DIT. Ce texte révélait, en substance, l’ancienneté et la profondeur des liens d’amitié entre les deux hommes. Le PAD en a déduit que la déclaration d’indépendance de l’arbitre était incomplète et que la constitution du tribunal est irrégulière.

L’arrêt commenté apporte sa pierre à l’édifice dans la compréhension du devoir de révélation de l’arbitre qui n’est pas évidente. Dans une démarche pédagogique, la cour d’appel vérifie si les circonstances de l’affaire permettent de caractériser l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral (I). Après analyse, elle décide que les liens entre l’arbitre et le conseil de la société DIT sont assez étroits pour prononcer la sanction de la constitution irrégulière du tribunal arbitral (II).

I – La caractérisation de l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral

Pour caractériser l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral, le juge doit apprécier les circonstances de l’affaire. À la question de savoir si les propos tenus par le président du tribunal arbitral étaient de nature à entacher d’irrégularité la constitution du tribunal arbitral, la cour d’appel répond par l’affirmative. Pour parvenir à cette conclusion, elle a constaté d’une part le manquement de l’arbitre à l’obligation de révélation (A) et d’autre part le doute raisonnable que ce manquement a provoqué dans l’esprit des parties sur son indépendance et son impartialité (B).

A – Le manquement de l’arbitre à l’obligation de révélation

L’arbitre doit être et demeurer indépendant des parties en cause. Il est tenu, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité1. Il doit également révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission2. Certes, le Code de procédure civile ne précise pas le contenu de cette obligation. Mais, s’agissant en l’espèce d’un arbitrage sous l’égide de la CCI, « il appartient à l’arbitre (…) de se référer aux recommandations émises par ce centre »3 et qui imposent à l’arbitre la révélation des faits non notoires.

Parmi les circonstances que doit considérer l’arbitre pour évaluer l’étendue de son devoir de révélation, la cour d’appel retient celle relative à l’entretien d’une « relation professionnelle ou personnelle étroite avec le conseil de l’une des parties ou le cabinet d’avocats de ce conseil »4. Toute la question est alors de savoir si l’arbitre pouvait se dispenser de révéler, avant sa nomination, les liens d’amitié qui l’unissaient au conseil de la société DIT. Certes l’arbitre avait fait des révélations avant d’accepter sa mission, mais celles-ci n’indiquaient nullement l’existence des liens d’amitié étroits ayant motivé la demande de récusation formée par la PAD. En effet, il résultait de cet éloge funèbre – publié dans une revue juridique5 – que l’arbitre et le conseil de la société DIT entretenaient des rapports académiques qui, depuis une vingtaine d’années, s’étaient transformés en amitié profonde.

La cour d’appel considère que les liens universitaires n’ont pas à être déclarés, car ils n’impliquent pas, par nature, l’existence de relations « professionnelles ou personnelles étroites » au sens des recommandations de la CCI. Or, tel n’est pas le cas des liens amicaux étroits qu’évoque l’hommage funèbre : « Je l’admirais et je l’aimais » ; « notre amitié avait pris un tournant plus personnel » ; « je le consultais avant tout choix important ». Ces propos, en s’inscrivant dans un registre personnel, révèlent l’intensité d’une relation dépassant la simple amitié ordinaire. Ainsi, selon la cour, « la proximité et l’intimité (…) révélées apparaissent telles qu’elles ne peuvent, sauf à vider la notion de sa substance, que conduire à regarder cette relation comme caractérisant l’existence des liens personnels étroits ».

Pour tenter de replacer les faits dans leur contexte, la société DIT a présenté à la cour d’appel le courrier du mis en cause, adressé à la CCI pendant la procédure de récusation, dans lequel il indiquait n’avoir jamais consulté le défunt sur ses décisions comme arbitre et ne l’avoir plus revu depuis 2019. Cette précision n’emporte pas la conviction du juge judiciaire, dans la mesure où le lien personnel étroit était antérieur à la date de mise en œuvre de l’arbitrage (janv. 2019). Dès lors, l’intéressé aurait dû révéler ce fait non notoire avant d’accepter sa mission. Ainsi, nous pouvons conclure qu’il n’appartient pas à l’arbitre de se convaincre intimement de ce que sa proximité avec le conseil d’une partie pourrait ou non entacher sa manière de juger ; il doit révéler l’information aux parties afin qu’elles décident elles-mêmes des suites à lui donner. Ayant manqué à l’obligation de révélation, l’arbitre a pu provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur son indépendance et son impartialité.

B – L’existence d’un doute raisonnable dans l’esprit des parties

Il est constant que la non-révélation par l’arbitre de l’existence des liens personnels étroits avec l’une des parties ou son représentant ne suffit pas, à elle seule, à caractériser le défaut d’indépendance et d’impartialité. La jurisprudence exige que les éléments non révélés soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur son indépendance et son impartialité6. Le doute raisonnable s’entend du doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’informations raisonnablement accessibles. L’appréciation du doute raisonnable est faite sur des bases objectives, mais elle doit nécessairement tenir compte des circonstances de l’espèce.

Le contexte est assez complexe. Il est tout d’abord celui de l’hommage post mortem rendu par un universitaire à son collègue. Pour vanter la renommée du défunt et son influence sur le droit de l’arbitrage, l’auteur a eu recours à des superlatifs. Selon la cour d’appel, compte tenu des circonstances propres de l’éloge funèbre qui « est exagéré par nature », de tels propos ne sont pas de nature à susciter, à eux seuls, un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur l’indépendance et l’impartialité du président du tribunal. Cette appréciation de la cour se comprend, d’autant plus que, comme l’avait relevé la société DIT, les messages vantant les qualités professionnelles de leur conseil étaient venus du monde entier et de toutes les places d’arbitrage.

Le contexte est aussi celui d’un éventuel mélange de genres, entre l’affinité personnelle et la mission d’arbitre. En effet, dans son hommage, l’arbitre avait cru devoir établir un rapport entre l’existence des liens personnels étroits avec le défunt et la procédure d’arbitrage opposant le PAD et la société DIT : « Je devais le retrouver dans trois semaines pour des audiences où il agirait comme conseil et moi comme arbitre, et je me réjouissais d’entendre à nouveau ses redoutables plaidoiries ». Selon la cour d’appel, cette évocation, associée à celle selon laquelle l’intéressé consultait le défunt « avant tout choix important », était de nature à laisser penser aux parties que le président du tribunal arbitral pouvait ne pas être libre de sa décision. On peut donc comprendre que les circonstances de l’affaire aient pu créer dans l’esprit du PAD un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. En somme, l’appréciation du manquement de l’arbitre à l’obligation de révélation d’un fait non notoire et le doute que cette omission a suscité dans l’esprit des parties a permis à la cour d’appel de caractériser la constitution irrégulière du tribunal arbitral. Dès lors, la sanction de la procédure d’arbitrage était inévitable.

II – La sanction de l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral

Une fois traitée la question de savoir si le tribunal arbitral était irrégulièrement constitué, la cour d’appel a sanctionné la procédure en annulant la sentence partielle rendue par ledit tribunal (A). Cette sanction classique de la constitution irrégulière du tribunal arbitral ne peut qu’être approuvée. Au-delà, l’arrêt devrait inciter les cabinets et les centres d’arbitrage à s’interroger sur leurs pratiques afin de renforcer le contrôle de l’indépendance et l’impartialité des arbitres (B).

A – L’annulation de la sentence rendue par un tribunal arbitral irrégulièrement constitué

Le non-respect de l’obligation d’indépendance de l’arbitre est un motif d’annulation de la sentence arbitrale. Il est important de relever que l’arrêt rapporté fonde cette sanction sur le moyen pris de la « composition irrégulière du tribunal arbitral », en application de l’article 1520, 2°, du Code de procédure civile. Cette solution est conforme à la jurisprudence en la matière7, même si le rattachement du non-respect de l’obligation de révélation à la composition irrégulière du tribunal arbitral est discutable. À ce propos, un auteur estime que « l’indépendance de l’arbitre est [plutôt] une composante fondamentale de l’arbitrage et relève comme telle de l’ordre public interne et international »8. Cet argument mérite d’être entendu, dans la mesure où les « qualités d’impartialité et d’indépendance [de l’arbitre] (…) sont l’essence même de la fonction arbitrale »9. Il n’en demeure pas moins cependant que la problématique des conflits d’intérêts de l’arbitre touche plus directement – et avant tout – aux règles relatives à la constitution du tribunal arbitral. Quoi qu’il en soit, ce moyen n’a pas été débattu devant le juge d’appel.

En revanche, pour contester le recours en annulation, la société DIT a soutenu que le PAD avait renoncé à se prévaloir de l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral10 au motif qu’elle n’a pas fait valoir ce grief en temps utile devant le tribunal et qu’elle n’a pas formé de demande de récusation sur ce fondement. La Cour de cassation a décidé que « la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation »11.

Mais en l’espèce, les liens d’amitié entre le président du tribunal arbitral et le conseil de la société DIT n’avaient pas été révélés avant la sentence partielle contestée. N’ayant découvert la publication de l’hommage funèbre que le 15 avril 2021, le PAD avait saisi la CCI le 20 avril 2021 d’une demande de récusation du président du tribunal arbitral, soit dans le délai prévu par l’article 14.2 du règlement de la CCI. La cour d’appel en a déduit que le requérant n’avait pas renoncé à se prévaloir de l’irrégularité de la constitution du tribunal. Les faits de l’arrêt devraient ainsi susciter un renforcement des mécanismes de contrôle de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre.

B – Le nécessaire renforcement du contrôle de l’indépendance et de l’impartialité

À n’en pas douter, « les arbitres et les conseils des parties sont souvent des professionnels de même spécialité ayant vocation à se rencontrer dans des colloques, à intervenir conjointement dans des conférences, à appartenir à des mêmes associations professionnelles »12. Mais lorsque ces occasions de rencontre créent des liens amicaux, ceux-ci doivent être révélés aux parties à l’arbitrage. C’est à cette exigence qu’a manqué le président du tribunal arbitral dont la déclaration d’indépendance ne mentionnait aucun lien, ni professionnel ni personnel, avec le conseil d’une partie.

Dès lors, il serait judicieux que les centres d’arbitrage et les cabinets renforcent les mécanismes de contrôle de l’indépendance et de l’impartialité des arbitres. Un auteur a pu suggérer une externalisation des procédures de vérification des conflits d’intérêts. Très concrètement, il est question de faire réaliser le conflict check « par un tiers indépendant du cabinet et les résultats seraient livrés aux parties (sous réserve d’un refus par l’arbitre de sa mission au regard des résultats) »13. La proposition peut de prime abord se heurter au secret professionnel et engendrer des coûts financiers importants, mais elle permettrait aux centres d’arbitrage d’offrir plus de garantie d’indépendance et d’impartialité des arbitres. Une telle pratique renfoncerait alors la confiance des parties dans l’arbitrage. Au demeurant, la réalisation du conflict check par un tiers indépendant ne serait efficace que si la déclaration d’indépendance de l’arbitre est « enrichie »14. Il serait judicieux que l’arbitre décrive de manière plus précise chacun des liens qu’il entretiendrait ou non avec chaque partie, son conseil, les co-abritres ou leurs proches. Ce formalisme pourrait inverser la mauvaise pratique qui consiste pour les arbitres à rédiger des déclarations d’indépendance trop sommaires pour éclairer utilement les parties. Dans l’attente d’une évolution dans ce sens, il est nécessaire de rappeler que tout doute de l’arbitre sur l’étendue des révélations qu’il doit faire « doit être résolu en faveur d’une révélation »15.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CPC, art. 1456, al. 2 – CPC, art. 1506.
  • 2.
    Ces exigences sont également prévues par l’article 11 du règlement de la CCI.
  • 3.
    La cour d’appel avait laissé penser qu’il s’agissait d’une simple faculté, CA Paris, 14 sept. 2021, n° 19/16071, NHA : Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques.
  • 4.
    Les recommandations de la CCI (note du 1er janv. 2019) prévoient neuf circonstances à considérer par l’arbitre pour apprécier son obligation de révélation. Cette liste n’est pas exhaustive.
  • 5.
    Dès lors, l’accès à cette information constituait des investigations complémentaires dont les parties ne sont pas tenues, CA Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 10 oct. 2012, n° 11-20299.
  • 7.
    CA Paris, 12 févr. 2009, n° 07/22164, Tecnimont : D. 2009, p. 2959, obs. T. Clay – Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n° 99-15163 – Cass. 2e civ., 6 déc. 2001, n° 00-10711.
  • 8.
    M. Henry, « Le devoir de révélation dans les rapports entre arbitres et conseils : de la suggestion aux électrochocs », CAPJIA 2011, p. 787.
  • 9.
    CA Paris, 10 mars 2011, n° 09/28537, Tecso.
  • 10.
    CPP, art. 1466.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 25 juin 2014, n° 11-26529, P.
  • 12.
    M. Henry, « Le devoir de révélation dans les rapports entre arbitres et conseils : de la suggestion aux électrochocs », CAPJIA 2011, p. 787.
  • 13.
    J. Jourdan-Marques, « Chronique d’arbitrage : la cour d’appel de Paris entre en résistance », Dalloz actualité, 21 janv. 2022.
  • 14.
    En s’inspirant de la nouvelle technique de rédaction des arrêts de la Cour de cassation.
  • 15.
    Art. 2 des recommandations CCI.
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